Chapitre 53 : Violence.
Leroy bouillonnait.
Des vapeurs s’échappaient de ses oreilles rougies, et sa tête tournait, à cause du choc émotionnel.
Rien n’allait dans cette situation. Il se sentait plus que dépassé. Titubant, il se rattrapa au bureau aussi vieux que son propriétaire. Monsieur Xavier aussi avait perdu le contrôle, mais face à ces deux familles, il n’y avait rien de plus étonnant.
Le cinquantenaire chercha sa barbe entre ses doigts et reprit les devants :
- Je vais vous demander à tous de vous calmer. Mon rôle s’arrête au fait de vous informer, ce sont vos professeurs qui choisiront votre punition. Mais il est certain que vous aurez des heures de retenue, tous les deux, s’adressa-t-il aux adolescents. Et très certainement, à des heures différentes.
Il comprenait beaucoup mieux les paroles de Lysen qui l’avait mis en garde. “Ils voudraient tous les séparer”. C’était maintenant une évidence.
Rien n’allait dans cette situation. Kimi s’était enfuie et Sky donnait l’impression de pouvoir commettre un meurtre à tout moment.
La mère de Lysen se montrait tout aussi sévère.
- Parfait. Donnez-leur la punition qu’ils méritent, ce sera très bien pour moi, répondit celle-ci, d’un ton rigide.
- C’est… Effectivement, quelque chose avec lequel je suis d’accord, suivit Dossan, bien qu’inquiet, tout en passant une main autour de son cou, encore pris dans la bousculade.
- Bah ouais, vous ne pouvez qu’être d’accord avec elle…
- Sky, le reprit Blear. Je ne vais pas supporter ça longtemps. Le passé, c’est le passé. Je ne suis pas venue à la base pour régler…
- Tu me dégoûtes.
La remarque agit comme un coup de fouet. Elle détruisit littéralement Blear de l’intérieur, et fit grimacer Dossan. Il était méchant, parce qu’il se sentait profondément blessé et trahi. Il sourcilla à peine quand il vit la peine de sa mère. Cette dernière remit sa chevelure brune en place, les lèvres bien basses, touchée en pleine poitrine. Cet enfant la détestait définitivement. Elle s’en voulait à mourir.
- Je… comprends…
- Moi, pas, rétorqua-t-il immédiatement en prenant du recul. Des années entières à me sermonner sur mon futur en tant que Richess et…
Il s’ouvrait enfin. Blear y vit une opportunité, mais la lueur dans son regard fit fuir son fils. Il la méprisa de tout son soûl, statuant, tel un roi : celui de Saint-Clair. Elle n’arriva même pas à le retenir quand il marqua sa fuite. Il partait toujours. Peut-être qu’un jour il disparaîtrait complétement ? Cette idée la ravageait.
Elle soupira, aux bords des larmes, quand le calme revint dans la pièce. Le malaise grandit à mesure du silence.
- Il est… Sky est vraiment… chercha Lysen ses mots. Il n’aurait pas dû te parler comme ça, ajouta-t-elle, fâchée envers son frère. C’est un con.
- Ce n’est pas la peine de le critiquer ! s’exclama Blear, encore plus touchée par le fait que ses enfants se menaient la guerre.
Au moins, ceux de Dossan se défendaient, coûte que coûte. Ils étaient liés et solidaires. Aucunes de toutes ces qualités n’existaient dans sa famille. Elle ne voulait plus avoir à affronter la réalité. Elle faisait trop mal.
- Monsieur Xavier, merci de nous avoir prévenus. Viens Lysen, allons-y.
- Ah, je… marqua cette dernière un temps, la regardant successivement, puis Leroy.
- Ce n’est pas une suggestion.
- Mais, je… je voulais parler avec lui avant de…
- Non.
Franche et stricte. Elle ne lui laissait pas le choix.
Et Leroy bouillonnait. Il se sentait littéralement partir, agrippant la manche de Dossan en même temps que sa tête dodelinait. Ce dernier prit la relève.
- Nous aussi, nous partons, fit-il en accordant un signe de tête au directeur qui lui répondit par le même geste. Je suggère que… que nous prenions le temps d’en discuter chacun de notre côté et…
- Je ne crois pas, le coupa Blear. Il est préférable qu’ils s’éloignent un temps, déclara-t-elle, froidement.
- Maman…
La plainte de Lysen résonna dans la pièce, sincère et stridente. Dossan n’en revint pas. Il resta un temps à la regarder. La détresse chez Leroy, tant que chez sa petite copine lui donna du fil à retordre. Il était coincé entre la reine des glaces, et la fougue de deux adolescents fous amoureux.
- Tu ne peux pas…
Sa simple intervention la fit se retourner. Elle le prévenait par sa stature que ça se passerait mal s’il poursuivait. Mais il ne pouvait faire autrement.
- Blear, s’approcha-t-il en essayant de la toucher de sa douceur habituelle. Ne leur fais pas vivre, ce qu’ils nous ont fait à nous, ajouta-t-il, dépité.
- Ça n’a rien à voir ! s’énerva-t-elle d’un coup en le fixant droit dans les yeux.
Dossan y vit de la peur.
- Alors pourquoi est-ce que tu leur interdirais de…
- Parce qu’elle est bien trop jeune pour…
- À treize ans tu avais un enfant !
- Justement ! s’écria-t-elle en serrant la lanière de son sac à main.
La confrontation glaça autant le sang de leurs propres enfants que celui de Monsieur Xavier. Ce dernier fut très étonné du ton qu’ils employaient l’un envers l’autre. Blear et Dossan ne s’étaient jamais disputés dans le passé. Ce fut ce sentiment, et ce fait, qui les rendit si vulnérables.
Blear était révoltée :
- Ce n’est pas parce que j’ai eu un enfant très tôt que je dois accepter que ma fille sorte avec un garçon maintenant ! Je pensais que tu… comprendrais…
- Je comprends, mais Blear ! Ce sont des gosses ! Ils ont bien le droit de s’aimer sans que… Pourquoi est-ce que tu dirais, non ??
Lysen, soudainement happée par la solidarité que lui offrait Dossan se lança dans la bataille.
- Maman, je ne veux pas m’éloigner…
- Je ne t’ai pas demandé ton avis, la coupa-t-elle en lui montrant la paume de sa main.
- Je ne suis même pas une Richess ! s’exclama-t-elle, comme s’il s’agissait du meilleur argument.
- Qu’est-ce que tu racontes… Bien sûr que tu es une Richess ! Tu es de la famille !!
- Mais je ne suis pas sous les mêmes lois que Sky...
- Et alors ?! Sous prétexte que tu n’es pas sur les mêmes lois, je dois te laisser faire n’importe quoi ?? Quand on fait des bêtises, Lysen, il faut les assumer ! Peut-être que si tu n’avais pas séché les cours et que tu avais pris la peine de me parler de ce garçon, tout aurait été différent ! Et c’est bien beau de me faire passer pour une mauvaise mère, s’adressa-t-elle férocement à Dossan, mais quand on ment soi-même à ses propres enfants, c’est l’hôpital qui se fout de la charité.
- C’était d’un commun accord…
- Pas pour tout ! Je ne veux plus rien entendre, ne le laissa-t-elle pas poursuivre. Punir ses enfants lorsqu’ils sèchent les cours, c’est ce qu’on appelle l’éducation, se reprit-elle, toujours aussi froide, mais plus autoritaire. Il est hors de question que je laisse deux enfants immatures traîner ensemble alors qu’ils viennent de désobéir au règlement de l’école. Alors maintenant, au revoir Monsieur Xavier, et Lysen, tu me suis, lui ordonna-t-elle en la pointant de son index.
Essoufflée, Blear s’attendit à ce que sa fille lui obéisse au doigt et à l’œil, mais à la place elle reçut un regard noir qui devint rouge parce qu’elles retenaient ses larmes. La petite Richess se tendit, toute crispée :
- Je te déteste !! lui cria-t-elle avant de reproduire exactement le même comportement que son frère : prendre la fuite.
Leroy bouillonnait.
Une fièvre lui montait en même temps qu’il voyait Dossan baisser les yeux face à Blear. Il aurait voulu ne pas entendre ses mots. Il la savait blessée, mais elle ne le montra pas. C’était pourtant lisible sur tout son visage. Blear n’avait jamais vraiment su comment gérer ses enfants.
- Parlons-en… essaya encore une fois, Dossan.
- Non, je… J’ai besoin d’être seule, dit-elle en entamant le pas hors du bureau du directeur.
- Blear… lâcha-t-il en venant l’intercepter.
- Je ne veux pas… le repoussa-t-elle en cachant sa mine abattue. Laisse-moi, ajouta-t-elle en déposant une main sur son torse.
Celle qu'il posa sur la sienne, l’entourant étroitement, lui décrocha un battement. Elle s’en défit, sans le regarder, pour continuer son chemin dans le couloir qui les avait aussi bien réunis que séparés dans le passé.
Doucement, Dossan serra son poing et le porta contre ses lèvres. Son contact le rendait toujours aussi fébrile et la voir partir, la tête baissée, pitoyable, le rendait tout aussi misérable. Il ne supportait pas la violence que lui procurait ce conflit.
***
Sans dire quoi que ce soit, une main sur l’épaule de Leroy pour le soutenir, Dossan l’accompagnait dans sa marche pour revenir au rez-de-chaussée. Ils descendirent les escaliers côte à côte, dans le silence.
Leroy avait perdu l’usage de la parole et il ne faisait que regarder le sol, le contour de ses paupières bouffi. Il ne se prononçait pas, à propos de rien, de quoi que ce soit qui ait pu le choquer ou le blesser. Non, il s’était rangé en lui-même, vide à l’extérieur, bouillonnant à l’intérieur.
Dossan n’était pas bien différent, finalement. Lui non plus ne s’exprimait pas à propos de ce qui venait de se passer ou vis-à-vis de son passé avec Blear.
En fait, père et fils ne communiquaient pas, parce que le même genre de douleur les traversaient tous les deux. Dossan se permettait au moins de lui caresser gentiment la nuque à plusieurs reprises avec tout juste l'espoir de l'apaiser.
Tout deux furent coupés lorsque Kimi réapparut dans leur champ de vision. Elle avait rebroussé chemin et s’avançait assez rapidement, d’une mine peu rassurée. Chacun s’arrêta près de la sortie qui statuait en plein milieu de baies vitrées. La petite famille se retrouvait maladroitement.
- Leroy… Tu vas rentrer en classe… dit-elle avec un peu d'assurance.
- Je pensais prévenir le secrétariat qu’il rentre à l’internat, il n’est pas en état, s'expliqua Dossan. Ça comptera dans tes jours d’absences, bien sûr, dit-il à Leroy qui hocha simplement de la tête. Kimi… Toi aussi… Si tu as besoin de prendre du temps…
- Non, ça va ! répondit-elle précipitamment. Enfin, si, tout compte fait, viens avec moi, attrapa-t-elle la main de son frère.
Elle agissait bizarrement. Ses larmes avaient été séchées, toute rouge autour des yeux. Leroy releva la tête. Oui, elle avait l'air stressée.
Il planta ensuite son regard sur Blear, la femme qui gâchait son bonheur. Elle quittait les lieux par l’autre sortie, traversant la cour. Dossan fit de même, et soupira, appelé par sa belle silhouette, le cœur lourd.
La blonde se plaça alors devant son frère pour lui obstruer la vue.
- Tu fais quoi… ?
En même temps qu’il se décala, Leroy se figea. Comme un aigle aurait trouvé sa proie au milieu des fourrées, son regard se déplaça rapidement aux quatre coins de l’étendue grise jusqu’au portail, pour la localiser. Ses yeux jaunes s’arrondirent et les veines sur ses poings apparurent en même temps qu'ils les serra. Kimi attrapa son bras tout de suite.
- Non… lâcha-t-elle quand il la rejeta violemment.
Il se jeta sur la porte d’entrée pour en sortir, dévalant la cour à toute vitesse, suivi de Kimi qui eut du mal à le rattraper. Blear sursauta quand ils la dépassèrent, Dossan sur les arrières.
Leroy bouillonnait.
Il griffa sa sœur quand elle essaya de le retenir, qui émit un cri à la volée. Son bras saignait, mais elle fit abstraction en regardant droit devant elle, fonçant encore à toute allure, pour se raccrocher au pull de son frère. Elle l’attrapa par derrière, le retenant d’exploser.
- TOI !!! hurla-t-il au garçon devant lui qui se tenait à l’entrée de l’école. Je vais te tuer, le menaça-t-il, complétement fou, les yeux exorbités.
- Hin ! C’est pas un problème, lâcha Kenji qui releva son visage tout amoché du dessous de ses mèches bicolores pour le confronter, prêt à se faire découper en pièce.
- Arrête Leroy… le retint Kimi, alors qu’il y mettait toute sa force. Qu’est-ce que tu fous là, toi ?! lui cria-t-elle ensuite.
- Dégage !
À nouveau, le petit chat se libéra, et vint choper son adversaire par le cou bien qu’il était plus petit. Dossan courut pour aider Kimi à l’en défaire.
Leroy bouillonnait.
Il l’aurait déchiqueté de ses propres dents s’il avait pu.
Des larmes coulaient sur ses joues, tandis que la hyène avait perdu son sourire. Pendant qu’il restait sauf, protégé par la famille de son agresseur, Kenji jeta un regard à la grande Richess. Elle était horrifiée.
- Prends Leroy avec toi… fit Kimi d’un geste, essoufflée. Dossan, écoute-moi, s’il te plaît, insista-t-elle quand elle le vit hésiter. On parlera plus tard.
Ces mots-là le convainquirent, retenant son fils pour qu’il ne bondisse pas une fois de plus sur l’étrange garçon. Il le poussa avec force.
Quand Blear poursuivit son chemin et se planta devant eux, ébahi, il voulut lui dire un mot de plus. Elle l'en empêcha en secouant la tête négativement :
- Tu vois… C'est au-delà des lois… Tes enfants sont bien trop violents pour les miens, lâcha-t-elle, profondément choquée.
- Et les tiens te ressemblent, ils fuient.
Quelle claque. Elle faisait bien mal et elle était partie toute seule.
Après un sourire tiré, qui revint en lèvres pincées, Blear lui lança un petit geste en signe d'abandon. Elle lui tourna les talons. Dossan regretta immédiatement, son cœur toquant violemment sous son torse. Il n'avait pas supporté l'insulte envers ses enfants.
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