Chapitre 42 : Samy "Nuit au CHU."
Voilà plus d’une heure que je suis arrivé aux urgences. Après plusieurs radios de contrôle et un scanner, je patiente, allongé sur un lit. La chambre est digne de toutes les suites d’hôpital, impersonnelle et aux murs blancs déprimants. La seule fenêtre de la pièce donne sur un mur. J'essaie de faire mon propre état des lieux, bouge lentement mes jambes et mes bras et ne ressent aucune douleur particulière. Les seules traces de mon accident sont sur ma tête d’après le médecin qui vient de me quitter. Une grosse bosse présente sur l’arrière de mon crâne est garnie de deux entailles sur le cuir chevelu qui ont demandé cinq points de suture. Le jeune interne m'a ausculté et m'a précisé que les cicatrices ne seraient pas visibles sous sa tignasse. Par contre, il m'a demandé de rester sage pour cette nuit. Le lieu est ce qu’il est mais j'ai subi un sacré choc et il préfère ne pas me relâcher dans la nature.
- Coucou, comment tu te sens Samy ? dit une voix féminine en entrant avec un verre d’eau et deux comprimés.
- Bien mieux, enfin il me semble.
- Oui le docteur a dit que tu l’avais échappé belle, mais tu as le crâne dur, me rajoute l’infirmière. En attendant, avale tes anti-douleurs pour la soirée et si nécessaire tu appuies sur le bouton. Au fait, une de tes amies attend de savoir si elle peut rentrer.
- Sophie ?
- Oui. C’est le prénom qu’elle m’a donné. Par contre pas plus d’un quart d’heure, ensuite les visites sont terminées.
Sophie entre, dans ses mains, une boisson chaude et un cookie.
- J’ai vu avec le personnel médical, ils m’ont assuré que tu allais bien. Je voulais m’en rendre compte par moi-même. J’ai aussi prévu une collation, j’ai pensé que tu devais avoir faim. On sait tous que la bouffe à l’hosto, c’est moyen.
- Oui, c’est clair que la soupe à l’eau c’est pas génial, mais cela fera bien l’affaire. Puis je penserai au pique-nique que vous partagerez sur la plage. Au pire vous m’enverrez une ou deux photos pour me faire saliver, dis-je tout en frottant mon ventre.
- Avec Alexandre et Maël, nous avons décidé que cela attendrait demain soir pour que tu puisses être avec nous. Si bien-sûr le médecin t’autorise à sortir. Rien ne presse.
Je ne sais quoi répondre à une telle marque d’affection.
- Tout va bien ? s’inquiète la jeune femme découvrant les perles qui glissent sur mes joues
- Oui, juste un coup de mou. J’ai eu ma maman au téléphone avant que tu n’arrives. J’ai entendu son inquiétude. Je la connais, une fois qu’elle aura raccroché, elle n’aura pas pu retenir ses larmes. Je ne veux pas qu’elle se fasse du souci pour moi.
- Oh, je pense qu’elle t’aime énormément et qu’elle a dû se faire des films. Mais tu l’as rassurée et tu es entre de bonnes mains. Si tu as besoin de quoi que ce soit, n’hésite pas, appelle-nous à n’importe quel moment de la nuit.
Sophie attrape son portable, me sourit et prend une photo :
- Tiens quand tu auras récupéré le tien, tu pourras l’envoyer à ta famille.
Alexandre apparaît à son tour avec le téléphone de Samy dans les mains.
- J’arrive juste à temps pour le cliché de nos bouilles, enfin je ne fais un selfie que si je peux tirer la langue ou faire une grimace, dit-il en éclatant de rire.
- Moi, je suis partant, réponds-je hilare, vu ma tête je n’aurai pas de mal à faire le clown.
Le couple s’assure que j'ai tout ce dont j'ai besoin pour la nuit puis s’éclipse.
**
Il est minuit quand je me réveille en sursaut et en nage, des gouttes de sueur dégoulinent le long de mon dos. Mon corps tremble, les battements de mon cœur jouent une mélodie que je n’arrive pas à contrôler. Ma bouche est sèche, j'essaie de trouver un peu de salive pour déglutir. Je viens de faire un cauchemar et de revivre en accéléré les dernières heures de mon après-midi. La lumière de la rue vient se refléter sur mes mains croisées sur mon ventre. Je joue de ce contraste pour dessiner des ombres chinoises. Ce petit rien ourlé de noir m’apaise. J'attrape le verre posé sur la table à côté de mon lit, bois une première gorgée lentement puis vide le reste de la carafe dans mon gosier. Je reprends mon souffle et passe mes doigts dans mes cheveux. Le mal de tête s’estompe et mon rythme cardiaque ralentit. Je pousse le drap pour offrir à mon corps un peu de fraîcheur, me redresse et m’assoit au bord du lit. Au contact du carrelage frais, une décharge électrique remonte le long de mes mollets. Une fois debout, je me sens nauséeux et le sol semble se dérober sous mes pieds. Je me retiens au bord du lit, de peur de tomber. C’est à ce moment-là que l’infirmière de nuit entre dans ma chambre.
- Samy, tout va bien ? Je t’ai entendu crier.
- Oui, je pense. J’ai la tête qui tourne, mais ça va aller.
- Tiens, prend mon bras, je t’accompagne si tu veux, me propose-t-elle avec un sourire.
- Non ça ira, dis-je mal à l’aise de devoir dépendre des autres.
- Rassure-toi, je ne resterai pas, dit la soignante pour me taquiner.
- Je veux bien alors, je pense que ce sera plus prudent.
Après m'avoir bordé et s’être assurée que tout est en ordre, elle referme délicatement la porte. Je saisis mon portable pour regarder les dernières photos que j'ai prises et envois celle de la Tour de la Lanterne où on peut voir le papillon. Aussitôt ai-je cliqué sur envoi qu’en retour je reçois une réponse de Maël "Eh bien monsieur ne dort pas" , il ajoute un smiley clin d’œil qui tire la langue. "Y-a-t-il un bel infirmier pour te chaperonner ?" "Non même pas, mais l’infirmière est vraiment très sympa, si tu veux je lui donne ton numéro qui sait elle pourrait te plaire. Et toi, tu veilles aussi ?". Cette fois la réponse n’est pas instantanée.
J'en profite pour faire un second message à mes parents avec le selfie de Sophie et Alexandre, accompagné d’un mot plus long « Maman rassure-toi, on s’occupe bien de moi. N’oblige pas papa à prendre la route à cette heure pour rallier la Rochelle. Ce serait imprudent et c’est moi qui m’inquiéterais en retour. J’ai trouvé des personnes bien comme tu peux le voir sur la photo et ils ont géré. Je sais que tu te fais un sang d’encre, mais fais moi confiance comme tu l’as fait à chaque fois que tu m’as laissé voler de mes propres ailes. Si Sarah, vous as rejoints dans le lit comme j’aime à l'imaginer, offre lui un bisou papillon de ma part. J’espère que je n’ai pas gâché sa soirée cinéma, mais peut-être que raisonnablement tu ne lui as pas parlé de mon accident stupide. Je m’en veux, moi qui ne cesse de lui répéter de regarder à droite, à gauche et encore une fois à droite avant de marcher sur les bandes blanches. Je ne sais pas pourquoi je ne me suis pas appliqué cette recommandation. Pourtant quand je suis sur mon vélo, je suis plus prudent. À pied, j’ai oublié les règles essentielles. Si papa dort, dis-lui à l’oreille que je l’aime tout autant que toi. Allez mes yeux se ferment, la fatigue s’invite aussi je te laisse. Prenez soin de vous, comme tu veux que je prenne soin de moi. Je pense fort à vous chaque jour et ne vous remercierai jamais assez de m’avoir offert cette belle aventure. Bisous ». J'appuie sur envoi et attend de voir si une réponse suivra.
J'espère au plus profond de moi que mes parents ne sont pas en voiture à avaler les kilomètres. Perdu dans mes pensées, je refais mon chemin en vélo jusqu’à La Rochelle et les belles personnes découvertes à chaque étape. Une notification me ramène dans ma chambre du CHU. C’est Maël : " Tiens je t’envoie une photo de notre barbecue improvisé chez Marius, qui te salue et te souhaite un bon rétablissement. Tu ne me croiras pas mais tu sais que je suis avec mon cousin. Oui, inimaginable, je viens de découvrir son existence après un quart de siècle. Mon grand-père a eu une fille d’un premier amour et elle a mis au monde un petit gars. Enfin, ce soir c’est un môme de vingt ans, il s’appelle Victor. Encore plus étrange, il est venu de Paris en vélo. Allez, je ne t'embête plus, Alexandre me souffle à l’oreille que tu as besoin de te reposer. Dors bien mon ami, je viens te chercher avec Alexandre demain dès que tu peux sortir. Tu me présenteras la jolie infirmière. Tu nous manques et on pense fort à toi ».
J'appuie pour visualiser la photo qui a du mal à se télécharger quand je reçois un deuxième SMS : « Coucou mon Samy, rassure-toi papa dort paisiblement depuis que je lui ai lu ton message. Nous ne prendrons la route que si tu nous le demandes. Sarah est heureuse d’avoir pu aller au cinéma comme une grande pour visionner Avatar. Elle est revenue si enthousiaste. Elle a dit à ses copines que le monde que tu dessinais était encore plus magique. J’ai pu voir tes derniers croquis, si tu savais comme je suis tellement fière de toi. Ta petite sœur a raison, tu as ça dans les veines. Tu es un artiste et si tu as besoin de découvrir notre monde pour le rendre plus féerique alors n’hésite pas. Maintenant, je peux m’endormir à mon tour et rêver de notre dragon planant sur notre maison des Pyrénées. Samy, je ne te le dirai jamais assez, je t’aime et mon cœur déborde de bonheur quand tes yeux brillent. Sur la dernière photo que tu as envoyée même si ta tête est un peu cabossée, des étincelles pétillent dans tes iris. Je suis tellement heureuse de voir mes enfants grandir et devenir à leur tour de belles personnes. Dors, mon bébé dort … Gros bisous d’une mère à son plus tendre des enfants ».
L’émotion m'envahit, les paroles de cette chanson de Jean Jacques Goldman ont bercé mon enfance et je les mets sur son portable. Puis le pose à côté sur la table de chevet. Je m’imagine dans les bras de ma mère au chaud …
Dors bébé, dors
Bébé dors, il pleut dehors, dors encore
…
Et moi, j'écoute les bruits de vos silences
Dans notre îlot de chaleur et de confiance
…
C'est tout juste à l'aube et demain
Paresse un peu ce matin
Et moi pendant que je veille
Je surveille vos sommeils
Si vous saviez comme vos sommeils
Veillent sur mes trop longues veilles.
Les paroles me bercent, mes paupières sont lourdes, ma respiration apaisée, Morphée m'emporte quand la notification de la photo s’ouvre …
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