Chapitre 38.4 : Victor "Belles confidences."
Je profite de ce que Marius et Arthur échangent quelques mots pour m’éclipser. Je ressens le besoin de prendre un peu de distance, il me faut recoller les pièces du puzzle. Ce vieux monsieur que je ne connais pas, pourrait-être de ma famille et bien plus encore. Il m’a promis de tout me raconter mais avant je dois aller récupérer mon portefeuille. À l’intérieur se trouve une photo que je veux lui montrer. Arrivé dans l’espace où nous devons planter la tente, je découvre qu’elle est déjà installée. Arthur a dû s’en occuper avant d’écrire ce merveilleux poème. Maintenant, je pense que tout est clair dans nos esprits, nous serons là avant tout l’un pour l’autre. Il est un gars exceptionnel et je ne souhaite qu’une chose qu’il découvre le véritable amour. Celui pour qui on pourrait donner sa vie et celui avec lequel on pourrait tout partager. Pour ma part, je serai et resterai l’épaule sur laquelle il pourra venir s’épancher. Il est essentiel à ma vie, c’est une évidence. Il m’accompagnera dans les quatre coins de France ou du monde à chaque seconde. Il est un ami, celui qu’on appelle quelles que soient les routes empruntées. Je l’aime avant tout pour ce qu’il est et sera, un homme formidable.
Quand je reviens sur la terrasse, Marius et Arthur sont toujours en grande conversation, je les aperçois rire. Je m’empare de mon portable et décide de capturer les émotions dessinées sur leur visage. L'aîné partage son monde et le plus jeune accepte de l’écouter avec empathie. Je ne sais pas ce que je trouve le plus touchant, de découvrir que le vieux monsieur est peut-être mon grand-père ou de réaliser qu’Arthur est cet ami que je recherchais depuis toujours. Je m’approche de la table, m’installe entre les deux et à mon tour je tends une photo à Marius. Il la saisit délicatement dans ses mains et s’empresse de me dire :
- Elle a le même sourire que la première fois que je l’ai vue. Elle est telle que je l’ai gardée dans mon souvenir. Elle a ces étincelles mordorées qui ourlaient ses yeux et qui allumaient un feu d’artifice dans les miens.
- Comme je regrette qu’elle ne m’ait pas parlé de vous, parce que je pense que si j’avais été au courant, j’aurais tout fait pour qu’elle vous retrouve. Je ne lui aurais pas laissé le choix. Je me demande tout de même si en revenant ici il y a deux ans, elle n’avait pas au fond d’elle l’espoir de vous croiser.
- Elle m’avait fait promettre de ne jamais la recontacter. Tous les deux, nous étions mariés la dernière fois que nous nous sommes croisés, il y a quarante-cinq ans, dit-il avec un soupir qui s’étend.
En entendant les années précises de leur dernière rencontre, je réalise que cela correspond à l’âge de ma mère. Et si c’était ça le secret trop lourd à m’avouer. Joséphine était enceinte d’un autre homme, elle avait eu une liaison alors qu’elle était mariée et de cette incartade était née une fille. À l’époque, les mœurs et les convenances n’auraient jamais accepté un tel scandale dans une famille bourgeoise. Mais pourquoi n’a-t-elle pas décidé de retrouver l’homme qu’elle aimait, une fois le décès de son époux ? Toujours la même question m’obsède, ma mère est-elle au courant ? Si oui, pourquoi n’a-t-elle pas essayé de recontacter son père ? Est-ce que c’est pour cela que leur rapport était aussi tendu et sans chaleur ? Que je me souvienne, je ne les ai jamais vues se prendre dans les bras. Que dire de ce regard glacial qui habite ma mère et dont elle m’a enveloppé tant de fois, comme si elle me reprochait quoi que ce soit. Je veux en avoir le cœur net et l’appeler, avoir des explications. Enfin me les donnera-t-elle seulement ? Avant de passer ce coup de téléphone, j’ai le sentiment que je dois d’abord écouter Marius. Dans son regard, je perçois la même tendresse que celle que m’offrait ma grand-mère.
- Peux-tu me parler d’elle ? me demande-t-il.
- Et toi, veux-tu bien me raconter votre histoire ?
- Depuis le début ?
- Oui, je veux tout savoir.
Marius sort de nouvelles photos, je découvre des images de Joséphine adolescente au bord de l’océan et dans le jardin d’une grande maison. D’un côté assis dans l’herbe, son frère aîné et de l’autre côté se tenait droit et fier Marius, la même fossette au coin des lèvres. Ils avaient l’air si heureux.
- Nous nous sommes rencontrés avec Jean par hasard au bord de l’océan. Nous avions une quinzaine d’années. Nous aimions tous les deux pêcher et les grands espaces. Nous avons rapidement sympathisé et nous passions le mois d’août ensemble. Nous avions fini par convaincre nos pères respectifs de nous laisser camper seuls plusieurs jours. Nous appréciions de passer du temps ensemble, un peu comme toi avec Arthur. Jean était l'aîné de la famille. Joséphine restait avec sa mère malade. Elle ne la quittait que très rarement. Tout a changé lorsque Joséphine est venue seule pour ses seize ans, j’en avais dix-huit. Elle était dévastée. La même année, elle avait perdu sa mère et nous avions perdu Jean dans un accident de voiture. Nous nous sommes rapprochés cet été-là. Nous ressentions un vide absolu. Elle venait de dire au revoir aux deux êtres qu’elle aimait plus que tout et moi je disais adieu à mon meilleur ami. Son père n’était plus qu’un fantôme qui errait se confondant avec les murs blancs de leur maison secondaire. Pour changer les idées de ta grand-mère, je lui montrais les endroits que nous aimions tant avec Jean. Elle découvrait au travers de mes yeux son frère et moi dans les siens ceux de celui qui fut mon confident.
Marius a besoin de reprendre son souffle, tel un marathonien il approche de la moitié du parcours. Il pose ses lèvres sur la tasse pour les humidifier. Les souvenirs remontent à la surface à la recherche d’air, des paliers à franchir après tant d’années. Joséphine m’avait bien parlé de Jean et de sa maman, pourquoi avait-elle rayé Marius ?
- Si tu veux arrêter, je pourrais comprendre, murmuré-je.
- Non, j’ai envie que tu connaisses la suite. Si elle pouvait savoir comme je suis heureux de connaître mon autre petit fils.
Je le regarde avec des larmes dans les yeux, avec ses mots je découvre une nouvelle part de ma propre histoire. Arthur a posé sa main sur la mienne, une douce chaleur se diffuse en moi et m’apaise à nouveau. Je suis prêt à entendre la suite.
- Nous ne nous sommes plus quittés les trois années qui ont suivi. Elle venait à chaque vacances à la Rochelle et de temps à autre je la rejoignais à Paris. Elle essayait de me convaincre que la vie citadine n’était pas si désagréable. Je voulais y croire mais je ne pouvais me passer de l’océan. Je voulais la persuader qu’ici ce serait un port idéal pour un amour naissant mais je pense qu’avant tout elle ne souhaitait pas abandonner son père. Puis la vie nous a éloignés. Son père est parti en mission à New York et elle l’a accompagné. Nous avons continué à nous écrire quelques temps et pourtant je sentais que je la perdais. Les mots étaient plus froids, le papier me glaçait les doigts et les phrases s’écourtaient pour finalement être impersonnelles. Un soir, une lettre est arrivée m’annonçant qu’elle s’était mariée. Mon monde s’est écroulé. Je ne comprenais pas pourquoi l'annonce était si soudaine et surtout elle ajoutait que nous ne devions plus correspondre. Le coup de grâce.
Les yeux de Marius voyagent sur les différentes photos, son index caresse la joue de Joséphine avec l’envie de la ranimer. Je l’observe et hésite à le laisser poursuivre. J’ai peur de provoquer un mal être que je ne pourrais pas surmonter. Pourtant, je sais qu’il y a eu une éclaircie sinon je ne serais pas là aujourd’hui pour écouter mon grand-père. Encore une fois, Arthur vient à ma rescousse :
- Marius, dites-nous comment l’avez-vous retrouvée ?
- Un hasard, comme la vie aime à en offrir. Je devais monter à Paris pour le boulot, un simple crochet, une semaine seulement. Mon boss avait bien fait les choses, l’hôtel, le restaurant et quelques sorties touristiques, la Tour Eiffel, Notre Dame de Paris, le Louvre et le Musée d’Orsay. Elle était là, assise devant La Balançoire d’Auguste Renoir. Je me souviendrais toujours de son visage quand elle m’a vu. Elle est venue se blottir dans mes bras. Je n’en revenais pas, nous ne nous étions pas revus depuis sa dernière lettre, deux ans auparavant. Quand j’ai découvert les larmes inonder ses yeux, la plaie encore vive dans mon cœur s’est colmatée. Nous avons diné ensemble, elle m’a raconté qu’elle n’avait plus jamais reçu de courrier du jour au lendemain. Elle ne comprenait pas pourquoi j’avais fait la sourde oreille. Puis, son père lui a dit qu’il avait appris mon mariage, ce qui évidemment n’était absolument pas vrai. Elle comprit ce qu’il avait manigancé dans son dos. Quelque part, il devait estimer que je n’étais pas assez bien pour elle. Il n’avait peut-être pas tort, j’étais avant tout un rêveur. Tout s’est accéléré, nous nous sommes retrouvés dans ma chambre d’hôtel. La suite je vous laisse l’imaginer, nous avions besoin de l’un de l’autre, nos corps n’ont pu résister, nos âmes se sont emmêlées. Nous voulions rattraper le temps qui nous avait été volé. Je savais qu’elle était mariée, que si notre relation était découverte, elle serait perdue. Mon travail me permettait de remonter à Paris une fois par mois et nous nous donnions rendez-vous. Par chance, son époux était souvent en déplacement. Nous avons vécu ainsi pendant une année, pas de promesse juste des moments tendres. Nous étions bien ensemble. Et un soir de janvier, elle m’a avoué qu’elle ne pouvait plus mentir ainsi, qu’elle le trahissait mais à l’époque on n’envisageait pas de divorcer. Alors nous avons partagé une dernière nuit et nous nous sommes dit adieu sur le quai d'Austerlitz, la cicatrice s’est ouverte plus profondément et plus vive.
Arthur hésite avant d’ouvrir une nouvelle fois la bouche. Vaut-il peut-être mieux s’arrêter là ? C’est sans compter que Marius ressent l'envie de tout nous raconter.
- Un mois plus tard, j'ai reçu une dernière lettre magnifique.
- Vous l’avez encore ? demandé-je sans hésiter.
Quel idiot je fais parfois ! Forcément qu’il l’a gardée, il a conservé toutes les photos.
- Oui, je peux te la montrer si tu veux.
- Non, elle vous appartient à tous les deux. Je pense qu’elle n’a jamais cessé de t’aimer, ajouté-je. Je commence à comprendre pourquoi elle m'emmenait chaque année visiter le musée d’Orsay. C’était toujours à la même date, il m’est même arrivé de rater les cours pour ne pas rompre la magie de ce rendez-vous. Nous restions assis devant le tableau sans parler. Ensuite, nous mangions dans un petit café en bord de Seine : la Tour de la Lanterne.
- La tour de la Lanterne, laisse échapper Marius du bout des lèvres.
Arthur n’en revient pas, nous l’avons dit en même temps.
- Victor, tu te rends compte. Joséphine t’a raconté son histoire d’amour...
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