Chapitre 27 : Samy "le beau au bois dormant."
La voiture s’arrête devant une maison ornée de jolis volets rouges, deux façades encadrent une tour blanche. Je tombe sous le charme du lieu avant même de franchir le seuil. Je ne quitte pas la bâtisse des yeux. Le jardin est agrémenté de palmiers. Ils sont ballotés par le vent, tels des chevaliers dressés sur leur monture, ils gardent le domaine.
Dans un coin, j’aperçois la margelle d’un puits sur laquelle est déposé un seau. En l’observant avec plus d’attention, des oreilles blanches se dévoilent. Surpris, je pense avoir fait un bond dans le temps et si Pompon, mon chat apparaissait par magie ? Sur mes lèvres s’esquisse un sourire. Je m’approche lentement pour rendre réelle ma rêverie.
L’animal accompagne mes caresses de ronronnements qui tapissent mon cœur d’une douce mélodie. Nous ne nous connaissons pas. Pourtant le félin se laisse attraper. Il n’attendait que ça. Je le serre contre mon torse. J’enfouis mon nez dans son pelage chaud. L’étreinte semble arrêter le temps. Cette pause est un pur moment de délice.
Une main attrape la mienne. Axel se tient à mes côtés. Il s’impatiente. Le garçon veut me faire découvrir chaque recoin de son château. Il me l’a décrit ainsi pendant tout le voyage. Il n’avait pas menti. Les deux ailes de chaque côté prennent soin de la citadelle qui est en son centre.
Cette maison n’a rien de commun avec celles que j’ai croisées le long du chemin. Avec ses pierres blanches et les mosaïques qui ornent ses façades, elle a été conservée avec soin. Certains la trouveront vieillotte, elle est toute autre. Mon imagination déborde, des balcons chaque étage sont propices pour les futures créations. Derrière les petites fenêtres encadrées de jolies boiseries, tant d’histoires pourraient prendre vie. Mes idées se nourrissent de chacun des détails..
Après avoir laissé libre cours à mes pensées, je repose le chat au chaud dans son seau, regrettant de l’abandonner. Un flot d’émotions se déverse sur mon âme, des questions s’entrechoquent dans ma tête. Des doutes m’envahissent. Tant de détails de cette cour me ramènent en arrière.
Que m’arrive-t-il ? La tempête s’invite en mon for intérieur. Pourquoi suis-je pris de panique ? L’angoisse s’immisce dans les moindres parcelles de mon corps. Je voudrais reprendre l’animal dans mes bras pour me laisser aller. Au loin, le père d’Axel s’agite et appelle le petit garçon qui ne semble plus l’entendre. Il ne tient plus en place, il n’a qu’une idée en tête: franchir au plus vite la porte d’entrée. Il pourrait ainsi échapper à la corvée de ranger les courses.
Dans une famille composée de quatre enfants, on peut vite être débordé. Je deviens un bel alibi, Axel prétexte qu’il doit me montrer tous les endroits essentiels pour que je me sente comme chez moi. Cette attention me touche, une nouvelle terre d’asile m’accueille. Loïc confie Manon à sa grande sœur. Le bébé dormait au chaud dans son siège auto. Elle ne semblait pas dérangée par l’agitation. Hugo, les bras chargés, avance dans l’allée. Il ne voit pas le vélo posé sur son chemin. Voyant le danger immédiat, je me reconnecte à la réalité et me précipite pour enlever l’obstacle, juste à temps. Le jeune homme tente de se rattraper.
À mon tour, je me retrouve déséquilibré glissant sur les cailloux détrempés par l’orage. Sous le regard de la maîtresse des lieux qui apparaît dans l’embrasure de la porte, je finis au sol. Axel s’empresse de venir m’aider à me relever.
- Dis, tu t’es pas fait mal ?
- Rassure-toi, ce n’est pas ma première gamelle.
En me relevant, les écorchures me piquent plus que je ne l’aurais cru. Je balaye d’un revers de main les graviers qui sont venus se glisser sous ma peau.
- Viens, tu as de la chance, maman est infirmière, dit Axel
- Et c’est la meilleure, ajoute Alysée fièrement.
- Alors je vous suis les yeux fermés.
Mon bras me brûle. Je retiens une larme qui essaye de s’enfuir. Les trois jeunes gens entrent dans la maison après avoir ôté leurs chaussures. Ils enfilent des pantoufles.
- Tiens, elles doivent être à ta taille, dit Hugo tendant les siennes après avoir déposé dans le placard le paquet de papier toilette qui encombre ses bras.
- Et toi ?
- Pas de soucis, j’emprunterai une vieille paire de papa.
L’intérieur chaleureux est coloré de tons ocres apaisants. Les murs sont couverts de cadres avec des photos de chacun des habitants. J’observe chaque image qui raconte l’histoire de chaque membre. Derrière les sourires, j’entrevois l’amour qui lie chaque naissance. Les douleurs qui irradient mon bras tel un éclair font émerger une image qui me tétanise. Je ne veux plus me noyer dans mon chagrin. Pourquoi ressurgit-elle ?
Je tremble à l’idée. Ce jour-là, ma vie aurait pu basculer à jamais. Promis, je ne referais plus une telle folie. Fabrice m’a laissé en miette. Mon coup de cœur n'avait pris aucune précaution pour mettre fin à notre relation. Je m’étais bercé de douces illusions. En découvrant la date sur le calendrier, je prends conscience que ce n’est pas un simple fait dû au hasard. Est-ce que la douleur qui se diffuse dans mon poignet ne réveille pas le fantôme qui rôde ? Non, surtout pas, je dois continuer à balayer le passé.
Hors de question que ce cauchemar me hante à nouveau. J”apprends à me reconstruire et à découvrir que l’on peut aimer différemment. Chacune des rencontres que je fais, ont bien plus de valeur à mes yeux. Lentement, les battements de mon cœur ralentissent. À nouveau, un bien-être m’envahit. À moins que cela ne soit la douce voix qui m’interpelle.
- Samy, suis-moi. Je vais regarder tes égratignures.
Dans les yeux d’Héloïse, je perçois la même lueur apaisante qui se cache dans celui de ma mère. Tout à coup, je voudrais pouvoir me téléporter pour retrouver la quiétude de ses bras.
- Rassure-toi, rien de méchant. Tu devras peut-être garder le bandage un jour ou deux.
Cette femme me propose-t-elle de rester un peu plus qu’une nuit.
Manon installée dans son transat, ouvre les yeux et me tend sa main potelée. Je glisse les doigts du bébé dans ma paume. Au même moment, mon téléphone sonne, le visage de Sarah apparaît. Encore une coïncidence où simplement une évidence.
- Samy, je voulais entendre ta voix, elle me manque.
- Tu ne peux pas savoir comme la tienne me fait du bien.
- Dis, tout va bien mon dragon ?
- Maintenant oui.
- Prends une photo de là où tu vas dormir, juste pour me rassurer.
Je sors, traverse la rue et photographie la maison qui m’observe en retour. J’appuie sur envoyer. Une réponse immédiate s'ensuit avec un cliché et un mot : « Pompon me dit que le beau au bois dormant fera un doux rêve cette nuit. Je t’aime. Gros bisous ». Je ne quitte pas l’écran des yeux voulant imprimer dans mon cœur ce portrait de famille.
Cette aventure, chaque jour m’interpelle. Je découvre tant de personnes merveilleuses à chaque carrefour. Mes doutes s’envolent dès que j’ouvre une porte, et mes peurs s’évanouissent dès que j’en franchis le pas.
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