Chapitre 29 : Samy " Frères de cœur."
Assis à table, j'apprécie ce début de soirée dans la chaleur du cocon familial qui se tisse autour du repas. Le père sert avec agilité la soupe que tous auraient pu bouder, pourtant le spectacle est amusant. Le maître des lieux enfile un tablier et se métamorphose en Merlin l’enchanteur. Chacun l’observe avec tendresse et n’ose refuser quoique ce soit au magicien qui déverse des louches de potion fumante dans les écuelles. Hugo qui pourrait sembler trop grand pour un tel stratagème, se plie au rituel avec tout autant d’enthousiasme qu’Axel. Je tends mon bol, mes yeux pétillent et mes papilles s’émoustillent découvrant l’élixir que je vais partager au cours de ce banquet improvisé. Les cuillères débutent leur va-et-vient, une douce mélodie rythme ce début de repas.
Les discussions se poursuivent et un nouveau jeu anime la soirée. Le concours est lancé, les participants énumèrent chacun à leur tour les ingrédients qui composent le potage. Il n’en reste plus qu’un seul à trouver, le silence s’installe, dans les yeux des lueurs de curiosité brillent. Tel Sherlock Holmes, je mène l’enquête : quel est ce petit plus qui donne un goût si particulier à la soupe ? En fin œnologue à la recherche des arômes diffusés par le vin, je laisse le bouillon tapisser mon palais. Ça tourne dans ma tête pourtant, je connais ce parfum. Quand tout à coup, Axel s’écrie :
- Euréka, j’ai trouvé !
Nous ne pouvons contenir nos rires, il est si malin le petit dernier. Le regard plein d’admiration de sa mère vaut bien toutes les médailles accrochées au cou du champion.
Quand arrive l’heure du dessert, nous attendons avec impatience quelle sera la surprise. Mère et fille se sont évaporées dans la cuisine qui jouxte la salle à manger, poussant la porte pour ne pas être importunées. Des bruits de batteurs se font entendre accompagnés de petits cliquetis, tous ces sons mystérieux donnent lieu à bon nombre d’interrogations des plus saugrenus inspirant une idée au père des enfants. Hugo et Axel font table rase, chaque assiette s’empile soigneusement dans un coin pour libérer l’espace à un plateau de jeu. Je leu donne un coup de pouce, hors de question de ne pas participer aux corvées. Quand le Cluedo s’étale sous mes yeux, Axel annonce avec malice :
- Madame Rose avec le batteur dans la cuisine.
À nouveau des éclats de rire accompagnent cette envolée, le plus jeune a de la répartie. Nous nous munissons d'une carte d’indice et d’un crayon. Les sons qui s’échappent de la pièce annexe accompagnent nos investigations. Être au milieu de cette famille est une vraie aubaine en cette soirée. Dehors, l’orage gronde, le vent se lève, et les gouttes d’eau tapent sur les carreaux. Dans cette pièce, je me sens en sécurité, à l’abri des tempêtes qui s’invitent dans mon âme encore trop souvent à mon goût. L’enquête se poursuit, les questions fusent, les premiers éléments semblent se confirmer. J'approche de plus en plus de la vérité, la dernière réponse vient consolider ma première idée et annonce sans hésiter :
- Madame Rose avec le chandelier dans la cuisine.
Au même moment, un grand faisceau de lumière s'accompagne d’une détonation et plonge le lieu dans la pénombre. Un cri s’échappe à l’autre bout de la pièce, accompagné de pleurs. Autour de la table, une tension se propage aussitôt apaisée par le père qui muni de son portable offre un rayon d’espoir. Hugo récupère le sien qu’il a laissé sur la table basse avant le souper et cherche à retrouver son petit frère qu’il découvre blotti dans mes bras. Un deuxième coup tout aussi fort retentit couvrant les voix de la cuisine. Hugo suit son père qui se précipite pour s’assurer que tout va bien, un vent de panique vient ternir la quiétude de la soirée. L’orage déverse sa colère sur la maisonnée.
Arrivé sur le seuil de la porte, je découvre un mari attentionné serrant fort dans ses bras sa femme et sa fille en sanglots. La petite Manon dort paisiblement dans son couffin, loin de toute cette agitation. L’espace éclairé à l’aide de bougies dévoile un ballet surnaturel où la lueur des chandelles valse avec les ombres sur les murs. Les enfants retrouvent leur calme, bercés par la mélodie fredonnée du bout des lèvres par la figure rassurante de la famille. Je regrette de ne pouvoir me réfugier à mon tour dans les bras de ma mère, elle qui a toujours su me comprendre et me couvrir d’amour à chaque étape de ma vie. Petit, dès que le ciel déversait ses foudres sur le vélux de ma chambre, je me précipitais dans celle de mes parents et plongeais sous leur couette. En grandissant, j'ai appris à dompter ce monstre qui a rempli mes cauchemars. Avec l’arrivée de Sarah, la donne a changé. Dans ces soirées tempétueuses, où les sons terrifiants s’amplifiaient dans les couloirs des Pyrénées, ma petite sœur apparaissait avant de se caler dans mes bras comme Axel le fait à cette heure.
Le retour de la lumière redonne vie à la maison, chaque pièce retrouve de belles couleurs séchant les larmes et dessinant de tendres sourires sur chaque frimousse. Alysée attrape des coupelles pour les garnir de crème anglaise, pendant que maman termine les œufs en neige. Ces îles flottantes sont des douceurs pour les gourmands qui ne quittent pas des yeux les petits icebergs vaporeux sur cet océan sucré. Le cœur léger, chacun nous saisissons notre dessert et nous nous installons en tailleur sur le grand tapis du salon. Les cuillères s’animent et virevoltent dans le récipient qui se vide trop rapidement à notre goût. Mais la déception est de courte durée, le saladier peut alimenter un rappel de friandise. Les discussions s’animent, les questions se multiplient, tous veulent connaître un peu de ma fabuleuse histoire. Axel ne tient plus en place, petit ressort, il voyage sur les genoux des uns et des autres, jusqu’au moment où il décide de venir se poser sur les miens qui l’accueillent. Ce petit bonhomme me ressemble tant, curieux, bougillon, vif d’esprit et câlin. Dans son regard, je perçois cette étincelle qui enflamme son cœur dès qu’il veut en savoir plus, dès que les choses qui font la vie le touchent et ces petits riens qui lui apportent un grand tout.
La soirée défile, les minutes s’enfuient, les heures s’évanouissent, la fatigue s’empare des plus jeunes. Axel et Alizée se sont endormis sur le tapis, le marchand de sable a saupoudré des poussières d’étoiles sous leurs paupières. Appuyé contre la margelle de la cheminée, Mon cahier à croquis dans les mains, je dépose les prémices d’un tableau féerique où des elfes planent autour du dragon qui affronte les éclairs. Comme à chaque fois que mon crayon glisse sur le papier, tout s’anime avec légèreté sous le regard attentif d’Hugo qui ne me quitte plus des yeux. Les parents en profitent pour s’éclipser, nous laissant à nos discussions. Le temps semble ne pas avoir d’emprise sur nous, nos échanges sont spontanés, pourtant nous ne nous connaissons que depuis quelques heures.
L’adolescent impressionné par ma dextérité, m'avoue qu’il en serait bien incapable. À chaque fois qu’il a essayé de produire un semblant de dessin, il a abandonné. Avant tout, ce qu’il adore ce sont les mathématiques et il rêve de faire des études à Toulouse dans l’aérospatiale. Cette révélation me séduit et je tourne la page sur laquelle je dessinais pour prendre une nouvelle feuille. Je tends le carnet à Hugo et un stylo, surpris, celui-ci m’interroge du regard. Le cours de dessin peut alors commencer. Suivant mes conseils, le lycéen se sent pousser des ailes. La fusée prend forme sur la page, prête à décoller tellement le réalisme est saisissant. Ma patience contraste avec son impatience. Avec attention, je surveille les gestes et les guide quand la précipitation s’en mêle ou lorsque la maladresse grossit les traits.
Nous rions, nous amusons, nous chahutons, et nous confions sans aucun filtre. Hugo avoue du bout des lèvres qu’une certaine Hélène qui se trouve être dans l’autre terminale ne le laisse pas indifférent mais il n’ose pas faire le premier pas. Je l’écoute me surprenant à rêver à PO que je viens tout juste de quitter. À mon tour, je lui confie ma douloureuse première histoire d’amour et découvre une oreille bienveillante qui ne me juge pas. La nuit défile, nous partageons un chocolat chaud, terminons le dessert que nous avons particulièrement apprécié, parlons du plaisir que nous avons à lire, nos goûts ne sont pas si éloignés. Épuisés, nous nous installons dans le canapé et mettons une série que nous avons choisie et finissons par nous endormir blottis l’un contre l’autre : deux frères de cœur.
Annotations
Versions