Chapitre 14 : Triomphe.
Depuis toutes ses années à Saint-Clair, Sky n’avait jamais rencontré quelqu’un à sa mesure. Les seuls garçons dont il avait pu s’inquiéter faisaient maintenant partie de son cercle d’amis. À l’époque, il s’était surtout méfié d’Alex. Il n’y avait que lui qu’il percevait comme un potentiel rival et leur relation s’était forgée sur leur aptitude à séduire les filles. Devenus très vite de bons compagnons, les tracas partirent avec celles qu’il trouvait trop vulgaires. Chacun y trouva son compte.
Loyd devint rapidement son meilleur ami, son complice et partenaire de crime, tandis que Selim existait pour faire rire la galerie. Lui aussi monta haut dans son estime, bien que de nombreuses valeurs les opposaient.
Non, des "Richess", il n’avait rien à craindre, mais d’un dénommé Kyle, il avait eu peur. Cela dit, d’une autre manière. Ils se valaient en termes de puissance, sa toile d’araignée déjà tissée avant qu’il ne puisse s’en rendre compte. Cependant, le gay avait un crush sur lui. Encore une fois, Sky se vit admiré et désiré. Il gagnait toujours à cette course-là.
À côté de bien de soi-disant concurrents, la seule personne qui réussit réellement à lui tenir tête fut Kimi. Aussi déroutant que cela puisse paraître, une fille lui avait mis un stop, et pas l’un des plus petits, puisque la gifle qu’il avait reçue de sa part s’inscrivit immédiatement dans les annales.
Jamais quelqu’un n’avait résisté à son charme. Non, jamais quelqu’un ne lui avait autant mené la vie dure, si bien qu’il dût se faire une raison : Kimi Dan’s ne cesserait jamais de frapper ses cornes contre les siennes.
Un autre constat vint plus tard : une fois entrée au conseil des sept, la blonde ne le quitterait plus, car tous les Richess appréciaient sa compagnie. Si Sky ne pouvait s’empêcher de la provoquer, c’était principalement parce qu’il ne voulait pas la laisser gagner, et pourtant, elle le méritait. Pour toutes les fois où il lui avait fait la misère et qu’elle avait gardé la tête haute, voire qu’elle lui avait fait baisser la sienne, elle méritait sa victoire.
Il comprit encore autre chose après une année scolaire en sa compagnie. Quand Kimi était montée sur scène et qu’elle l’avait pointé du doigt, alors qu’ils s’étaient disputés à cause des auditions, il comprit qu’elle ne cherchait aucune médaille. Il n’y avait rien de triomphant à cette bataille, alors pourquoi ne pouvait-il pas s’empêcher de la chercher ? L’habitude relevait presque du besoin, d’une irrésistible tentation à laquelle il cédait très ou même trop souvent.
Alors quand Ulys Dartan débarqua à Saint-Clair, pimpant et alléchant, il pensa, que pour une fois, il obtiendrait un vrai concurrent. Mais quand Kimi se jeta dans ses bras, il déclara que de ce rival-là, il n’en voulait pas. Il s’irritait de les constater aussi proches et trouva cette proximité d’autant plus étrange qu’ils étaient des exs.
Comment se faisait-il qu’elle lui jetait de tels regards alors qu’il était plus beau que lui ? Sky ne comprenait pas, parce qu’il ne voyait pas l’amitié qui les liaient.
Toute l’attention de l’école, de Kyle, de sa propre classe était rivée sur le mannequin. Ils le trouvaient tous, beau et sympa, marrant et séduisant. En à peine quelques heures, le blond aux oreilles percées réussit à mettre tout Saint-Clair dans sa poche.
Durant les premières heures de cours, ses rires l’agacèrent et, lorsque vint le moment de la gym, il complexa devant son corps. À quel point ce gars pouvait-il être parfait ? Il s’entendait même déjà bien avec ses amis :
- Plutôt canon ! s’exclama Selim qui comparait son torse à celui d’Ulys.
- Tu as une bonne condition aussi, répondit-il en le jaugeant.
- C’est la danse ça !
- Tu danses ? s’étonna ce dernier qui enfila son t-shirt de sport.
- Ouaip ! Avec Kimi d’ailleurs, elle m’apprend ! Tu sais, ton ex-petite amie, chantonna-t-il en faisant de même.
- Ah… ça ne m’étonne pas d’elle, répondit-il, un sourire béat s’étalant sur ses lèvres. Tu ne pourras pas avoir meilleur professeur, déclara-t-il ensuite.
Sky faisait ses lacets juste à côté, fronçant les sourcils en l’écoutant parler. Il s’agaçait de la manière dont il évoquait Kimi, comme s’il la connaissait par cœur.
- Je serais curieux de savoir si tu l’aimes encore ? demanda Loyd, mettant les pieds dans le plat.
Voilà, une question à laquelle Sky voulait une réponse, comme la plupart des garçons présents dans le vestiaire. Depuis les auditions, et davantage depuis le clip qu’elle avait tourné avec Billy, elle était devenue un peu plus prisée. Si Ulys s’intéressait à elle, alors aucun d’eux ne jugeait avoir une chance.
- Quelle question… Bien sûr que je l’aime encore, répondit-il avec aisance.
- Sérieux ?! s’exclama Selim.
- Bah, après tout, elle est…
- “Mignonne”, on sait Alex… On sait, répondit Loyd en venant attraper son épaule.
- Elle t’intéresse ? lui demanda Ulys, très franchement.
- Elle est belle, mais non. Je sors avec quelqu’un qui me correspond parfaitement, dit-il en pensant à Faye.
- Eh bien, c’est beau un homme amoureux, plaisanta-t-il.
- Qu’est-ce que tu attends pour te remettre avec elle, alors ? demanda enfin Sky, un peu trop sèchement.
Alors qu’il pensait le mettre au pied du mur, Ulys prit d’abord quelques gorgées dans sa bouteille d’eau avant de lui répondre, très calme :
- Je ne l’aime plus comme avant, c’est différent maintenant, mais j’aurais toujours de l’affection pour Kimi. Au-delà d’être sorti avec, c’est une très bonne amie. C’est aussi pour ça que je peux dire que je l’aime aussi facilement. Je crois que quand on la connait bien, personne ne peut lui résister… Elle est trop… marrante et mignonne, c’est le terme, dit-il en tendant son poing à Alex.
- Trop chelou ta réponse mec… Comment tu peux dire ça d’une fille que tu as galochée ? se moqua-t-il ouvertement.
- Ne fais pas attention à lui, l’interrompit Loyd, ils sont en éternel conflit avec Kimi.
- J’ai cru comprendre…
- Loyd t’abuse ! T’es de mon côté oui ou merde ?! s’énerva-t-il avant de se taire quand ce dernier se cacha derrière un air angélique.
Lui aussi l’agaçait, à lui lancer des piques sans cesse. S’il ne pouvait même plus compter sur son meilleur pote, qu’allait-il devenir ? Le professeur de sport demanda l’attention de ses élèves, avant de les inviter à le suivre jusqu’au terrain de football. Chacun sortant, Ulys interpella Sky à ce moment-là :
- Tu es en dispute avec Kimi ? le questionna-t-il, étonné que ça puisse être le cas.
- … Ça te regarde ? lui renvoya-t-il, en s’obligeant à ne pas paraître trop énervé.
- J’imagine que non, mais… respecte la, répondit-il d’un air assez sérieux. Je n’ai pas envie de ne pas m’entendre avec Sky Makes, la figure de Saint-Clair, plaisanta-t-il immédiatement.
- Il n'y a pas de raison, dit-il brièvement.
Ce genre de gars là, il valait mieux les brosser dans le sens du poil. Il avait beau avoir l’air très gentil et de s’entendre avec tout le monde, s’il avait un choix à faire, il serait toujours du côté de Kimi.
***
Pendant que les filles avaient cours de natation au sous-sol, Laure restait bien au sec dans une petite salle prévue pour les malades aux alentours des vestiaires. Très nerveuse par l’élection qui se déroulerait sur le temps de midi, elle avait prétexté la période rouge pour éviter d’avoir à rentrer dans l’eau. Faye avait tout de suite protesté, l’accusant de ne pas vouloir se mouiller les cheveux pour rester belle au moment de son discours. Il y avait en réalité un peu de ça aussi.
Laure voulait se montrer parfaite, alors elle profita de ces deux heures pour réviser chacun de ses arguments. Ses belles mains de part et d’autre de son texte, elle tremblait légèrement. Jamais, elle ne s’était sentie stressée pour une élection. Le fait que Loyd soit son concurrent la déstabilisait énormément, mais elle se devait de passer au-dessus. Elle ne voulait pas perdre contre lui, pas après qu’il lui ait lancé autant de piques, mais elle avait aussi peur de sa réaction, s’il perdait. Laure tremblait légèrement parce qu’elle avait peur de perdre son ami à l’issue des résultats. Cette place semblait vraiment lui tenir à coeur.
Ayant besoin d’une pause, elle se rendit dans le couloir pour s’acheter une boisson sucrée tout en continuant de ruminer. Pourquoi n’avait-il pas pris la peine de lui en parler ? Pourquoi est-ce qu’il se montrait aussi distant ? Ou plutôt pourquoi faisait-il semblant de ne pas l’être ? En le voyant arriver sans ses lunettes et dans de nouveaux vêtements, elle n’aurait jamais imaginé que ce changement viendrait avec un nouveau comportement. Laure avait déjà souhaité le voir s’affirmer, mais pas de cette manière. Quelque chose clochait et la déstabilisait. Elle n’arrivait pas à mettre le doigt dessus, la rendant encore plus vulnérable.
En rebroussant chemin, elle s’arrêta devant le vestiaire des garçons. Elle n’avait jamais vraiment vu l’intérieur. Mettant ses préoccupations de côté, un pic de curiosité la poussa à déposer sa main sur la clenche de la porte : bingo ! Elle s’ouvrit lorsqu’elle appuya dessus. En s’engouffrant dans l’antre masculine, Laure frissonna en imaginant les garçons à moitié nus. Elle adorait l’interdit et savoir qu’elle n’avait pas le droit d’être dans la pièce à ce moment-là l’excita beaucoup.
Telle une petite pie, elle observa les affaires et surtout les vêtements en boule de certains de ses camarades. En voyant la veste d’Ulys, elle ne résista pas à la passer au-dessus de ses épaules. Cette pièce venait de la collection de Marry Stein. S’admirant dans le miroir, elle chassa son émerveillement en la rangeant à sa place. Son regard perçant tomba alors sur la mallette en cuir de Loyd. L’envie soudaine de l’ouvrir fit accélérer son rythme cardiaque, mais ne l’empêcha pas de s’approcher. Sa main, déposée sur sa poitrine, fit son chemin jusqu’à l’ouverture du sac, puis prise d’une panique, elle s’arrêta pour regarder chaque coin de la pièce. Elle avait la peur irrationnelle que quelqu’un puisse entendre son cœur palpiter.
En pensant que personne ne viendrait avant une bonne heure... Laure jeta ses fesses sur le banc où trônait l’objet de ses désirs. Rapidement et soigneusement, elle ouvrit le cartable de Loyd pour fouiller entre ses classeurs et ses autres affaires. Elle trouva rapidement ce qu’elle convoitait : le dossier dans lequel elle l’avait vu travailler pour les élections. Enfin en mains, elle dégagea ses cheveux mauves en arrière tout en remettant en question ce qu’elle s’apprêtait à faire :
- Tu irais jusque-là ? se murmura-t-elle.
Blessée par sa propre faiblesse, elle ouvrit le cahier d’une mine douloureuse. Ses yeux se mirent alors à lire très rapidement les pages bien remplies. Elle les passa l’une après l’autre, mais de moins en moins vite, découvrant tous les plans de Loyd. Il avait tout réfléchi, chaque événement annuel au sein de Saint-Clair, des portes ouvertes, au marché de Noël et à un éventuel voyage scolaire durant cette même période. Il proposait des partenariats avec des associations pour chaque fête et des idées pour apporter des gains à l’école, mais aussi pour revaloriser son image. Toutes ses propositions s’articulaient en de chouettes activités, réalisables et abordables pour les élèves de leur année. Il avait même pensé correctement aux questions qui concernaient le budget. Tout s’emboîtait parfaitement. Laure se rendit à l’évidence que ce qu’elle tenait en main débordait de créativité et résultait sans doute de nombreuses heures de réflexions. Loyd n’avait pas menti lorsqu’il avait dit y avoir mûrement réfléchi pendant les grandes vacances.
La honte la gagna rapidement, l’obligeant à refermer le cahier pour le ranger à sa place, avant de retourner dans son local. Assise sur sa chaise, Laure sentait des frissons dans son dos, mais plus à cause de l’excitation. Elle avait des sueurs froides en pensant qu’elle n’avait pas fourni un quart du travail qu’elle venait de lire.
***
Le moment de monter sur l’estrade devant l’assemblée des quatrième année approchait à grands pas. Bien que se présentassent d’autres élèves à l’élection du président des délégués, ils avaient peu d’espoir de gagner face aux deux Richess. Loyd paraissait plutôt confiant en écoutant leur discours, à l’inverse de ses amis qui n’avaient aucune idée de pour qui voter. À qui devaient-ils faire honneur ? À leur amie tant de fois présidente ou à leur deuxième ami qui osait enfin se présenter. Avant de rentrer dans la salle, ils en étaient venus à un compromis : les filles voteraient pour Laure et les garçons pour Loyd. Ainsi, le nombre de votes s’égaliseraient. Pourtant, le doute persistait. Cela ne dépendrait-il pas de leurs discours ? À tout moment, ils pouvaient changer d’avis.
Quand vint le moment pour la jeune Ibiss de se présenter face à ses camarades, un constat général gagna ceux-ci. L’air sur son visage ne ressemblait en rien à ce qu’elle montrait toujours d’elle. En effet, Laure avait le trac comme elle ne l’avait jamais eu, car elle s’apprêtait à défier quelqu’un qu’elle aimait beaucoup.
Ses mains déposées à plat sur le bureau qui lui faisait face, elle tenta de se calmer, mais en croisant le regard de Loyd, son cœur loupa un battement. Il était très sérieux et formel, attendant patiemment qu’elle débute son discours. La pression de son regard tomba sur ses épaules. Elle n’avait jamais ressenti cette sensation auparavant. Les lèvres tremblantes, elle arriva à les décoller petit à petit, mais le son ne sortait pas de sa bouche. Elle misait tout sur son pouvoir et sur son charme pour obtenir les votes, alors que Loyd avait préparé chaque élément en détails. Elle voulait non seulement devenir présidente pour impressionner son père et le restant des élèves, mais également l’avoir lui comme second, alors même qu’il avait les épaules pour mener les délégués. Jusqu’à ce qu’elle lise le contenu de ce cahier, elle ne s’était pas rendue compte à quel point il pouvait convoiter cette place. Elle ne s’était même jamais posée la question, trop habituée à l’avoir sous son bras. Maintenant que Loyd exprimait très clairement cette envie… Maintenant qu’elle avait lu… Tout prenait un autre sens :
- Bonjour à tous, commença-t-elle en esquissant un tout petit sourire. J’avais prévu un bon paquet d’arguments pour vous convaincre de voter pour moi, plaisanta-t-elle ensuite. Cependant, j’ai bien réfléchi. J’ai eu la chance d’être présidente durant trois ans de suite et j’aurais toujours des idées à partager pour notre année, mais… Je pense que je pourrais le faire même depuis la place de seconde. Oui, j’ai bien réfléchi et je pense qu’il serait plus intéressant que cette place revienne pour une fois à une autre personne. Je crois que, de cette manière, nous pourrons envisager les choses sous un autre angle, et je n’hésiterais pas à donner mon avis s’il le faut, puisque j’ai l’habitude de gérer cette place. Donc, selon moi, la personne pour qui vous devriez voter aujourd’hui n’est personne d’autre que Loyd, déclara-t-elle sous tous les regards ébahis. Je vous remercie pour votre écoute, votez intelligemment.
- Laure… est-ce que ça signifie que tu te retires de la course ? en conclut un professeur.
- C’est exact, confirma-t-elle alors avant de prendre place parmi les autres élèves.
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