Acte V. Scène 1
Plus d'un an plus tard – Lundi 5 septembre 2022
GABIN : Désolé de rentrer un peu tard, mais c'est avec une super nouvelle que je te rejoins.
MAUDE : C'est la dernière fois que tu rentres aussi tard ?
GABIN : Malheureusement, je ne peux pas te le promettre.
MAUDE : Dommage, parce que que ça, ça aurait été une super super nouvelle. Dis donc, c'est une rentrée sur les chapeaux de roues.
GABIN : Tu ne crois pas si bien dire : j'ai eu une belle augmentation.
MAUDE : J'aurais préféré que tu aies une belle réduction des horaires, mais on va faire avec. Félicitations, Gabin.
GABIN : Merci beaucoup.
MAUDE : Enfin, félicitations si c'est pour ton travail. Parce que si c'est un paiement pour te convaincre de passer un an de plus avec moi, il n'y a peut-être pas de félicitations qui tiennent.
GABIN : Non. Cette fois, c'est vraiment pour mon travail.
MAUDE : Parce que la dernière fois, ça ne l'était pas ?
GABIN : Si jamais c'était le cas, tu le prendrais comment ?
MAUDE : Si ma mère t'avait payé pour être avec moi ? Je trouverais ça extrêmement stupide de sa part, et encore plus de la tienne.
GABIN : Tu me quitterais ?
MAUDE : Je ne pourrais jamais te quitter Gabin, je suis beaucoup trop habituée à toi. Tu me verrais renoncer à cette complicité qu'on a tricotée au fil du temps et qui ne fait que se renforcer depuis ? Si j'apprenais que ma mère t'avait donné les aiguilles, je suppose que je pourrais te le pardonner. Par contre, si j'apprenais qu'en fait, tout ce tricot n'est qu'un tricot de mensonges, je suppose que je serais obligée de le jeter à la poubelle. Mais ça serait quand même un terrible gâchis, parce que c'était vraiment un super tricot.
GABIN : C'est vrai que c'est un tricot qui tient bien chaud.
MAUDE : Surtout au cœur.
GABIN : Et moi aussi, c'est un tricot qui me tient à cœur.
MAUDE : Et toi ?
GABIN : Je ne viens pas de te répondre que moi aussi ?
MAUDE : Je veux dire, et toi, comment tu réagirais si tu apprenais que tes parents m'avaient payée pour sortir avec toi ?
GABIN : Mes parents ne feraient jamais un truc pareil. Mais, Maude, il faut vraiment que je te dise qu'en fait, ce n'est pas tout à fait une blague. Mais ce n'est pas non plus ce que tu peux penser, un tricot de mensonges et tout ça. Après, je ne peux pas nier que ta mère m'a en quelque sorte donné les aiguilles.
MAUDE : Je le sais, bien sûr. Sans elle, jamais on ne se serait rencontrés.
GABIN : En un sens, c'est ça et c'est juste ça. Mais en un autre sens, c'est quand même un peu plus que ça. Après, au final, ça revient à ça. Parce qu'elle, ce qu'elle a enclenché, c'est juste la rencontre et l'occasion. Le reste, le tricot, la relation, les sentiments, tout ça, c'est vraiment nous.
MAUDE : Je la connais un peu, ma Maman. Je sais très bien qu'après ce fameux déjeuner, elle a dû pas mal te rebattre les oreilles en parlant de moi et en cherchant à insinuer des choses. D'ailleurs, tu me l'as dit à l'époque, qu'elle était toujours sur ton dos à savoir ce qu'il se passait entre nous.
GABIN : Oui, c'est vrai. Au final, je t'ai presque tout dit. Sauf peut-être l'essentiel. Et je sais que tu fais partie de ceux qui ont tendance à ne penser que ne pas absolument tout dire, c'est un peu comme mentir.
MAUDE : Franchement, quand il s'agit de toutes les remarques, questions et insinuations de ma mère, je te suis gré de ne pas tout me dire. La moitié du temps c'est à moitié sexiste, et l'autre moitié c'est juste pas ses affaires.
GABIN : Oui mais en fait, je n'avais vraiment pas les moyens pour cette colocation. Si ta mère m'a donné une augmentation à l'époque, c'était exprès pour que je puisse me le permettre.
MAUDE : Je le sais, ça.
GABIN : Oui, je sais que tu le sais. Mais je pense que si elle l'a fait, c'est vraiment parce qu'elle espérait qu'il se passe quelque chose entre nous. Enfin, je sais que c'est le cas.
MAUDE : Oui, je suppose que c'est totalement le genre d'hypothèses qui peut lui inspirer ce genre d'initiative. Mais après, en soi, l'idée d'augmenter ses salariés parce qu'ils ont un projet personnel qu'ils n'auraient pas les moyens de mener autrement, ce n'est pas une idée choquante ou un cas exceptionnel.
GABIN : N'empêche, moi, ça m'a mis un peu mal à l'aise. J'avais l'impression de te cacher quelque chose, ou de n'être pas totalement honnête, alors qu'en fait, en te parlant, j'ai l'impression que tu savais déjà tout.
MAUDE : Je ne savais pas tout, vu que je ne savais pas que tu avais l'impression de me cacher quelque chose. C'est peut-être ça, au final, le plus important.
GABIN : Mais en même temps, j'avais l'impression que, si je te le disais, ça serait plus un mensonge que la vérité.
MAUDE : Ce que tu dis n'a absolument aucun sens.
GABIN : Si, ça en a un. La vérité, c'est qu'en vivant avec toi, je me suis attaché à toi et j'ai développé des sentiments, que je me suis laissé embarquer comme toi dans ce coup de vent, que j'ai tricoté avec toi ce tricot, et tout ce que tu avais déjà dans ta petite tête. En même temps, objectivement, ta mère m'a un peu quand même payé pour que je sorte avec toi, ou au moins pour que je me rapproche de toi. Mais ça, si je te le disais, même si c'était vrai objectivement, ça aurait totalement été faux dans ce que ça pouvait laisser sous-entendre.
MAUDE : Ça laisserait sous-entendre quoi ?
GABIN : Bah que je suis avec toi pour l'argent, que le tricot ne serait qu'un tricot de mensonge, ou bien que j'aurais développé des sentiments pour toi parce que j'y avais un intérêt.
MAUDE : Est-ce que quand on développe des sentiments pour quelqu'un, ce n'est pas toujours parce qu'on y perçoit un intérêt ?
GABIN : Peut-être que oui, mais l'intérêt c'était toi, ou c'était nous. Ce n'était certainement pas elle ou le fait qu'elle soit contente ou le fait d'éviter un malaise avec elle après cette augmentation.
MAUDE : Bien sûr. Mais j'ai toujours été assez maligne pour être capable de comprendre ça. Puis surtout, je ressens des choses. Enfin je ressens des choses moi-même, mais je ressens des choses qui viennent de toi, aussi. Si tu avais essayé de me faire croire que ma mère t'avait vraiment payé dans ce sens là, celui où tu ne serais avec moi que pour ça, je ne t'aurais pas cru.
GABIN : Tu ne m'en veux pas de ne pas l'avoir dit avant ?
MAUDE : Je ne sais pas si tu ne me l'as pas dit. En fait, tu me l'as déjà dit : plusieurs fois, même.
GABIN : Oui, mais en faisant semblant de plaisanter.
MAUDE : Il y a beaucoup beaucoup de choses importantes qu'on s'est dites en faisant semblant de plaisanter.
GABIN : Oui, mais en général, on sait reconnaître que c'est du semblant.
MAUDE : Je n'en suis pas sûre. Des fois, je te dis des choses et même moi, je ne sais pas si c'est juste une plaisanterie, si c'est une exagération, ou si c'est carrément la vérité. C'est toujours différents niveaux de cette nuance, et je ne suis pas certaine de toujours faire la différence, ou de prendre le temps de me poser la question.
GABIN : Ce n'est pas un peu bancal, comme relation ?
MAUDE : Au contraire, je trouve ça étonnamment stable et confortable. Il y a les mots qui volent partout autour de nous, qui jouent, qui nous portent et qui nous rendent légers. Peut-être qu'on ne sait pas, parmi eux, lesquels sont totalement vrais, totalement faux ou juste un peu hyperboliques ou litotiques, mais c'est comme tu as dit ; ce n'est pas ça qui compte.
GABIN : C'est quoi qui compte ?
MAUDE : Ce qui compte, c'est le ressenti. Les mots exacts, les faits objectifs, la réalité matérielle de ce qui est et de ce qu'il se passe, c'est une chose. Mais la vraie vérité, ce n'est pas ça. La vraie vérité, c'est le sentiment d'être bien ensemble, le lien entre nous, la solidité du tricot. Il manquait peut-être des mots pour décrire certains faits, mais il n'y avait rien de faux dans ce que j'imaginais de notre relation, de notre lien, de nos sentiments.
GABIN : Sauf le sentiment de te cacher quelque chose. Il manquait ça, quand-même, non ?
MAUDE : Ce que je ne comprends pas c'est, si tu avais vraiment ce sentiment-là, pourquoi tu ne m'en as pas parlé avant ?
GABIN : Parce que c'était moins important que le reste. Ce n'est pas juste que j'avais peur de te perdre ou de perdre quelque chose si je te le disais ; parce qu'au fond de moi, je pense que je savais que ce qu'on avait été trop précieux pour y renoncer pour des broutilles pareilles. Mais c'est juste que, comme c'était une broutille pour moi aussi, il y avait toujours plus important à dire que ça. Et en parler, ça aurait été donner à ces faits plus d'importance que celle qu'ils avaient dans mon ressenti.
MAUDE : Mais tu y pensais souvent ?
GABIN : Non, pas tant que ça, en fait. La plupart du temps, je l'oubliais. C'était tellement moins réel que tout le reste. Quand j'y pense, je me dis que c'était un peu comme te mentir, mais en même temps je ne te mentais sur rien de vraiment important à mes yeux. Et, la plupart du temps, je n'y pensais pas.
MAUDE : Alors, il n'y a vraiment rien qui prête à conséquences.
GABIN : Il n'y a jamais rien qui prête à conséquence, quand rien ne remet en question l'existence et la chaleur de ce fameux tricot.
MAUDE : Je suis contente de te l'entendre dire. Du coup, ça veut dire que si tes parents me payaient, ça ne prêterait pas à conséquence non plus ?
GABIN : Ça, c'est une toute autre question. Ça ne prêterait probablement pas à conséquences pour notre relation à tous les deux, mais je ne peux pas en dire autant pour celle que j'ai avec eux.
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