Environ un an plus tôt – Samedi 12 juin 2021 – 14h30

GABIN : Désolé, mais je ne vais pas tarder à devoir vous quitter. Encore merci pour le déjeuner.

CHARLOTTE : Mais… vous n'avez même pas pris le café.

GABIN : Je sais, vraiment navré. Mais j'ai une visite à quinze heure et, si je ne pars pas maintenant, je vais être en retard.

THIERRY : C'est de ma faute, j'ai trop fait tirer l'apéro en longueur. Pourtant, je savais que Gabin devait partir à quatorze heures trente.

MAUDE : C'était très gentil de nous avoir reçus. Et puis, pour ma part, s'il faut choisir, je préfère l'apéro que le café.

GABIN : Mais voyons Maude, ne dis pas ça comme ça ! Tu vas passer pour une alcoolique devant mes parents. Elle dit ça juste parce qu'elle n'aime pas du tout le café.

CHARLOTTE : Mais on a aussi du thé, du lait, et j'ai fait des biscuits.

THIERRY : On peut aussi ressortir la bouteille de vin.

GABIN : C'est très gentil, mais on doit vraiment y aller.

CHARLOTTE : Toi tu dois y aller, mon petit Gabin. Mais Maude est la bienvenue pour rester prendre le café, ou tout substitut, avec nous. Si elle le souhaite, bien sûr.

MAUDE : C'est très gentil Charlotte, merci beaucoup.

CHARLOTTE : Et puis, il ne faudrait pas que je mange tous les biscuits toute seule, au risque de prendre du poids.

THIERRY : N'importe quoi, tu es fine comme une aiguille. Mais Maude, ça me ferait très plaisir si tu restais avec nous.

MAUDE : Ça me fera très plaisir à moi aussi, merci beaucoup. Gabin, on se retrouve à l'appartement après ta visite ?

GABIN : Oui, si tu veux. Mais ne viens pas pleurer auprès de moi si tu regrettes de t'être laissée embarquer dans ce guet-apens. Et vous, soyez gentils avec Maude : je tiens à elle.

CHARLOTTE : Qu'est-ce que c'est mignon ! Très bon après-midi, Gabin.

GABIN : Bon après-midi à tous.

THIERRY : Alors, ma petite Maude, comment se passe la vie avec mon fils ?

CHARLOTTE : C'est le mien aussi, et je sais qu'il peut parfois être un peu capricieux.

MAUDE : Mais non, pas du tout. C'est très agréable de vivre avec Gabin. Je ne vais pas vous faire des compliments sur son éducation, parce que peut-être que tout le mérite lui revient à lui. Mais, en tout cas, c'est un bon gars.

THIERRY : C'est un bon gars ! Si j'avais cru entendre ça !

MAUDE : D'ailleurs, il risque de beaucoup me manquer.

THIERRY : Comment ça, de te manquer ?

MAUDE : Gabin ne voulait pas vous en parler aujourd'hui, parce que c'est encore tout récent et qu'on n'est pas vraiment décidés. Enfin, que je ne suis pas vraiment décidée, vu qu'il insiste sur le fait que la décision me revient à moi. Mais j'ai une opportunité pour aller travailler en Italie pendant un an.

CHARLOTTE : Tu n'envisages quand-même pas de l'accepter ?

MAUDE : Si, je l'envisage. A vrai dire, Gabin est la seule raison qui me retient de l'accepter.

THIERRY : Mais ce n'est pas une raison suffisante.

MAUDE : Ce n'est pas ça. Notre relation est importante pour moi, mais disons que je ne suis pas vraiment le genre de fille qui prend ses décisions en fonction d'un garçon, et encore moins d'un garçon avec qui elle est depuis à peine deux mois. Ce n'est juste pas dans mes principes.

CHARLOTTE : Mais que sont les principes, comparé à l'amour ?

MAUDE : Justement, c'est ce genre de phrases qui me fait penser que je ne devrais pas le faire. Sans vouloir vous vexer, Charlotte. Mais, si une jeune fille venait me demander conseil en me posant ce genre de question, je n'hésiterais pas vraiment sur quoi lui répondre. L'amour qui est plus fort que tout et tout ça, je n'y crois pas vraiment. Enfin, bien sûr que l'amour peut être une chose importante. Mais l'amour qui serait une vraie relation construite avec le temps. Avec Gabin, tout se passe extraordinairement bien et je crois vraiment qu'on pourrait avoir ça un jour mais, pour le moment, ça reste quand même, factuellement, un gars avec qui je sors depuis deux mois et quelques jours.

CHARLOTTE : Mais il y a cette possibilité que ça devienne cette chose précieuse qui vaut le coup. Donc, si tu pars, ce à quoi tu renonces, ce n'est pas à une relation de deux mois, c'est à cette possibilité de créer quelque chose de profond.

MAUDE : Je n'aurais jamais pensé avoir ce genre de conversation avec les parents de mon copain.

THIERRY : Et moi, je n'aurais jamais pensé me retrouver un jour en position d'essayer de convaincre une jeune fille de rester avec mon fils. Pour tout te dire, si j'avais dû parier, j'aurais pensé plus probable de me trouver un jour à conseiller à une jeune fille de le quitter. Mais, curieusement, votre relation a l'air de vraiment bien se passer. Il tient à toi, il l'a dit tout à l'heure. Et toi, tu as l'air plutôt bien avec lui aussi.

MAUDE : Mais je ne renonce à rien, hein. Ni à trois mois de relation ni à la possibilité de créer un jour quelque chose de plus. Même si je pars, ce n'est que pour un an.

CHARLOTTE : Mais un an, c'est infiniment long ! Un an de séparation quand on n'a en face qu'une relation de quelques mois, ça ne peut pas marcher. C'est mettre tout ça tellement tellement en danger.

THIERRY : Particulièrement si votre relation est due au vent ; je ne suis pas certain qu'il souffle toujours dans le même sens, quand tu reviendras.

MAUDE : Enfin, pour l'instant, la décision n'est pas prise. C'est certain que si je pars, Gabin me manquera énormément. Mais je ne pense pas que ça empêche qu'on puisse de nouveau vivre ensemble à mon retour, et de reprendre les choses là où on les aura en quelque sorte laissées. Et puis, on pourra aussi se rendre visite pendant cette année.

CHARLOTTE : Mais, à part tes principes féministes ou que sais-je, il y a d'autres raisons qui te font vouloir aller là-bas ?

THIERRY : En général, les choix qu'on fait par rapport au travail, c'est pour des raisons financières. Si c'est ça le sujet, nous, on peut contribuer. Dis-moi combien tu aurais gagné en plus, à passer une année à ce poste plutôt qu'à ton poste actuel ? Je pourrais te donner la différence. Si c'est ça qu'il faut pour avoir un Gabin heureux en ménage et apaisé au point d'être presque agréable avec nous parfois, alors, ce n'est vraiment rien du tout.

CHARLOTTE : Tout à fait d'accord avec lui.

MAUDE : Tout à fait en désaccord avec ça ! Je ne pourrais jamais accepter un arrangement aussi odieux. Ça serait encore plus contraire à mes principes que de renoncer à de belles opportunités professionnelles pour un garçon avec qui je suis depuis à peine deux mois.

THIERRY : Je comprends que, de la façon dont je l'ai présenté, ça ne semble effectivement pas très reluisant. Mais, réfléchis un peu à l'usage que tu ferais de cet argent ? Qu'est-ce que ça changerait pour toi, concrètement ? A quoi tu renonces exactement, en ne le prenant pas ? Et ce truc là, on pourra te l'offrir.

MAUDE : Vous ne comprenez pas. Ce n'est pas à une nouvelle garde-robe ou à un beau voyage que je renoncerais. C'est une opportunité d'apprendre des choses différentes, de découvrir une autre culture et une autre façon de travailler. Ma tante travaille là-bas, dans une boîte similaire à la mienne, et l'une des employées est en congés maternité. Quand elle m'en a parlé, j'ai passé le processus de recrutement, un peu par curiosité ou en tout cas sans être décidée, et c'est moi qu'ils ont choisie. Ils ne m'ont pas choisie parce que je suis sa nièce, bien sûr, sinon je n'aurais pas accepté. Mais j'ai vraiment bien réussi les entretiens, et je pense que ce serait une belle opportunité pour moi. Une ligne sur mon CV, je ne pense pas que vous puissiez m'offrir ça.

THIERRY : Mais qu'est-ce qu'une opportunité d'un an, par rapport à un poste fixe auquel tu renonces ici ?

CHARLOTTE : Un poste fixe et une relation stable.

MAUDE : Je ne renonce à rien, ni d'un côté comme de l'autre. J'ai évoqué cette possibilité avec mes responsables, et ils seraient tout à fait disposés à me reprendre à mon retour.

CHARLOTTE : Et Gabin ne pourrait pas venir avec toi ?

MAUDE : Encore une fois, on ne se connaît que depuis deux mois et quelques. Et puis surtout, Gabin ne sait pas parler Italien. Mais même si ça avait été le cas, lui, il adore son travail et il est en train de s'y faire une vraie place. Je ne suis pas certaine qu'il soit particulièrement intéressé pour tout apprendre du marché immobilier Italien. En plus, ma tante me propose de m'héberger, et je ne me sentirais pas de lui imposer Gabin.

THIERRY : La colocation de cette tante serait-elle donc plus agréable que celle de notre fils ?

MAUDE : Mais non, ce n'est pas ça du tout. C'est juste une opportunité.

THIERRY : Qu'est-ce qui fait que c'est une telle opportunité ? Tu nous parle de lignes sur le CV et de principes. Tout ça, c'est du vent. Tout ça, ce ne sont pas des choses tangibles comme une relation humaine.

MAUDE : C'est vrai que c'est un joli poste sur le CV et que ça paye bien, mais ce n'est pas ça qui compte pour moi. Si je le ressens comme une opportunité, c'est parce que c'est une expérience, une forme d'aventure, une occasion de découvrir le monde.

THIERRY : Mais si c'est ça qui t'intéresse, voyagez ! Ce n'est jamais donné de voyager, mais on vous aidera. On vous payera les billets et, s'il faut que vous preniez des congés sans solde pour avoir assez de temps, on peut aussi contribuer.

MAUDE : Mais une opportunité, c'est aussi la fierté de faire les choses par ses propres moyens.

CHARLOTTE : Encore et toujours des principes.

MAUDE : Oui, j'ai des principes. Je ne vois pas ce qu'il y a de si mal à ça.

CHARLOTTE : Mais, tes principes, tu peux tout à fait les garder. Tu ne dois pas choisir entre eux et Gabin. Tu dois juste te rendre compte que, dans ce cas, tu as d'une côté le choix aveugle d'appliquer bêtement des principes, et de l'autre, le risque de renoncer à quelque chose de tangible.

MAUDE : Je crois que ce choix et ce risque sont du côté de la même décision.

CHARLOTTE : Tu comprends quand même ce que je veux dire ?

MAUDE : Je crois que oui, mais ce n'est pas comme ça que ça marche, des principes. Si on ne les applique pas, ne serait-ce qu'une seule fois, ce ne sont plus des principes donc, oui, on y a renoncé.

THIERRY : Tout ça, c'est du blabla. Il est strictement impossible d'appliquer ses principes dans cent pour cent des cas. Donc, si c'est ça qui te tracasse, considère que tu as déjà renoncé à chacun de tes principes, et qu'il n'y a plus rien à préserver de ce côté là.

MAUDE : Je ne pense pas que ce soit vrai.

THIERRY : C'est quoi, tes principes ? Ne pas faire tes choix en fonction d'un garçon ? Tu crois que tu aurais vraiment choisi de venir passer ton temps avec deux vieux croutons comme nous, si ce n'était pas à cause de Gabin ? Et quoi d'autre, encore ? Ne pas renoncer à de belles opportunités d'aventure et d'expérience ? C'est rigolo, parce que sur le panneau d'affichage juste en face de chez nous, il y a de la pub pour faire du saut en parachute, et je ne crois pas que tu t'y sois inscrite. Voyager et découvrir le monde ? Pareil, combien de voyages n'as-tu pas saisi l'opportunité de faire ? Tu n'es pas allée à l'île-de-Ré l'été dernier, quand tu aurais pu aller à l'autre bout du monde ?

MAUDE : C'est un peu de la mauvaise foi, ces exemples.

THIERRY : C'est juste pour illustrer que les principes, ce ne sont pas des règles absolues. C'est toi qui choisi de voir dans cette décision là une histoire de principes alors que, va savoir pourquoi, le choix des vacances de cet été ne t'est pas apparu comme tel. Il y a juste un gros côté arbitraire là dedans.

MAUDE : Peut-être que c'est vrai, mais ça ne change rien au fond de la question, je crois. Dans tous les cas, rien n'est décidé, et je vais réfléchir à tout ça. Je crois que je vais rentrer, merci pour les biscuits.

THIERRY : En tout cas, sache que, si tu choisis de rester, on vous payera un beau voyage en Italie cet été, et tous les autres voyages que vous voudrez.

CHARLOTTE : Dans la limite du raisonnable, bien sûr.

MAUDE : Je vais faire comme si je n'avais pas entendu ça.

THIERRY : Prétendre ? Ne serait-ce pas contraire à tes principes ?

MAUDE : Bon après-midi. Encore merci pour le déjeuner et pour le dessert.