Acte VII. Scène 1

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Environ un an plus tard – Dimanche 25 septembre 2022 – 12h00

CHARLOTTE : Je suis vraiment ravie que vous ayez accepté notre invitation, Faustine. Ça fait plus de deux ans que nos enfants sont ensemble, et on n'a eu l'occasion de se parler que seulement quatre ou cinq fois.

FAUSTINE : Merci à vous de m'avoir invitée.

MAUDE : Mais ça ne fait pas si longtemps que Gabin et moi sommes ensemble.

GABIN : Un an et demi ça doit faire. Enfin, un an, cinq mois et une quinzaine de jours, pour être précis.

CHARLOTTE : J'ai toujours l'impression que ça fait plus longtemps que tu fais partie du paysage, Maude. Je suis tellement habituée à vous deux, et vous semblez tellement bien ensemble.

THIERRY : Je comprends ce que tu veux dire. Ils sont si installés, si soudés, qu'on a l'impression qu'ils sont ensemble depuis des années.

GABIN : On est un petit couple pépère qui semble à dix-mille lieues des étincelles de la rencontre, c'est ça ?

FAUSTINE : Je ne suis pas d'accord du tout, vous êtes tout aussi gaga l'un de l'autre qu'au premier jour.

THIERRY : Ça, je ne le nie pas. Ce n'est pas du tout ce qu'on voulait dire, les enfants. Vous êtes amoureux, ça crève les yeux. Mais vous avez aussi trouvé votre rythme et votre équilibre ; ce qui n'est pas forcément évident dans les premier temps d'une relation.

CHARLOTTE : C'est ça. Il y a les sentiments bien sûr, mais il y a le fait de se créer une vie à deux, aussi. Et ça, ça met beaucoup plus de temps. Sauf pour vous, on dirait. Parce que déjà au bout de quelques mois, on pouvait sentir ça.

MAUDE : Ça doit être parce qu'on n'a pas attendu avant de vivre ensemble.

GABIN : Tu m'étonnes ! Ça doit même être un chiffre négatif.

THIERRY : Pas bête, Maude. Effectivement, le fait d'avoir été colocataires avant d'être ensemble, et du coup d'avoir immédiatement vécu tous les deux, ça doit avoir contribué à cette impression.

GABIN : Et le fait d'avoir tous les deux des parents qui payent pour qu'on soit ensemble, ça a peut-être aussi contribué.

MAUDE : C'est vrai ça ! On a découvert ça ces derniers temps, et c'est vraiment une coïncidence des plus étranges.

THIERRY : On ne comprend jamais de quoi vous parlez, tous les deux.

GABIN : Moi on comprend un peu plus que Maude, quand même. Enfin, j'espère.

CHARLOTTE : Ils se font des blagues entre eux, c'est tout.

GABIN : Mais cette fois-ci, ce n'est vraiment pas une blague. Je ne sais pas comment c'est possible, parce que je ne crois pas vraiment aux coïncidences et que je ne pense pas non plus que la plupart des parents aient ce genre d'idée mais, pourtant, c'est vrai.

MAUDE : Je t'ai déjà dit qu'on ne peut pas ne pas croire aux coïncidences.

CHARLOTTE : Bien sûr qu'on peut ne pas croire aux coïncidences. Il y a bien des gens qui ne croient pas que la terre est ronde.

MAUDE : Mais, statistiquement, il y a forcément des coïncidences. Tout n'a pas toujours du sens. Les choses arrivent parce que chaque personne fait sa vie et, forcément, dans le lot de tout ce qui arrive du fait de différentes personnes, il y a des choses qui présentent des similarités ou des échos.

FAUSTINE : En tout cas, moi, je n'ai jamais payé Gabin.

GABIN : Ça, c'est un propos qu'on peut très facilement ne pas croire. D'ailleurs, s'il y a besoin de preuves, j'ai un paquet de fiches de paye.

MAUDE : Une fiche de paye un peu augmentée depuis qu'il a accepté de venir vivre avec ta petite anguille.

FAUSTINE : C'est vrai qu'il a eu une augmentation à ce moment là ; parce que, sinon, il n'aurait pas pu se payer le loyer. Et aussi parce qu'il la méritait. D'ailleurs, il en a eu encore une cette année, parce qu'il fait toujours du bon travail.

MAUDE : Mais tu l'as quand même un peu incité à venir vivre avec moi, non ?

FAUSTINE : J'ai juste dit que vous sembliez bien vous entendre, et que ça serait dommage de passer à côté d'une chance pareille. D'ailleurs, je pense que tout le monde autour de cette table sera d'accord pour dire que ça aurait été dommage.

MAUDE : Mais c'est facile aussi, a posteriori, de justifier n'importe quel choix par la situation où il nous a emmené dans la vie. Ça ne veut pas dire que c'est moral pour autant, mais c'est vrai qu'aujourd'hui, ça ne fait plus grande différence. Que ça ait été bien ou mal, déplacé ou dans ton rôle, on pourrait en discuter ; et j'ai mon avis sur la question, qui sera probablement différent du tien. On pourrait en débattre des heures, mais, maintenant ça ne changera rien à ce que je ressens et à ce que je veux.

GABIN : Qui est ?

MAUDE : Rester avec toi, Gabin le petit malin.

CHARLOTTE : Et nous, on aurait payé Maude pour qu'elle soit avec Gabin ? Je ne crois pas que là, on puisse trouver une seule fiche de paye pour le prouver.

THIERRY : Pourtant, c'est vrai que ça expliquerait pas mal de choses.

GABIN : Ça expliquerait quoi ? Qu'une fille si géniale accepte d'être avec ton fils si décevant ?

THIERRY : C'était une blague.

CHARLOTTE : Ce n'était pas très drôle.

MAUDE : C'était un peu drôle, mais aussi beaucoup méchant.

GABIN : Vous l'avez dissuadée de partir en Italie et, ça, depuis que je l'ai appris, ça me reste en travers de la gorge.

MAUDE : Arrête de dire ça, Gabin ! Ils ne m'ont pas dissuadée, j'ai pris ma décision toute seule.

THIERRY : C'est vrai qu'on en a parlé ensemble, mais tu ne peux pas nous le reprocher. C'est normal, en tant que parents, de faire part de notre expérience, de notre avis, et de vous donner des conseils sur les décisions que vous prenez dans la vie.

GABIN : En ajoutant des billets d'avions et des nuits d'hôtel pour renforcer les conseils.

MAUDE : Je n'ai jamais été d'accord pour qu'on accepte ces cadeaux ; c'est toi qui as insisté, Gabin. Et, à ce moment-là, ma décision était déjà prise.

GABIN : Je sais bien, Maude, et je n'ai strictement rien à te reprocher. Mais je trouve quand même que ce qu'eux ont fait, ou ce qu'ils ont essayé de faire, ce n'est pas acceptable.

CHARLOTTE : Vous prenez tout de façon tellement binaire. Il n'y a pas qui que ce soit qui ait payé quelqu'un pour être avec l'autre. C'est juste des parents qui soutiennent leurs enfants à travers les étapes de la vie.

FAUSTINE : Le problème que vous avez, ce n'est pas avec nous ; c'est avec l'argent. Dès qu'il entre en ligne de compte, vous avez l'impression que tout est souillé.

MAUDE : Parce que c'est le cas !

THIERRY : Des billets d'avion, ce n'est pas de l'argent.

GABIN : Bien sûr que si ça en est, indirectement.

CHARLOTTE : Mais alors, indirectement, tout est de l'argent. Le temps qu'on passe à déjeuner ensemble, j'aurais pu le passer à faire quelque chose qui m'en fasse gagner, de l'argent. Et le repas qui va arriver dans votre assiette, j'aurais pu le revendre à quelqu'un au lieu de vous inviter et de vous le servir.

FAUSTINE : On est obligés de traiter avec de l'argent tout le temps ; je ne sais pas si c'est propre ou sale, bien ou mal, mais c'est juste comme ça. Alors, forcément, dans les décisions que vous prenez dans votre vie (que ce soit emmenager, déménager, voyager, ou quoi que ce soit), il y a de l'argent qui rentre en ligne de compte. On ne peut pas l'exclure de la discussion et des considérations. Mais ça ne change rien au fond des choses.

MAUDE : C'est juste dommage que la vie soit comme ça. Parce que justement, le fond des choses, on n'arrive jamais à savoir ce que c'est. Tout est tellement toujours imbriqué et mélangé à tant d'autres choses et, dans ce tas d'autre choses, il y a forcément de l'argent et plein d'autres choses.

CHARLOTTE : Le fond des choses, c'est que vous vous aimez et que vous êtes bien ensemble.

FAUSTINE : Et que c'est rare et constitue une chance que vous ne devez pas laisser passer.

THIERRY : Et que pour toutes ces raisons, il faut chercher à préserver votre relation.

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