Chapitre 33 : Authentique.

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En compagnie de Monsieur Xavier, Chuck montait les escaliers de l’internat de Saint-Clair après avoir rejeté le moderne ascenseur installé pour les visiteurs, préférant se remémorer le passé en caressant le bois ciré des rampes qu’ils avaient tenus autrefois. L’écho de ses pas et de ceux d’un roux trop excité, de son acolyte beaucoup plus avisé, ainsi que ceux d’un garçon malade résonnaient encore dans ses oreilles. Les plus lents, calmes, qui cherchaient à s’ancrer dans ce bâtiment comme à une maison n’existaient plus aujourd’hui, disparus dans un long envol à la quête d’un foyer. Nostalgique d’un petit corbeau aujourd’hui remplumé, il inspira l’odeur presque inconnue dans ses deux narines, remplissant ses poumons.

Quelques marches en plus et il s’arrêtait à nouveau. Ils les avaient foulés parfois en courant, les images d’Alicia poursuivant Katerina ou de cette dernière jouant avec Eglantine, lui revinrent, mais aussi en rampant. Blear. Malgré tout, elle n’avait jamais baissé la tête.

Tournoyant doucement sur lui-même, il pouvait voir une jeune blonde, pleine de boucles, l’attendant entre deux escaliers. Oh, comme il se rappelait de ce jour où, gravissant les échelons, il n’avait eu qu’à l’attraper par la main pour l’emporter jusque dans son antre. De ses yeux émeraude ne fuyant plus pour le déshabiller en même temps que ses gestes rapides. De cette fois où ils avaient mis toutes les craintes et la compétition de côté pour jouer un beau combat dans ses draps.

Le petit air coquin qui grandissait sur son visage n’échappa pas au directeur, qui pourtant fourbe, se retint de le taquiner.

Plus sérieux, du passé Chuck revint à la réalité. Sa fille, aujourd’hui, traversait ces couloirs. Indépendante, débrouillarde, intelligente, il n’avait jamais eu besoin de lui faire de reproches. Des bêtises d’enfants et des découvertes maladroites, il avait dû corriger et encourager, mais il n’avait encore jamais été confronté à un mensonge impliquant une crainte envers lui-même. Pourquoi Laure ne lui avait-elle pas confié qu’elle avait perdu sa place de présidente ? Maintenant, un autre Richess l’occupait. Avait-elle eu peur de le décevoir ? Chuck prit conscience d’une chose… Il ne s’agissait pas d’une place attitrée. Comprenant le manque de délicatesse dont il avait fait preuve, il se recentra sur sa présence à l’internat, ne pouvait régler cette situation dans l’instant T.

  • Je me rends compte que je n’ai pas envie que l’on casse quoi que ce soit ici, dit-il évasivement, levant les yeux au plafond.
  • Si ce n’est la casse, l’architecte envisage la construction d’un bâtiment annexe, c’est cela ? lui demanda Monsieur Xavier.
  • Tout à fait. Si nous obtenons les autorisations de construction, nous pourrons établir un cinquième bâtiment en parallèle à celui de l’arrière, expliqua-t-il de gestes simples. Cela dit, ça me tient à cœur que chaque étudiant puisse avoir accès à la cour intérieure, c’est un endroit symbolique, de retrouvailles. Je pense qu’il sera nécessaire d’éliminer une partie du rez-de-chaussée pour construire une arche ou un passage, à voir. Ce qui compte, c'est d’agrandir et proposer plus de lits pour satisfaire la demande de l’ensemble des étudiants voulant séjourner à l’internat.
  • Je vois. Je vous fais confiance, pour ça, et les travaux dans l’école. Je suis pour un agrandissement tant que Saint-Clair reste authentique et je sais que je l’ai placé entre de bonnes mains.
  • Le changement, c’est bien, mais je ne laisserai pas une quelconque personne saccager cette école. Si quelqu’un doit y toucher, c’est moi, c’est nous, les anciens, pour qu’elle reste authentique, en effet. Je vous remercie de me laisser autant de liberté, lui sourit Chuck.
  • Un businessman, mais un homme de cœur avant tout, c’est ça ? conclut-il, attendri.

Continuant leur petite visite, les deux hommes furent interpellés par des exclamations à mesure qu’ils s’enfonçaient dans les couloirs.

  • Je vous avais bien dit qu’il était possible que ce soit mouvementé, fit Monsieur Xavier en levant ses sourcils gris tandis qu’ils se dirigeaient vers la source sonore.

Ce dernier eut du mal à garder une expression de surprise lorsqu’il vit tous les “Richess” réunis dans le même couloir, en compagnie de Kimi, et du pire duo dont l’école avait pu hériter. Levant à son tour un sourcil, Chuck s’avança pour voir tous les visages de cette deuxième génération devenir pâles, mais surtout celui de Laure.

“Et au final, je ne saurais même plus dire pourquoi je t’aime ! Alors que je suis fou de toi !!” avait-il entendu de la bouche du fils d’Eglantine.

Lorsque ce dernier se retourna, il vit autant de frayeur que de désespoir dans ses yeux bleus qui lui rappelèrent ceux de sa mère. Ça ne devait pas être de tout repos de l’aimer :

  • Alors comme ça, tu es amoureux de ma fille ? lui demanda-t-il, d’un air très confiant.

Loyd perdit la parole, décomposé face à la figure paternelle de son amour interdit. Il en était de même pour les autres, en train de vivre le pire scénario qu’ils auraient pu imaginer : se retrouver en bande devant Chuck Ibiss. Ce dernier évita de regarder Laure dans les yeux, s’attardant sur le groupe d’adolescents.

  • Quelle combinaison intéressante, lâcha-t-il, ses yeux perçants voyageant de Nice qui tenait le bras de Selim, à Faye, coincée en cuillère entre les jambes d’Alex.

Ils essayèrent de se décoller de manière naturelle, mais c’était trop tard. Derrière, Kyle ne faisait aucunement le fier et Steve le rencontrait pour la première fois. Tandis que chacun stressait, Selim refusa que sa petite copine se détache de lui. Il la serra plus fort, engendrant de la panique chez Nice.

Enfin, il passa par Kimi, puis sur Sky, qui laissait peu transparaître, pour revenir sur Loyd.

  • Donc c’est toi, le garçon qui a pris la place de ma fille à la présidence ? chercha-t-il à le provoquer un peu.

Laure baissa instantanément les yeux, peu fière de lui avoir caché la vérité.

  • C’est culotté de voler quelque chose à la personne que l’on aime soi-disant, dit-il en repensant à sa propre confrontation avec Marry et toutes celles qui avaient suivis.
  • Vous…

Il avait du mal à aligner des mots, intimidé, en colère, mais surtout épuisé mentalement.

  • Vous ne savez rien, lâcha-t-il en le défiant d’un regard luisant, frustré et vexé de se sentir écrasé.
  • Il suffit d’observer pour savoir, répondit-il en déplaçant à nouveau le sien sur la bande d’amis.
  • Vous n’avez aucune idée de … ! Non… Je ne peux pas… couvrit-il son visage à moitié, les larmes remontant à la surface, car il se sentait affreusement faible. Je ne peux pas… pas maintenant.

À le voir baisser les bras, ses épaules tombantes et son expression se changeant en une grimace, Chuck eut mal au cœur, mais ne le montra pas.

  • Je ne comprends pas ce que tu veux dire, garçon…
  • Je l’aime, le coupa-t-il dans un sanglot étouffé, alors que Laure rougissait à côté, mais… je n’ai pas… Je n’ai pas la force de me battre contre vous ! s’écria-t-il en laissant rouler ses larmes sur ses joues. C’est trop ! Je ne peux plus… attendre de cette manière et… Si je continue d’espérer, je vais… Je vais…

La plainte aiguë qui sortit de sa gorge arracha un pincement à l’ensemble des personnes en présence. Il secouait la tête, incapable d’exprimer sa détresse correctement, et s’affaissait, appuyant ses mains sur ses genoux pour ne pas flancher davantage.

  • Je suis épuisé de l’aimer… Je n’en peux plus… Je ne peux plus, lâcha-t-il dans de gros sanglots, se frottant les yeux.

À ce même instant, Chuck jeta un coup d’œil avisé à sa fille.

Laure avait les yeux mouillés, les traits fermés. Elle se sentait emprisonnée, freinée par la présence de son père, alors qu’elle ne tendait qu’à riposter. Comme un diamant, indestructible, même la fissure qu’il lui infligeait n’arrivait pas à se dessiner sur sa carapace. Elle venait de plus loin, en profondeur, sous les couches de cristal, réelle. Elle avait besoin de craquer, mais n’y arrivait pas. Elle voulait craquer. Les poings serrés, la tension grimpait et s’épaississait, visible sur tout son corps et sa bouille en colère. Elle ne supporta pas l’entendre dire une nouvelle fois qu’il ne pouvait plus l’aimer, en pleurs.

  • La ferme !!!!

Le cri du cœur fit sursauter autant Chuck que toute la camaraderie.

  • Pourquoi est-ce que tu abandonnes ?! lui fit-elle face, tant en pétard que bouleversée.

Une étincelle réapparut dans les yeux de Loyd.

  • Tu ne peux pas abandonner !! Si tu m’aimes vraiment… tu… tu ne peux pas m’abandonner ! Continue ! Je ne veux pas que tu arrêtes ! Jamais ! Aime-moi !!
  • Laure… souffla-t-il, ému, le rouge montant à ses oreilles.
  • Je n’ai pas besoin de quelqu’un qui abandonne à la première difficulté, ajouta-t-elle, consciente de tout l’égoïsme dont elle faisait preuve, et davantage face à son père.

Alors que l’espoir renaissait, Chuck vint ajouter son grain de sel :

  • Que suis-je censé penser de cette déclaration ? Avez-vous seulement conscience des beaux draps dans lesquels vous vous mettez ?
  • Et alors ?

La voix de Selim résonna dans tout le couloir tellement il avait parlé fort. Glissant sa main dans celle de Nice, il s’avança légèrement, les sourcils froncés :

  • Qu’est-ce que ça fait si on s’aime ?!
  • Selim, arrête… fit Nice, embarrassée.
  • Comme si j’allais arrêter, se tourna-t-il vers elle. Moi, je n’en ai pas marre de t’aimer. Vous entendez ?! Je n’en ai pas marre de l’aimer !! Et ça vaut pour tout le monde ici ! Jamais je ne laisserais le bonheur me filer entre les doigts, alors les beaux draps, je les jette par la fenêtre ! Cette fille, fit-il en levant le petit bras de Nice, je vais finir ma vie avec, que ça vous plaise ou non, à vous la génération du dessus et peu importe les lois, je préfère encore être déshérité que de la perdre ! Je l’aime.

Impressionné, Chuck se pinça légèrement les lèvres, un sifflement insonore en sortant. Émus, Faye et Alex se regardèrent dans le blanc des yeux, amoureux. Nice tremblotait à cause de surplus d’émotions, rouge pivoine. Sky observa longuement le sol, puis releva son regard sur Kimi : “Impossible”, pensa-t-il, peu courageux. Cette dernière ne croyait pas en l’amour.

  • Je ne changerais pour personne, ajouta Selim, déterminé à faire passer ses sentiments.
  • Huuum, sourit Chuck en déposant ses prunelles topazes sur Loyd, prends-en de la graine, gamin. L’amour, c’est ça, se sentit-il inspiré, il faut le mériter. Quand on aime, il n’est pas question d’hésiter.
  • Est-ce que… c’est un feu vert ? brûla littéralement Loyd d’excitation, cette fois le regardant avec détermination.
  • Qui suis-je pour te l’interdire ? fit-il en réajustant son costume, chaque Richess, Kimi et le duo de l’enfer, l’observant traverser le couloir avec allure, le directeur le suivant d’un air satisfait. Ah si, c’est vrai, j’oubliais… Je suis Chuck Ibiss !! Prenez garde, ahahahahah !

Son rire éclatant se poursuivit jusqu’à ce qu’il disparaisse quelques couloirs plus loin. Le groupe, ébahi, resta sur le cul. Ils avaient eu une grande impression du père de Laure, classe, puissant, mais surtout déjanté. De retour à deux, le directeur ne se retint plus de le titiller :

  • “Il n’est pas question d’hésiter”, en voilà un bon conseil, pour un homme qui ne vit pas en compagnie de la personne qu’il aime. Je me demande ce qu’en penserait Marry Stein.
  • Monsieur, s’il vous plaît, soupira-t-il en recoiffant ses cheveux d’une main. Je suis quelqu’un qui prend plaisir dans la durée, vous savez ce qu’on dit : “ Plus c’est long, plus c’est bon”, lâcha-t-il en resserrant ses lèvres pour y passer sa langue.

Monsieur Xavier n’en avait pas fini d’être ébloui par cet homme. Depuis tout ce temps, il n’avait vraiment pas changé, fidèle à lui-même.

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