Environ deux mois plus tard – Samedi 1er mai 2021

CHARLOTTE : Enchantée, Maude. C'est le cas de le dire. Tu ne peux pas savoir à quel point je suis contente de te rencontrer. Quand Gabin m'a dit qu'il avait trouvé un appartement, j'étais contente. Mais quand il m'a dit qu'il avait aussi trouvé une petite amie, j'étais absolument enchantée. C'est vraiment le mot.

MAUDE : Je suis aussi très contente de vous rencontrer, Madame.

CHARLOTTE : Ah pas de ça ! Appelle-nous Charlotte et Thierry. Après tout, si tu avais été juste sa colocataire, c'est ce qu'on t'aurait dit de faire.

MAUDE : Mais là, c'est un peu différent.

GABIN : Tu lui mets un peu la pression, Maman. Ça ne fait même pas un mois qu'on est ensemble, c'est tout nouveau.

THIERRY : En tout cas, moi je suis tout autant enchanté de rencontrer mademoiselle. Si je comprends bien, ça a été le coup de foudre ?

GABIN : Je ne pourrais pas parler pour Maude, mais je dirai que c'était plus comme un coup de vent.

MAUDE : Un coup de vent ? Je dois le prendre comme une annonce de rupture ? Devant tes parents en plus, c'est un peu indélicat.

CHARLOTTE : Mais enfin, Gabin !

GABIN : Maude plaisante. Elle sait très bien que ce n'est pas ce que je veux dire. C'était un coup de vent dans le sens où c'était plus comme quelque chose qui nous a emportés. Enfin, qui m'a emporté, moi, en tout cas. Je me suis laissé porter par nos échanges, nos rires, la vie avec elle. Et ensuite j'étais là, à dix kilomètres de mon point de départ. Obligé de conclure qu'il y avait autre chose, que j'étais à un autre endroit. Sans vraiment trop avoir compris ce qui s'était passé, comment on en était arrivé là. Mais en même temps en trouvant tout ça parfaitement évident.

MAUDE : C'était nous et pas juste lui. Je confirme.

THIERRY : Mais enfin, quand même, un coup de vent, est-ce que ce n'est pas un mauvais présage ? C'est quelque chose qui ne dure pas, un coup de vent.

GABIN : Parce qu'un coup de foudre, c'est connu pour être quelque chose qui dure ?

THIERRY : Faites attention, quand même. Un nouveau coup de vent pourrait si facilement vous emporter dans un autre sens. Tu verras, Maude, que Gabin n'a pas que des qualités.

MAUDE : J'ai déjà eu l'occasion de le voir. Et je suppose que c'est aussi ça qui m'a charmée.

CHARLOTTE : Eh bah ça ! Si je pensais entendre des choses pareilles ! En tout cas, j'espère très sincèrement que ça va fonctionner entre vous.

GABIN : Parce qu'elle ne veut pas me récupérer à la maison.

CHARLOTTE : Mais non, pas du tout. On est juste très heureux pour vous. On est très contents que Gabin ait enfin trouvé chaussure à son pied ; ce n'est pas le garçon le plus facile.

THIERRY : Mais tu peux le prendre comme un compliment pour toi, Maude. Si tu as trouvé grâce à ses yeux, ça veut dire beaucoup de choses. Il est tellement exigeant.

MAUDE : Je suis assez exigeante aussi, alors, je suppose que Gabin peut le prendre comme un compliment envers lui. Et vous aussi, indirectement.

THIERRY : Mais quand même, cette histoire de coup de vent, c'est très étrange ; très instable. C'est la précipitation des sentiments qui naissent. Une histoire qui marche, c'est surtout des efforts et des compromis, vous savez ? Il faut vous apprêter aux difficultés qui vont survenir. Quand vous allez commencer à voir ce qui ne vous plait pas en l'autre, à avoir des différends. Il faut vous serrer les coudes, apprendre à communiquer. Ce n'est pas une mince affaire.

GABIN : Je crois qu'on communique plutôt pas mal.

MAUDE : Si on considère le sarcasme comme un mode de communication.

CHARLOTTE : Pardon ?

MAUDE : Je plaisante, Madame, Charlotte. Gabin et moi ne faisons que ça, communiquer. A longueur de temps. Souvent sur le mode de la plaisanterie, c'est vrai. Mais ça ne veut pas pour autant dire qu'on ne serait pas capables de parler des choses importantes, ou de se dire les choses qui fâchent. Au contraire même, je dirais qu'on en serait d'autant plus capables grâce à ça.

CHARLOTTE : L'amour, c'est important. Bien sûr c'est les débuts, ça doit être léger. Mais avec le temps, ça le devient moins. Tout ne peut pas être que plaisanterie. Il y a aussi des choses qui doivent pouvoir être prises au sérieux.

MAUDE : Croyez bien que je prends tout ça très au sérieux.

GABIN : Et moi aussi. Mais nous n'allons pas nous amuser à jouer une tragédie si tout va bien. Nous n'allons pas nous mettre à crier au loup ou à convoquer un tribunal chaque fois qu'un cheveu tombe sur le tapis. Il y a peut-être des choses qui peuvent être traitées dans le registre de la comédie, avant d'en arriver à se transformer en tragédie.

MAUDE : Je dirais même que les choses ne sont tragiques que si on le leur en donne le statut.

THIERRY : Vous êtes jeunes, vous êtes naïfs, idéalistes. C'est normal à votre âge. Mais en tout cas, gardez juste en tête que l'arrivée des difficultés ne doit pas être interprétée comme la fin de l'amour. Et, sachez que si vous avez besoin de conseils ou de quoi que ce soit, je suis là.

MAUDE : Et moi qui trouvais Gabin parfois un peu cynique, savoir qu'il est considéré comme naïf et idéaliste m'en bouche un coin.

THIERRY : Cynique, mon Gabin ? C'est un agneau. Quand il est difficile, c'est par caprice d'enfant qui considère que les choses devraient être autrement. Cynique, il n'y a rien de plus loin de sa personnalité. Vous êtes sûrs de vous connaître ?

MAUDE : Ça doit juste être que je suis encore plus idéaliste que lui, alors. Je trouve juste que Gabin est tout à fait conscient des réalités du monde : que ce soit le fonctionnement de la société, ou celui des relations. Je pense que nous n'aurons pas besoins de vos conseils, parce qu'on ne s'est jamais aveuglés sur quoi que ce soit.

GABIN : On sait très bien que rien, même se laisser porter par un coup de vent, n'est facile ou évident. C'est juste que, si on veut tous les deux aller dans le même sens et aller dans le sens du vent, je ne vois pas pourquoi on n'y arriverait pas. Si on est prêts à discuter des choses sans leur donner des proportions effrayantes et sans perdre notre euphorie et notre joie d'être ensemble, pourquoi ce serait naïf ? Pourquoi ce serait plus bête que tous ces imbéciles qui se font des scènes, créent des drames et se posent des ultimatums ? Rire ensemble des choses qui fâchent, ça me semble au contraire plutôt mature comme réaction.

CHARLOTTE : Vous verrez juste qu'on ne peut pas toujours rire de tout. Mais nous ne sommes pas là pour juger votre relation.

THIERRY : On veut juste vous mettre les pieds sur terre. Vous avez besoin de quelque chose de concret pour rester ensemble quand le vent ne soufflera plus.

GABIN : Quelque chose de concret comme quoi ?

THIERRY : Je ne sais pas : quelque chose comme une promesse, par exemple ; un engagement, une décision.

GABIN : Vous voulez que Maude vous promette, au bout d'un mois, de rester avec moi ? Histoire d'être sûrs de ne pas me récupérer à la maison ?

CHARLOTTE : Ne fait pas l'idiot, Gabin. On ne veut pas, nous, une promesse de qui que ce soit. Votre relation vous regarde, tous les deux. On vous donne juste des conseils pour la suite.

THIERRY : C'est toujours inquiétant de voir des gens sur un nuage.

GABIN : C'est fou, ça ! Dis-moi donc ce que tu entends par "sur un nuage" ?

THIERRY : Tu sais très bien ce que ça veut dire. Ça veut dire heureux ; béatement heureux.

GABIN : Je voulais juste te le faire dire : que tu trouves toujours ça inquiétant de voir des gens heureux. C'est fou, ça !

CHARLOTTE : C'est toujours inquiétant le bonheur : on a peur de le perdre.

GABIN : Mes parents citent des phrases dignes de blogs de collégiennes, mais c'est nous qui sommes de jeunes naïfs idéalistes. Je n'y crois pas !

MAUDE : Moi, je comprends ce que vous voulez dire. Mais justement, on ne doit pas laisser la peur gagner. On doit profiter du bonheur pendant qu'il est là, au lieu de le gâcher à s'inquiéter de le perdre. Et tant pis si c'est peut-être tout aussi digne d'un blog de collégienne, parce que c'est vrai quand-même.