Chapitre 16 : La pluie qui se déchaîne.

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“Le calme avant la tempête”… Cette expression se suffisait pour décrire dans quelle situation était tombé le trio à la tête des Richess. Avant même que les dieux se déchaînent pour plonger la cour de Saint-Clair dans un torrent de pluies et de vents, ceux-ci se plurent à apporter la paix.

Le ciel gris qui se reflétait à travers les fenêtre du studio de danse apportait une ambiance sombre et lugubre à celui-ci. Comme l’atmosphère écrasante à l’extérieur, le temps semblait s’être arrêté dans l’école, ne laissant qu’un courant d’air virevolter dans la pièce vitrée. Léger, volatile, mais flexible et souple, tel un félin, Leroy s’étendait contre le sol. Il s’y fondait, glissait contre le bois clair et lisse, pour se contorsionner et ensuite revenir sur ses pattes. Élancé et maigre, les mouvements de ses bras qui tantôt frappaient le vide, tantôt le caressaient, s’articulaient gracieusement et devenaient de plus en plus minutieux.

Depuis que Kimi lui avait montré cet endroit, il mangeait, buvait et vivait danse. Pour la toute première fois, Leroy pouvait exercer dans un lieu adapté, sans se soucier de ce qu’il pouvait y avoir autour.

Il se calquait sur la musique, ressentait ses battements depuis ses orteils jusqu’à sa nuque. Dans ses doigts, qu’il passait à mesure sur sa peau blanche et abîmée, frissonnant. Son cœur se calmait et s’accélérait sur le rythme, doux apaisement énergique. Il frémissait, à l’instar des prunelles qui le scrutaient en secret.

Portée par un ennui éternel depuis son entrée à Saint-Clair, Lysen Makes avait dérivé la moitié de son attention sur son “camarade” de classe. Pour chasser le train-train quotidien, le traquer semblait être la meilleure distraction. Elle ne s’était pas attendue à découvrir un tel talent chez ce garçon taciturne, toujours vêtu de noir et replié sur lui-même, pour le voir s’ouvrir, se donner corps et âme dans une discipline telle que la danse.

Dans sa jolie petite robe - elle était toujours bien apprêtée - elle l’observa déposer ses mains à plat sur le sol pour s’étirer. Il semblait fait de caoutchouc.

Quand il se releva pour continuer sa séance d’exercice, Lysen se mit plus en avant afin qu’il la remarque. Instantanément, il se rigidifia et ses yeux s’agrandirent. Leroy n’aimait pas qu’on le regarde, encore moins lorsqu’il exerçait des danses au sol. Même Kimi n’avait pas eu ce privilège. Il choisissait toujours de montrer autre chose lorsqu’il était accompagné.

La jeune Makes se décida enfin à le rejoindre dans la salle qui devenait de plus en plus sombre. Elle alluma la lumière sur son passage et se planta devant lui, un sourire niais sur ses lèvres roses. Elle adorait ce petit jeu, c’est-à-dire celui de troubler les personnes qu’elle croisait en les fixant comme si elle scrutait leur âme. Il était gêné et elle adorait ça :

  • Depuis quand… n’acheva-t-il pas en baissant la tête, cachant sa timidité sous les cheveux ondulés qui tendaient à cacher ses prunelles orangées.
  • Ouh ! Ça sent la sueur ! s’exclama-t-elle en couvrant son mignon petit nez.
  • À quoi tu t’attendais… ? C’est du sport… marmonna-t-il, cette fois en tentant de cacher ses joues qui devenaient roses.
  • Oh, je le sais, j’ai fait de la danse classique ! Je dois avouer que j’ai été surprise, dit-elle de sa gestuelle maniérée. Pourquoi tu ne t’es pas inscrit dans une école de danse ? Plutôt qu’à Saint-Clair ?
  • Hum, je… je n’y ai pas vraiment pensé…
  • Tu as de l’avenir pourtant ! Quand on est doué, un certain nombre de portes peuvent s’ouvrir, bien que… avec tant de cicatrices, tu n’auras peut-être pas l’opportunité de tourner dans des clips comme ta sœur, fit-elle en venant toucher son avant-bras.

À peine avait-elle posé le bout des doigts sur toutes les petites taillades qui marquaient sa peau qu’il attrapa sa main et l’écrasa dans la sienne :

  • Ne fais pas ça…
  • Quoi donc ? demanda-t-elle en observant ce qui restait visible de ses phalanges.
  • Ne me touche pas, précisa-t-il en lui jetant un regard noir alors que ses jambes tremblaient.

Elle l’avait remarqué depuis sa toute première tentative. Il ne supportait pas les contacts. Quel garçon mystérieux il faisait. À quel point détestait-il ça ?

  • Pourquoi ? Ça te fait mal ? continua-t-elle en amenant son autre main sur son bras.

Se sentant emprisonné et incapable de bouger, il grimaça :

  • Oui… C’est douloureux… murmura-t-il, cette fois en lui offrant un regard profond.
  • Comment tu t'es fait tout ça ? D’accord, je te lâche, décida-t-elle en le sentant se tendre.

Pour une fois, ce fut Lysen qui se sentit troublée en constatant autant de souffrance sur un visage aussi jeune que le sien. Leroy reprenait doucement le contrôle sur son corps.

  • Qu’est-ce que tu veux ? la questionna-t-il à son tour. Tu as la tête de quelqu’un qui veut quelque chose, ne la laissa-t-il pas se justifier.

Le sourire de la jolie brune se pinça, démasquée.

  • Je veux que tu m’arranges un rendez-vous avec Ulys. C’est ton ami, non ? Je t’ai vu lui faire un câlin… On dirait bien qu’avec lui ce n’est pas un problème, le provoqua-t-elle en le regardant de haut en bas.

En effet, le beau mannequin faisait partie des très rares personnes à pouvoir le prendre dans ses bras. Il n’y avait que lui, Dossan et Kimi qui jouissaient de cette exclusivité. Il supportait quelques autres amis de son ancien lycée, mais tout juste.

  • C’est comme un frère… Pourquoi tu veux un rendez-vous avec lui ?
  • Je suis fan, argumenta-t-elle.
  • C’est tout ? Comme si je n’avais que ça à faire…
  • J’ai déjà tout prévu, pouffa-t-elle. Si tu ne comptes pas accéder à ma demande, il est fort possible que la soi-disant amitié des Richess soit exposée. Je ne suis pas certaine que Kimi le vive bien, d’ailleurs, fit-elle en enroulant une mèche de cheveux autour de son doigt.
  • Tu as… vraiment une mauvaise personnalité, déclara-t-il, subjugué.
  • Il paraît, gloussa-t-elle.

***

Dans le local qui servirait bientôt aux réunions des délégués, assis à sa place de président, Loyd gardait les yeux rivés sur le dossier qui l’avait aidé à gagner les élections. Le front bleu des dérives qui l’avaient mené à se bagarrer avec Sky, il triturait le coin des pages nerveusement. La première étape s’était déroulée selon ses plans bien qu’il n’eut pas prévu de se disputer avec son meilleur ami.

Meilleur ami pour lequel son cœur s’écrasait à chaque fois qu’il y pensait. Des larmes dans les yeux, il tourna les feuilles une par une. La deuxième étape pointait le bout de son nez. Il avait déjà fait son choix.

Jetant son regard sur les derniers rayons de lumière qui perçaient les nuages noirs et qui venaient se refléter dans ses cheveux argentés, il serra les mâchoires. Ses yeux azur brillaient en se remémorant des souvenirs :

  • Grouille-toi Loyd ! criait Sky qui couvrait sa tête avec son sac à dos pour se protéger de la pluie.

Faisant de même avec sa veste, le Loyd de treize ans courut dans les flaques pour rejoindre le hall principal de Saint-Clair. Trempé jusqu’aux os, les baskets gorgées d’eau, il glissa sur le carrelage et battit des bras pour tenter de reprendre l’équilibre. Pour l’aider, Sky attrapa sa main qui l’emporta dans sa chute.

Les deux garçons grimacèrent en tombant sur le sol froid, leurs vêtements collants à cause de la pluie. Il n’y avait rien d’agréable. Pourtant, en se voyant l’un et l’autre le cul par terre, pitoyables, un fou rire les gagna.

Peu de temps s’était écoulé depuis la rentrée et l’élection de Laure. Peu de temps leur avait permis de se rapprocher, comme s’ils avaient toujours été amis malgré leurs dispositions. Avec compassion et empathie, les deux premiers garçons à la tête des Richess se comprenaient. Le hic, un seul, dont ils ne se doutaient pas encore, viendrait de la fille qui existait entre leur place de numéro un et de numéro trois.

Le roulement de la porte coulissante fit revenir Loyd au présent. En croisant son regard, il eut du mal à cacher sa peine. De toute manière, vu ses sens aiguisés, elle avait sans doute déjà compris qu’il souffrait. Il gardait malgré tout la tête haute quand elle prit place sur la chaise à côté et rapprocha sa main de la sienne :

  • J’ai reçu ton message, Loyd. De quoi voulais-tu me parler ? lui demanda Nice de sa voix douce.

Toujours aussi minuscule que la première fois qu’il avait rencontré la descendante des Challen, il lui trouva un visage pâle plus égayé qu’autrefois. L’amour lui avait permis de s’épanouir, de dégager les cheveux noirs qui l’avaient longtemps camouflée. Aujourd’hui, elle arrivait à plonger ses prunelles noisette dans les siennes pour essayer de le comprendre. Sensible à cette gentillesse, à ce potentiel qui ne tendait qu’à exploser, Loyd avait fait son choix.

  • J’aimerais que tu sois ma seconde, déclara-t-il. C’est toi que je veux comme sous-déléguée.

Très étonnée, Nice constata la fine pluie qui tombait sur les carreaux. Ils regardèrent les gouttes s’écraser dans le silence.

  • Il va y avoir de l’orage, souffla Loyd. Alors ? Qu’en dis-tu ? revint-il sur le sujet principal.
  • Pourquoi… veux-tu que ce soit moi ? fit-elle en baissant légèrement les yeux, osant à peine se projeter à cette place.
  • Tu n’en as jamais fait partie et tu as les compétences… Je crois que tu as le droit d’être mise en avant toi aussi. Tu es très réfléchie, je pense que nous pourrions former une bonne équipe. En tout cas, c’est ce que je crois.

Il le pensait sincèrement. Nice avait beaucoup de qualités, mais elle n’avait jamais osé les exploiter, principalement à cause de sa timidité.

  • N’as-tu jamais envisagé de faire partie des délégués ?
  • Si… rougit-elle, mais… Et Laure ? Elle ne voulait pas être dans le conseil ?
  • Est-ce que ça te freine ? lui renvoya-t-il la question.
  • Habituellement, c’est elle qui est présidente et je ne sais pas si j’en serais capable.
  • Cette année, ce n’est pas le cas. J’ai foi en toi. Tu as beaucoup plus à donner que tu ne le crois. J’ai envie que cette année soit différente des autres et que nous puissions montrer ce qu’on vaut, du moins pour ma part.
  • Tu ne veux pas travailler avec elle ? sortit-elle de nulle part.

Comme il s’en doutait, Nice avait déjà capté le froid qui régnait entre Laure et lui.

  • Non, je… je ne m’en sens pas capable, en fait. Est-ce que tu comprends ?

En découvrant son visage blessé, tant son expression que son front marqué, Nice sentit une grande peine l’envahir. Très, ou peut-être trop, empathique, elle comprit. Cet air-là, elle ne le connaissait que trop bien. L’air qui disparaît, qui t’étouffe parce que l’amour est trop fort. Déposant sa main sur la sienne, elle acquiesça avant de lui rendre un tout petit sourire :

  • D’accord, mais seulement si on s’entraide, déclara-t-elle dans un esprit solidaire.
  • Bien sûr, c’est le but.

Loyd pouvait encore compter sur ses autres amis. Il ne pourrait jamais la remercier assez d’avoir lu en lui. Serrant la main qu’elle lui avait donnée, il ne put le faire qu’en lui accordant un regard sincère et brillant.

Dehors, le ciel grondait.

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