Acte I. Scène 1

6 minutes de lecture

Dimanche 27 février 2022 – 10h00

MAUDE : Zut ! Il n'y a plus de café.

GABIN : Depuis quand tu aimes le café, Maude ?

MAUDE : Je n'aime pas le café, Monsieur Gabin qui se croit malin. Mais toi tu aimes le café, et moi je t'aime toi.

GABIN : Plus autant qu'avant.

MAUDE : Et qu'est-ce qui te fait penser que je ne t'aimerais plus ? C'est parce que je te laisse aller seul à l'anniversaire de ta cousine ? Tu te sens abandonné ?

GABIN : Je voulais dire que je n'aime plus le café autant qu'avant. Mais puisque tu en parles, c'est vrai que tu m'abandonnes plus qu'avant, Madame Maude la crapaude.

MAUDE : Ça, c'est un sujet qu'il faut approfondir. Mais priorisons les priorités. Pourquoi tu n'aimes plus le café ? Et puis déjà : crapaude ? vraiment ?

GABIN : Pardonne-moi mon manque d'inspiration, mais ce n'est pas évident les rimes en aude. Alors que toi, tu n'as que l'embarras du choix.

MAUDE : Et bien, Monsieur Gabin le poussin, sache que je me serai très bien contentée d'un titre honorifique comme Maude la finaude, par exemple.

GABIN : Je commence à avoir du mal à le digérer, je crois.

MAUDE : Ma finauderie est pourtant un mets délicat, extrêmement digeste.

GABIN : Je parlais du café. Il devient quelque peu moins digeste que tes propos malicieux.

MAUDE : Mes propos malicieux gardent ta faveur, mais le café et l'abandon tu as du mal à les digérer, si je comprends bien ?

GABIN : Je n'ai jamais dit ça. Enfin, pour le café, si, mais pas pour l'abandon. Je pense que je vais me limiter à une tasse par semaine.

MAUDE : Une tasse d'abandon par semaine, c'est noté. Je ferais en sorte que votre volonté soit faite, Monsieur Gabin le tremplin.

GABIN : Le tremplin, vraiment ?

MAUDE : A t'en croire, utiliser le premier mot qui passe par l'esprit est parfaitement acceptable.

GABIN : Très bien, Madame Maude l'esquimaude. Sachez donc que le fait que vous m'abandonniez ce jour ne me cause aucune aigreur à l'estomac, mais donne cependant lieu à quelques interrogations dans un autre de mes organes. Si un indice vous est nécessaire, il s'agit de celui perché tout en haut, dans ma boîte crânienne.

MAUDE : Si le locataire de ta boîte crânienne s'agite et marche de long en large pour comprendre pourquoi je t'accompagne de moins en moins souvent quand tu viens voir ta famille, je devrais pouvoir te donner quelques mots à lui faire avaler pour le calmer.

GABIN : Dois-je comprendre l'expression "à lui faire avaler" comme une indication concernant la véracité de ces mots que tu vas me donner ?

MAUDE : Tu dois juste le comprendre comme une indication de leur caractère médicamenteux par rapport aux maux dont souffre petit Gabin le lutin de la boîte crânienne.

GABIN : Et quels sont donc ces mots magiques ?

MAUDE : S'il te plait ?

GABIN : Merci, de rien, à tes souhaits. Non, rien ne fait. Le lutin s'agite toujours autant.

MAUDE : Je t'aime toujours autant. J'aimerais passer la journée avec toi. Mais c'est juste que je n'ai pas spécialement envie de passer du temps au milieu de ta famille. Je ne m'y sens pas spécialement à l'aise, si tu veux tout savoir.

GABIN : Joséphine t'adore vraiment, pourtant.

MAUDE : Joséphine est très gentille. Enfin, ce n'est peut-être pas le couteau le plus aiguisé du tiroir, mais passer du temps avec elle n'est pas désagréable.

GABIN : Pourquoi te sentirais tu mal à l'aise, alors ? Mes parents t'adorent aussi. Probablement même qu'ils sont plus satisfaits de toi que de moi, d'ailleurs. Mais bon, c'est probablement car moi, ils estiment que je leur dois quelque chose, pour les remercier de m'avoir élevé, payé des couches et des petits pots, emmené à la garderie ou que sais-je. Mais toi, tu ne leur dois rien, alors ils sont moins exigeants je suppose.

MAUDE : C'est en partie pour ça que je suis mal à l'aise. Ils te font des critiques trop souvent, mais ils ont une façon de le faire qui est dérangeante. Ils manquent de légèreté, leur façon de te faire remarquer tes défauts n'a rien d'enjoué. Et j'ai l'impression qu'ils n'arrivent pas à comprendre qu'on puisse voir les choses différemment. Pour eux, il faudrait que je te défende sur absolument chaque point on dirait. Dès que je vais dans leur sens sur un de tes petits défauts, ou que je ne les contredis pas, ils se mettent à croire que je ne t'aime plus, ou à s'en inquiéter. Je me sens observée, jugée, comme s'ils voulaient toujours vérifier que je ne vais pas te quitter au petit matin.

GABIN : Ils ont juste du mal à comprendre qu'on puisse m'aimer pour ce que je suis, je pense.

MAUDE : Tes parents t'aiment, pourtant.

GABIN : Oui mais parce qu'ils sont obligés. Enfin non, peut-être pas. Mais disons qu'ils ont été collés avec moi, et on finit par s'attacher avec le temps. Mais toi, rien ne t'a forcée à te mettre à la colle avec moi. Alors ils ne comprennent pas.

MAUDE : L'attachement est pourtant le même. Je peux dire que tu ne sais que critiquer ou que tu es un gros capricieux, sans pour autant t'en tenir rigueur.

GABIN : Ce serait malvenu de te part de m'en tenir rigueur, vu que tu es pire que moi sur ces points.

MAUDE : Et pourtant ça ne veut pas dire que je ne suis jamais dérangée par certaines de tes critiques ou certains de tes caprices. Mais je peux me plaindre de l'une ou de l'autre sans me plaindre de ta personne en intégralité. Et même d'une certaine manière sans me plaindre d'aucune part de ta personne. Enfin si, mais non.

GABIN : Tu m'étonnes que mes parents aient du mal à comprendre. Même moi, j'ai du mal.

MAUDE : C'est simple pourtant, on peut aimer le vert sans aimer ni le jaune ni le bleu.

GABIN : Et que veulent dire ces propos sibyllins ?

MAUDE : Que les caractéristiques d'une personne ne sont pas une valeur en soi. Ce n'est pas parce que l'on n'aime pas l'une ou l'autre que l'on n'aimera pas le couple qu'elles forment. C'est juste que ce n'est pas une somme, c'est un mélange. On peut aimer le mélange sans aimer les composantes.

GABIN : Heureux de savoir que tu n'aimes pas mes composantes.

MAUDE : Tu comprends très bien ce que je veux dire. Je peux aimer les composantes sans aimer les sous-composantes. Ou aimer les composantes en tant que partie du tout, sans perdre ma capacité à les critiquer indépendamment. C'est juste que…

GABIN : C'est juste qu'on peut aimer le tout sans aimer les parties. Juste qu'on peut aimer quelqu'un sans avoir besoin de s'aveugler sur quoi que ce soit.

MAUDE : Exactement. Et ça va plus loin que ça. On peut se taquiner, se critiquer, même se réprimander, ou parfois mal se parler ou même se disputer. On peut tout ça, sans que ça veuille dire qu'on en a marre l'un de l'autre. Au contraire même. Plus je t'aime, plus je me sens bien avec toi, et plus je me disputerai avec toi.

GABIN : Quelle belle déclaration, promesse, ou devrais-je dire menace ?

MAUDE : La personne qu'on aime, et qui nous aime en retour, c'est celle avec qui on a une dérogation pour ne pas mettre les formes. On peut dire les choses comme on les ressent en sachant que l'autre sait que ça ne change rien au fait qu'on l'aime.

GABIN : Tu devrais te proposer pour écrire des cartes de Saint-Valentin.

MAUDE : Elles feraient fureur, j'en suis certaine. Rares sont les gens heureux en amour, j'ai l'impression. Mais j'ai surtout l'impression que c'est parce que les gens prennent l'amour trop au sérieux.

GABIN : Peut-être parce que c'est important.

MAUDE : Bien sûr que c'est important ! C'est peut-être le plus important. Mais les choses importantes sont justement celle qu'il ne faut pas prendre au sérieux. Le sérieux tue. Il enlève la vie. Et les choses importantes, si tu les vides de leur vie, elles deviennent fades, ternes, dépourvues de saveur. Et un amour sans vie et sans saveur, je ne suis pas sûre d'avoir envie de lui accorder de l'importance.

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