Un tour à la bibliothèque
Extraits du journal de Mina Shelley, 1er novembre 1900
Suivant les déductions de l'inspecteur Stoker, qui était moins bête qu'il n'y paraissait, je quittais donc le château en sa compagnie pour prendre la direction du fameux monastère où nous trouvions des indices sur les projets du comte Bathory. Convaincue que celui-ci était à la recherche d'un ouvrage traitant de l'alchimie, je compris que c'était pour cette raison qu'il avait choisi de venir à Prague, ville réputée pour ses légendes en matière de magie ou d'occultisme. Certes la capitale magique de l'Europe mérite bien ce surnom mais j'ai toujours trouvé qu'y associer l'alchimie était des plus inapproprié car il s'agissait, à l'inverse de la réputation construite par les savants contemporains, d'une science visant à comprendre quels sont les grands principes régissant le monde et le cosmos. J'avais beau essayer de convaincre l'inspecteur qui m'aidait dans mon enquête, il restait toujours aussi têtu sur ce sujet, imprégné qu'il était par le matérialisme du monde bourgeois capitaliste.
Avant de rejoindre ledit monastère, l'inspecteur convia la responsabilité de la sécurité du bal à un officier impérial et je sortis du château avec lui, l'accompagnant le long d'une large rue orientée vers l'ouest . Le long de celle-ci se trouvait de nombreux palais de tailles imposantes dans un style Renaissance ainsi que des chapelles, comprenant bien que c'étaient surtout de richesses familles nobiliaires, probablement proches de la cour impériale, qui y vivaient. Malgré l'éclairage des imposants bâtiments alentours et des réverbère autour desquels étaient collés des statues en bronze d’athlètes, la pénombre régnait et j'admettais que je ne me sentais pas du tout à l'aise de m'y promener, même accompagnée représentant de l'ordre. Cependant, ce n'était pas les ténèbres nocturnes environnantes qui m'effrayaient, mais davantage la crainte d'en voir surgir le comte que nous traquons, qui pouvait aisément se débarrasser de l'inspecteur Stoker, me laissant ainsi sans défense. C'était à ce moment là que je regrettais ne pas avoir emporté avec moi un quelconque instrument pouvant me servir de pieux pour l'enfoncer dans le c?ur de ce revenant suceur de sang. Tandis que l'inspecteur marchait de vive allure, sûr de lui, je m'arrêtai régulièrement pour regarder autour de moi, m'obligeant de courir afin d'être toujours derrière Stoker. A un moment, je m'arrêtais brusquement car j'avais cru entendre un léger bruit de mouvement accompagné d'un faible murmure bestial. Je tournis la tête vers l'endroit d'où provenaient ces sons pour le moins inquiétants et vis en un clin d’?il une silhouette énigmatique passer sous un réverbère avant de disparaître dans les ténèbres de la nuit, suivie de son ombre qui s'étalait haute et monstrueuse sur le mur éclairé. Saisie de frayeur, je pris l'inspecteur par le bras et me cacha derrière en lui indiquant le réverbère sous lequel était passé la mystérieuse silhouette.
—Il y a quelque chose par là, lui dis-je à voix basse et gagnée par une peur indescriptible.
—Allons, allons, mademoiselle Shelley, répondit-il en se tournant vers moi, avec ce que vous avez vécu au château, vous voyez le danger n'importe où là il n'y est pas !
—Et pourtant, même si c'était vraiment très rapidement, je suis d'avoir vu quelque chose qui n'était pas... humain !
—Que dites-vous ? Pouvez-vous me décrire de quoi il s'agissait exactement ?
—Malheureusement, je ne le puis ! Cependant, je suis déjà sûr que cela se déplaçait à quatre pattes, avait une queue ainsi que de longs poils noirs !
—Oh, ce n'est probablement qu'un chien errant que vous avez vu et dont le jeu lumière et l'obscurité ambiante vous ont fait imaginé le pire !
—Il est vrai que cela ressemblait bien à un chien, cependant, cela semblait deux plus gros qu'un chien ordinaire ! On aurait dit un genre de loup géant !
—Ne vous inquiétez pas ainsi ! J'ai de quoi nous protéger tous les deux, rassura l'inspecteur en sortant son pistolet Mauser de la poche interne de sa veste.
—Merci de tenter de me rassurer ! Sachez cependant déjà une chose : j'ai une sainte horreur des chiens !
Sur cette discussion qui ne me rassura guère davantage, nous nous remîmes en marche le long de la rue, restant assez près de l'inspecteur et regardant systématiquement autour de moi, craignant de voir surgir le moindre signe de menace. La marche vers le monastère me sembla atrocement longue tellement je me sentais perpétuellement épiée comme si, à chaque coin de rue, une ombre aux regards maléfiques nous suivait et nous observait. À moins que ce n'était l'obscurité et la peur qui me jouaient des tours, j'eus l'impression de voir à plusieurs reprises et furtivement la monstrueuse silhouette canine ou d'entendre son murmure semblable à un grognement bestial.
Après une marche qui me semblait beaucoup trop longue tellement la peur me prenait, nous nous arrêtâmes devant une façade blanche de haute taille avec une grande porte de bois en son centre. Le commissaire mit sa main droite dans une poche de sa veste et en sortit une clé à l'apparence étrange qu'il introduisit dans le trou de la serrure.
—Pensez-vous que cela soit une bonne idée d'entrer ainsi sans frapper ? Quelqu'un pourrait nous considérer comme un cambrioleur, fis-je remarquer.
—Quand on fait partie de la police, mademoiselle Shelley, il faut mieux toujours avoir un passe-partout avec si un suspect ou un criminel potentiel a préféré garder sa porte fermée pour éviter les visites indésirables ! Et même si nous rencontrons un quelconque responsable tardif de la bibliothèque, je peux toujours user de mon autorité car je suis en plein exercice de mes fonctions !
—Ce que vous faites là est appelé de l'abus de pouvoir, inspecteur ! Dans mon pays, il n'aurait pas été toléré qu'un représentant des forces de l'ordre entre sans prévenir dans le domaine privé d'un honnête citoyen !
—Laissez vos considérations et morales de démocraties modernes de côté ! Il faut souvent savoir user de son pouvoir afin de faire appliquer l'ordre et la justice !
—Une justice aux mains du pouvoir monarchique et qui s'applique à condamner les opposants politiques !
—Sur ce, mademoiselle la protectrice de la liberté individuelle, je vous en prie, répondit-il en ouvrant bien grand la porte vers l'intérieur.
Je traversais donc la porte grande ouverte pour aboutir dans un couloir que je ne saurais décrire de prime abord étant donné qu'il est plongé dans la plus impénétrable des obscurités. Le commissaire sortit un briquet de sa poche, l'alluma et entra me rejoindre dans le couloir, permettant de nous éclairer dans un rayon de quelques mètres. M'invitant du doigt à le suivre, Stoker m'emmena vers une porte se trouvant sur notre droite et derrière laquelle se trouvait un escalier menant vers le haut. Plongé lui aussi dans l'obscurité, nous en montâmes doucement les marches pour ensuite se retrouver face à une nouvelle porte. Se tournant vers moi, le commissaire me dit :
—Supposant que vous aimez les livres, je vous garantis que vous serez comblée !
—Si vous croyez que c'est avec cette petite lumière de briquet que nous pourrons trouver ce que nous cherchons, nous en aurons pour toute la nuit !
—Ne vous en faites pas ! J'ai beau ne pas savoir où est l'interrupteur pour le couloir d'entrée, je sais où se trouve celui de la salle de théologie et de philosophie où nous devons aller !
Sur ces mots, le commissaire ouvrit lentement la porte et, après que nous soyons tous les deux entrés dans la pièce qui semblait bien grande, il tâta le mur à côté de la porte d'entrée à la recherche de l'interrupteur.
—Attention les yeux !
À peine eut-il prononcé cette phrase qu'il appuya sur l'interrupteur, illuminant ainsi la pièce dans laquelle nous nous trouvions d'une puissante lumière qui m'obligea à me protéger les yeux qui s'étaient accoutumé à une trop profonde obscurité. Quand mes yeux s'habituèrent petit à petit à la luminosité ambiante, je fus émerveillé par la beauté de la salle dans laquelle je me trouvais. Elle est bien longue et large et le long des murs s'étalaient toute une série d'étagères en bois remplies de livres aux reliures colorées mais perdant quelque peu leurs éclats étant donné leur âge. En plus de cette vaste collection, ce qui rendait cet endroit magique c'était le plafond voûté de couleur blanche sur lequel se trouvaient une variété de fresques peintes entourés de motifs sculptés en dentelles.
—Magnifique, n'est-ce pas, demanda l'inspecteur Stoker me sortant de mon émerveillement.
—C'est le mot, monsieur Stoker ! Au moins, vous savez apprécier les belles choses ! Il doit y avoir toute une variété de thématique que ces livres doivent aborder ! Maintenant, il s'agit de voir lequel d'entre eux a bien pu intéresser le comte !
—Et encore, il y en a déjà beaucoup ici, mais attendez-vous à en trouver encore plus dans la salle de Philosophie car ici, c'est celle de Théologie !
—C'est pour cela qu'il nous fait dès présent trouver un inventaire vu que nous savons de quel numéro il s'agit ! Vous, vous vous le cherchez sur le mur d'en face avec les fenêtres et moi celui du côté de la porte d'entrée !
Ainsi nous nous mîmes à la recherche de l'inventaire pouvant potentiellement être révélateur des obscures intentions du comte Bathory. Après que l'inspecteur ait scrupuleusement inspecté la moitié du rayonnage du mur avec fenêtres, je l’interpellais en poussant comme un cri de victoire :
—Ça y est, je les ai trouvé !
M'ayant très vite rejoint, je lui montrai l'étrange et original meuble que j'avais en face de moi et où était posé plusieurs ouvrages très volumineux disposés sur un système de rangement bien pensé. En effet, sur le côté de ce meuble étaient attachés deux larges planches formant un cercle reliées entre elles par quatre autres planches rectangulaires posées verticalement et sur lesquels étaient posés un ou plusieurs livres accompagnés d'accessoires d'écriture et lecture.
—Voilà un système de bureau très ingénieux, inspecteur ! Regardez ! Cela ne sert pas simplement à poser plusieurs ouvrages sur quelques planches mais aussi à pouvoir consulter comme on veut les différents ouvrages qui nous avons choisi sans devoir systématiquement en fermer ou en ouvrir un autre ! Car, comme un moulin à eau, un système de rotation se trouvant sur les côtés permet de faire défiler les planches sur lesquels sont posés les livres ouverts sur les pages qui nous intéressent !
—Tout ceci est certes très joli et ingénieux ! Il est par contre dommage que cela soit quelque peu encombrant pour y trouver une place ou le déménager !
Ne prenant pas la peine de répondre à la remarque de l'inspecteur, je fis tournoyer doucement les planches afin d'avoir sous les yeux celle sur laquelle repose l'inventaire de la bibliothèque grand ouvert. Quand il le fut, je me pencha vers lui et lut attentivement tous les livres répertoriés afin de ne pas manquer celui qui nous intéressait. Cependant, après avoir examiné patiemment l'ensemble des pages de l'inventaire, je ne pus trouver aucune référence susceptible nous mener vers notre indice tant recherché.
—J'ai l'impression que nous faisons fausse route, inspecteur ! Aucun ouvrage inventorié ne correspond au chiffres inscrits sur le bout de papier trouvé dans la chambre du comte !
—C'est étrange, en effet ! Maintenant, il se peut que cet inventaire ne reprenne tout simplement qu'une partie de la collection que recèle cette bibliothèque ! Vous savez, il y a même ici des livres qui ont été interdits par l’Église en leur temps et qui ne peuvent donc être aisément consultables comme les autres !
—Ce n'est pas faux ! Cependant, si la richesse de cette bibliothèque est aussi vaste que vous le dites, il nous sera bien difficile de savoir par où commencer nos recherches ! Nous risquons d'y passer la nuit et Dieu sait ce que le comte prépare comme...
Je fus soudainement interrompu par un cri de terreur bien audible quoique quelque peu étouffé car il provenait d'une autre salle. Ayant entendu le cri lui aussi, l'inspecteur Stoker sortit son pistolet Mauser de sa veste et se précipita vers une porte d'où semblait provenir le cri. Le suivant d'assez près, nous bouchions dans une autre bibliothèque faiblement éclairée par des lampes rondes accrochées aux hautes étagères adossées au mur. Le plafond était deux fois plus haut que la précédente avec un balcon donnant sur le deuxième étage et une voûte entièrement peinte avec des personnages volant dans le ciel. Ce qui cependant attira notre attention étaient deux silhouettes près d'une étagère, dont l'une était couchée sur le dos et l'autre avec un dos courbé se tenant à quatre pattes devant la première. Malgré la faible luminosité, nous pûmes voir que cette silhouette bien que se tenait sur ses quatre membres n'était pas humaine, car elle poussait un faible mais bien audible grognement bestial tel un chien enragé. Rien que du premier coup d’?il, je fus gagnée par la peur car je reconnus cette créature entièrement recouverte de poils noirs avec une queue touffue que j'avais promptement aperçu sur le ténébreux chemin menant au monastère. Ma peur en fut encore décuplé quand ce monstrueux canidé se tourna vers nous tout en émettant un grognement de plus de plus bestial et agressif. Il possédait une impressionnante mâchoire, suffisamment grande pour mordre le bras entier d'un adulte, dont les lèvres retroussées laissaient paraître toute une rangée de longues dents pointues quoique légèrement abîmées. Même l'inspecteur Stoker, qui avait jusqu'à présent gardé son sang froid, fut paralysé de peur à la vue de cet énorme loup dont l'unique ?il droit entièrement rouge brillait dans la nuit semblait émaner une soif de sang et de tuerie. Stoker et moi étions paralysé par une peur telle que nous n'en avions jamais ressenti face à un loup dont la taille dépassait celle de ses congénères et dont l'attitude laissait paraître la plus cruelle des bestialités. D'un geste lent et hésitant, l'inspecteur braqua son pistolet en direction de la bête qui ne semblait guère impressionner et se mit à s'approcher lentement de nous, nous observant comme une proie sur laquelle il va pouvoir déchaîner son instinct de prédateur affamé. C'est aussi prompte que l'éclair que le loup prit son élan et bondit vers nous ouvrant son énorme gueule aux crocs multiples et mortels. Par réflexe, Stoker tira bien à deux reprises sur la bête, ce qui ne semblait faire aucun effet elle. La seconde qui s'en suivit, le monstre atterrit sur l'inspecteur le faisant tomber sur le dos et lâcher son arme, tandis que je bondis sur le côté, évitant d'être emportée dans sa chute. Retenant sa proie humaine couchée au sol en posant ses pattes avant sur les épaules, le monstrueux loup regarda fixement Stoker dont le visage de celui-ci exprimait par d'atroces grimaces une frayeur qui le dépasse. Comprenant que la bête s’apprêtait à mordre l'infortuné inspecteur, j'eus pour réflexe de reculer vers un mur, espérant que la distance me tiendrait éloignée de l'agressif et bestial prédateur. Au fur et à mesure que je reculais, je me sentais impuissante face à la situation dont il ne semblait y avoir aucune chance de s'en sortir vivant, sachant que la bête pourrait aisément me rattraper après s'en être pris au représentant des forces de l'ordre. Je fus soudain saisi car je me cognas contre une table sur laquelle se trouvait un chandelier que je sentis en tâtonnant en arrière avec ma main droite. Pendant que le loup monstrueux s’apprêtait à mordre sa victime, je fus soudainement prise d'un élan de courage en m'emparant du chandelier que je serais fermement dans ma main droite. C'est ensuite avec détermination que je courus vers le prédateur face à sa victime, brandissant le chandelier, prête à frapper la terrifiante bête. Arrivée à la hauteur du monstre, je le frappa avec le chandelier sur la tête, ce qui le sonna quelque peu, laissant l'occasion à l'inspecteur Stoker de se libérer de son entreprise. Ce dernier se précipita ensuite vers son arme, la prit et tira rapidement sur la bête qui fut touché à une patte arrière. Elle se mis alors à pousser un long hurlement si terrifiant que l'inspecteur et moi restâmes comme pétrifiés de peur face à cette sonorité surnaturelle. Après avoir ainsi hurlé, le loup se tourna vers Stoker en lui montrant ses nombreux et impressionnants crocs et le fixant de son regard féroce et cruel. Instinctivement, l'inspecteur braqua de nouveau son arme vers le monstre et tira. La balle ricocha à aux pieds du loup, ce qui l'incita à s'enfuir promptement vers la porte par laquelle nous étions entrés. Bien décidé à attraper cette créature, Stoker se lança à sa poursuite tandis que moi, je me précipita vers le corps de la victime du monstre. Suivant les traces de sang laissées par la blessure du monstre, l'inspecteur arriva dans le couloir d'entrée du monastère tandis que la bête traversa la porte entre-ouverte. Se précipitant en dehors du bâtiment tenant fermement son pistolet, l'inspecteur surgit et fut stupéfait de voir la rue complètement déserte. Ayant rangé son arme, Stoker me rejoignit dans la bibliothèque auprès du corps de l'homme que j'avais pu soigner en lui faisant un garrot.
—La bête s'est échappée ! À peine est-elle sortie qu'elle a disparu dans les ténèbres de la nuit environnante !
— Avec tout ça, j'espère que vous me croyez maintenant quand je disais avoir vu un monstre ressemblant fortement à un loup ?
—Je vous l'accorde ! Tout ceci prend des allures des plus bizarres et étranges ! Déjà que vous envisagez l'hypothèse que le comte serait un vampire et maintenant, nous avons fait face à cette créature qui semble résister aux balles ! Car même en l'ayant touché à la patte, il semblait toujours aisément pouvoir se tenir debout et courir !
—Vous allez probablement encore me prendre pour une folle, mais je demande si nous ne devrions pas utiliser plutôt des balles en argent pour en finir avec ce... loup-garou !
—Bien que de prime abord, je trouve cette pensée absurde, je dois reconnaître que je commence à me demander si vous ne commencez pas à avoir raison sur de nombreux points ! À moins que tout ceci ne soit un rêve digne d'un roman gothique !
—Et pourtant, tout cela est bel et bien réel, inspecteur ! Vous allez entrer progressivement dans un autre univers qui ne respecte pas toujours les lois dites « naturelles » des hommes et vous ouvrir à des choses que vous ne voyez pas auparavant ! En attendant, venez m'aider à transporter ce blessé !
Aidée de Stoker, je pus soulever le corps de l'infortunée victime de la bête et de l’asseoir sur une chaise. Après avoir pris son pouls, qui battait faiblement mais régulièrement, je me tourna vers l'inspecteur :
—Reconnaissez-vous cet homme ?
—Effectivement, il s'agit ni plus ni moins de l'assistant du directeur de l'institut en place dans cette bibliothèque !
Tout-à-coup, discrètement mais bien audible, le bibliothécaire poussa un râle tout en ouvrant lentement les yeux. Le voyant reprendre ses esprits, Stoker se pencha vers lui et dit:
—Calmez-vous ! Vous avez été blessé par les griffes d'un loup enragé ! Encore heureux que nous ayons été là pour vous soigner, sinon, vous ne seriez plus là aujourd'hui ! Comment se fait-il qu'elle ait pu entrer ici et que voulait-elle ?
En raison de ses blessures à la gorge, le bibliothécaire murmurait davantage qu'il ne parlait et le râle qui l'accompagnait ne rendait pas ses propos très compréhensibles. Afin d'y remédier, l'inspecteur se baissa vers le blessé en tendant son oreille. Après que ce dernier lui eut murmuré quelque chose à l'oreille, il se tourna et regarda attentivement une étagère de livres située derrière lui qu'il rejoignit aussitôt.
—Qu'a-t-il dit, demandais-je en restant près du bibliothécaire tandis que Stoker inspectait méticuleusement une rangée de livres à la couverture assez abîmée.
—Eh bien, apparemment, notre blessé avait fait entrer un individu se présentant comme le serviteur du comte Bathory et qui souhaitait consulter comme nous un inventaire de la bibliothèque ! Cependant, ne trouvant pas la référence qu'il voulait dans le plus récent des inventaires, il a donc décidé de voir dans les anciens répertoriés ici, accompagné de son visiteur ! Ah voilà celui que je cherchai !
Remarquant qu'un livre dépassait quelque peu de la rangée, Stoker le prit et l'amena vers moi tout en l'ouvrant.
—Tout comme moi, le bibliothécaire a fini par trouver l'inventaire qu'il cherchait et au moment où il s’apprêtait à le sortir de son rayon, il se retourna et vit devant lui le monstrueux loup qui s'est acharné sur lui ! À croire que le soi-disant serviteur du comte s'est véritablement transformé en bête derrière lui, comme dans les histoires d'homme-loups !
—D'autant plus que je crois que ce serait le cas ! Le comte aurait ainsi envoyé son chien de garde, si je puis l’appeler ainsi, afin de retrouver la référence du livre qu'il recherche tant !
Sur ces paroles, nous déposâmes le livre sur la table la plus proche et l’ouvrîmes afin de pouvoir feuilleter les pages de l'inventaire en tout en faisant bien attention aux numéros qui défilent. Après avoir rapidement regardé près d'une centaine de pages, nous trouvâmes les chiffres correspondant à ceux que nous avons vu sur le morceau de papier trouvé dans la chambre du comte assoiffé de sang. Sur la ligne correspondante et à côté du numéro de série était inscrit en écriture manuscrite le titre du livre, la « Table d’émeraude », suivi du nom de la personne qui l'a emprunté, le docteur Lebenstein, et d'une adresse.
—Ça alors, m'exclamais-je, un exemplaire de la Table d'émeraude se trouvait donc ici au monastère ! Voilà qui explique bien certaines choses !
—Ceci vous semble familier, encore une fois ! Qu'est-ce donc ?
—Vous vous souvenez du matériel de chimie que nous avons retrouvé dans la chambre ? Eh bien, sachez que cette Table d'émeraude n'est rien d'autre que le texte qui dressera les fondements de l'alchimie depuis l'Antiquité, écrit par le légendaire fondateur de cette science qu'est Hermès Trismégiste !
—Pourquoi le comte rechercherait-il un autre ouvrage d'alchimie alors qu'il en a déjà un ?
—Il a certes les rouleaux de Ripley que je vous ai montré tout-à-l'heure, cependant, pour accomplir le Grand Oeuvre comme on dit en langage alchimique, il cherchait probablement à compléter ce qu'il connaissait déjà avec ce qui est la base fondamentale de cette science reléguée au rang de superstition par le monde moderne ! Car les livres d'alchimie n'étant compréhensible que par les initié aux symboles alchimiques, il faut souvent recourir à d'autres qui serait moins... hermétiques. Et tout cela pour obtenir de l'or à partir de n'importe quel métal impur comme le plomb et s'enrichir !
—Si cela s'avère réel ce que vous dites là à propos de cette « science », je pense qu'il cherche en réalité autre chose que la richesse pour le plaisir de la richesse ! Comme vous avez pu vous en douter, le comte nourrit de fortes aspirations à l'indépendance de la Hongrie. Et si il dispose d'une grande richesse, il peut ainsi financer sa propre armée privée avec les derniers équipements de combat à la pointe ! C'est pour cela qu'il faut retrouver cette... tablette afin de la mettre à l'abri des convoitises du comte Bathory !
—Vous avez raison ! Cependant, la Table a été empruntée depuis plusieurs années et ne semble avoir été rendue depuis par ce... docteur Lebenstein ! L'unique piste que nous avons pour la retrouver n'est autre que l'adresse de ce bon docteur ! Cela vous évoque-t-il quelque chose ?
—Connaissant les différents quartiers de Prague comme ma poche, évidemment ! Et là où nous devons dès à présent aller, ce n'est ni plus ni moins que la Ruelle d'Or !
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