Chapitre 53 : Victor, je t'....

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Me voilà installé depuis plus d'une heure sur un transat. Il m'a fallu moins de temps pour finir trempé par les éclaboussures des adolescents barbotant dans la piscine. En passant ma main sur mon visage, je constate que mes larmes inondent mes joues. Je regarde autour de moi à la recherche de sa silhouette, espérant qu'il ait fait demi-tour. Dans ma tête, les émotions s'entrecroisent, se mêlent et se mélangent. Je suis cette pelote de laine avec laquelle le chat aime jouer. Aimer, mais c'est quoi finalement ? Est-ce seulement apprécier une chose par tous les temps ? Est-ce que le matou s'éclaterait avec un bout de ficelle sous une pluie battante ? Est ce que le félin chercherait à rattraper la boule si un chien lui courait après ? Que choisirait-il entre l'objet futile ou le plaisir de dévorer la souris aventureuse qui le narguait ? Amour avec un grand A, n'est ce pas s'interroger éternellement ?

Si mes parents sont mes modèles alors je ne suis pas sorti de l'auberge, entre celui qui m'ignore et celle qui me dégoûte. Finalement le "a" devient minuscule jusqu'à être synonyme d'abandon. Ma grand-mère a sacrifié ce mot pour le métamorphoser en quelque chose de moins précieux avec son époux. L'aimait-elle où se contentait-elle de vivre à ses côtés par respect ? Aujourd'hui, j'observe au loin Joseph et devant mes yeux s'étale le bonheur d'être deux. Sa tendresse déborde de ses mains à celles de sa femme. Ils ne peuvent pas se croiser sans échanger des gestes doux. L'amour est si simple dans cette maison. Marius, mon grand père, pose son regard fier sur son fils Joseph et un attendri sur son petit-fils Maël. Chacun est l'écho de l'autre. Depuis une semaine, je découvre la même attention, j'ai déposé mes valises et ils m'ont dorloté avec gentillesse et respect. Aucun jugement, juste des mots compréhensifs et des paroles chaleureuses.

Qu'est-ce que j'ai fait ? Pourquoi je reste les fesses sur cette terrasse ? Je n'ai qu'à prendre mon vélo et le rattraper. Mais quelle direction prendre ? Je n'ai pas vu son itinéraire et nous n'en avons pas parlé, pour éviter de faire du mal à l'autre. Quel imbécile je suis ! Maintenant, il est trop tard pour faire machine arrière. Si je l'appelais. Non. Trop dangereux. Il roule et je pourrais le distraire avec la sonnerie. Je me souviens, il m'a dit que sur le vélo, son téléphone était sur vibreur pour ne pas être déconcentré. Si je tarde trop...

- Victor, arrête de cogiter, me dit Arthur tout en m'aspergeant. Viens te baigner, ça te changera les idées.
- Tu as raison, pourtant...
- Tu n'arrives pas à te le sortir de la tête.
- Il me manque ...
- Il est parti il y a à peine une heure, qu'est-ce que t'attends ? Bouge, rattrape le.
- Mais s'il ne veut pas ?
- Eh bien, tu viendras te baigner pour noyer ton chagrin.
- J'ai assez bu la tasse, pas sûr que j'apprécie un bol de plus.
- Mais ouvre les yeux, il est raide dingue de toi.
- Qu'est-ce que tu en sais ?
- Mon petit doigt me l'a dit.
- Déconne pas...
- Si je te promets. D'ailleurs, il y a son pote l'index qui le confirme.
- T'es pas drôle là.
- Allez, j'arrête de taquiner. Fonce, ne passe pas à côté de quelque chose de magique.

Je ne laisse pas le temps à Arthur de me faire l'éloge du mec qui me rend dingue. Pas besoin. Je pourrais en écrire des pages et des pages. Mon ami a raison, j'ai encore une chance de le rattraper, il faut que je parte tout de suite.

- Victor, m'interpelle Maël.
- C'est urgent ?
- Pourquoi ? Où vas-tu ?
- Rattraper le temps perdu.
- Avant, tu devrais peut-être ouvrir cette enveloppe. Samy, me l'a confiée avant de filer. J'ai oublié de te l'apporter, papa avait besoin de moi.

J'ai le souffle court, très chaud et les jambes en coton. J’e l'ouvre et découvre un dessin, un de ses croquis avec sa signature, inimitable et magnifique. Le dragon semble sortir du papier prêt à m'envelopper de ses grandes ailes. Mes mains sont moites, je tremble. Quel maladroit ! Je laisse échapper la feuille. Pas de bol, un coup de vent l'emporte en direction de l'eau. J'essaie de la rattraper avant l'irréparable. D'un bond je plonge et glisse dans la piscine. La gerbe faite par mon plat fait glousser les jeunes. Arthur et Maël s'observent et résistent tant bien que mal à l'envie d'éclater de rire . Ma figure artistique n'a laissé personne indifférent. Je tiens bien haut la feuille.

- C'est bon , tout va bien, rassurez-vous. J'assure.
- T'es sûr, enfin si tu voulais te rafraîchir tu aurais dû le dire, me dit Arthur.

Il m'attrape la main pour m'aider à remonter. Je le regarde dans les yeux et souris. Maël avec bienveillance me tend une serviette et saisit la lettre pour l'étaler sur la table afin qu'elle sèche un peu. Joseph, alerté par le vacarme, arrive suivi de près par Marius. Toute la petite troupe dessine autour de moi mon bouclier de protection, le papillon entre dans son cocon. Assis, le petit bout de feuille dans mes mains, je décrypte les mots s'étaler. L'encre a coulé des doigts de Samy et ses phrases se déversent en pluie fine sur mon être. Deux paires de bras me serrent fort, une étreinte fraternelle formidable. Ils m'offrent un tel réconfort, je sens mes barrières fondre et mes ailes pousser.

- Allez fonce, murmure Arthur à l'oreille.
- Vas-y mon frère. Rattrape-le, ajoute Maël.

Dans mes mains, ces quelques mots sauvés de la noyade : " ... un lien fort entre nous s'est tissé, nos routes se sont croisées, nous avions besoin de trouver notre âme sœur... Plus de doute dans mon coeur un papillon est tatoué, il est synonyme de bonheur. Tu es mon phare, tu guides mes pas. Tu es mon étoile du berger, je la suivrai pour ne jamais m'égarer. Ton sourire illumine mes nuits, quand mes rêves deviendront cauchemars, tu sauras sécher mes larmes. Tu es mon tout quand je ne suis rien. Tes mots sont mon île aux trésors, tu as su trouver la clé de mon coffre. Je ne raconterai pas aussi bien les histoires que toi, je voudrais seulement que tu écrives nos aventures. L'amour a la couleur de tes yeux, le parfum de tes cheveux, la chaleur de ton sourire, il bat au rythme de ton cœur, il est l'écho du mien. Victor, je t'...."

La fin s'est évaporée pourtant plus aucun doute, il faut que j'aille le retrouver et je sais maintenant qu'il n'est pas très loin de moi. J'espère juste qu'il m'aura attendu et ne se sera pas envolé.

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