Le mariage - Deuxième partie : la fête
Je quitte le temple avec le roi de l'eau, main dans la main. Nous sommes suivis par tous les invités. J'avoue être tentée de me servir de ma maitrise du feu pour brûler le bout des doigts de mon nouvel époux, mais je dois hélas me contenir. Il ne faut surtout pas provoquer de scandale maintenant.
Nous traversons l'allée en sens inverse et, tandis que mes parents retournent vers notre calèche, le roi de l'eau me conduit jusqu'à une grande gondole en argent, amarrée au bord du fleuve. Il m'aide à y monter et je m'assieds sur l'un de ses sièges recouvert de velours bleu pour assurer un peu de confort. Kaï s'installe juste en face de moi.
Une fois que chacun est prêt à partir, nous démarrons. Notre gondole est en tête de la procession, suivie de près par celles des sujets de mon époux. Les calèches de l'empire du feu nous suivent par voie terrestre avec les chars en bronze du royaume de la terre. Ces derniers sont tirés par d'élégants chevaux. Seuls les hauts dignitaires de la Cité de l'air se déplacent dans le ciel grâce à leurs aigles géants.
La nuit tombe lorsque nous débouchons enfin sur un immense lac au bout duquel se dresse le château du roi de l'eau. Grâce aux lanternes qui ont été allumées, je constate qu'il est lui aussi fait de saphir. Les nombreuses fenêtres sont encadrées d'ornements d'argent, incrustés de perles blanches. Son architecture est similaire à celle du temple où s'est déroulée la cérémonie.
Lorsque notre gondole arrive de l'autre côté du lac, nous en descendons et, suivis par tous les invités, nous entrons dans la demeure du roi de l'eau dont deux gardes nous ouvrent les portes. Nous nous retrouvons alors dans un vaste hall. Des domestiques, tous habillés de bleu, viennent nous accueillir. Leur maitre leur ordonne :
- Conduisez ma nouvelle épouse et tous nos invités vers leurs appartements, qu'ils se reposent et s'apprêtent pour la fête qui aura lieu dans quelques heures.
Les serviteurs s'exécutent et deux femmes viennent me faire la révérence, en m'adressant ces mots :
- Bonsoir, Votre Majesté. Si vous voulez bien nous suivre . . .
Nous montons le grand escalier qui nous fait face et elles me guident dans les couloirs jusqu'à deux grandes portes en argent. Elles me les ouvrent et s'écartent pour me céder le passage. J'entre donc dans la pièce qui s'avère être un salon. Elle est meublée de fauteuils en velours bleu et d'une grande table circulaire argentée. Les étagères, incrustées dans les murs, sont pleines de livres.
Les femmes de chambre ouvrent une autre porte et me font signe de les suivre. Cette dernière donne sur une chambre à coucher où trône un grand lit à baldaquins en argent et aux rideaux bleus.
Elles commencent alors à me déshabiller pour ne me laisser que ma longue chemise orange qui me tombe jusqu'aux genoux. Elles me décoiffent aussi, laissant mes longs cheveux roux tomber librement jusqu'au bas de mon dos.
L'une des servantes me dit ensuite :
- Vous pouvez vous reposer ici, Votre Majesté. Nous viendrons vous préparer pour la fête plus tard.
Sur ces mots, elles me font la révérence avant de quitter la pièce. Une fois seule, je pousse un long soupir. La journée a été épuisante et j'ai bien besoin de repos. Je tire donc les rideaux du lit et m'y allonge. Les draps sentent le neuf, comme s'ils avaient été préparés spécialement pour moi. Je m'étire pour me détendre et lâche un bâillement. Mes paupières se ferment malgré moi et je ne tarde pas à sombrer dans le sommeil.
*
La voix d'une femme vient me réveiller :
- Votre Majesté ! Votre Majesté !
J'ouvre les yeux. Les deux femmes de chambre sont à nouveau là. Elles se tiennent debout au pied de mon lit. Je me redresse en frottant mes paupières. L'autre poursuit :
- La fête va bientôt commencer, il faut vous préparer.
Je repousse les draps et me lève. Les deux domestiques me conduisent jusqu'à une autre pièce qui s'avère être une salle de bains. La baignoire en argent est déjà pleine d'eau. J'ôte ma chemise et la donne à l'une des femmes avant de me glisser dans le bain. Je me plains aussitôt :
- L'eau n'est pas assez chaude !
- Vraiment ? s'étonne l'une d'elles.
- Nous nous sommes pourtant assurées qu'elle soit à la température idéale, dit l'autre.
- Et bien elle ne l'est pas ! Je la trouve trop froide !
- Nous allons la réchauffer sur le champ !
- Non, ce n'est pas la peine. Je m'en occupe.
Je me sers de ma maitrise du feu pour réchauffer l'eau du bain et, en quelques minutes, elle atteind enfin la température que je souhaite. Je dis alors :
- C'est beaucoup mieux ainsi. Veillez à toujours préparer mes bains à cette température exacte !
- Entendu, Votre Majesté.
Elles s'approchent ensuite de moi pour savonner mes cheveux et mon corps. Je remarque cependant que l'odeur du savon est différente de d'habitude. Je demande donc :
- En quoi est fait ce savon ?
- Il est à base de lotus, Votre Majesté.
L'odeur est loin de me déplaire, mais je préfère nettement celle de la rose. Voilà une autre chose qui m'embête dans ce mariage : je vais devoir changer toutes mes habitudes !
Je pousse un soupir d'exaspération tandis qu'elles me rincent. Elles me tendent ensuite une serviette que je prends pour m'enrouler dedans, mais au moment où elles s'apprêtent à frictionner, je les arrête :
- Non, c'est une perte de temps, laissez-moi faire.
J'augmente ma température corporelle, ce qui a pour effet de me sécher en quelques minutes.
Elles me conduisent ensuite jusqu'à la pièce voisine qui se trouve être la garde-robe. Elles m'aident à enfiler une longue chemise et des bas blancs, puis une robe bleue aux broderies argentées. Mes pieds sont quant à eux chaussés d'escarpins en argent, incrustés de lapis-lazulis.
Elles m'installent ensuite à la coiffeuse pour s'occuper de mes cheveux. Elles les peignent, les brossent, puis les attachent en une épaisse tresse, qu'elles ornent de perles. Un diadème en argent, aux diamants bleus taillés de façon à ressembler à des gouttes d'eau, vient compléter cette coiffure.
L'une des femmes de chambre me met des boucles d'oreilles assorties au diadème tandis que l'autre attache un collier en argent aux pendantifs faits de lapis-lazulis autour de mon cou.
Elles passent ensuite au maquillage. Elles m'appliquent un rouge à lèvres rose, un blush très léger, du mascara et du fard à paupières argenté pailleté. Elles remplacent aussi mon vernis à ongles rouge par un autre bleu.
Ce n'est qu'alors qu'elles déclarent :
- Vous voilà enfin prête ! Vous êtes magnifique !
- Oui, le bleu souligne la couleur de vos cheveux par contraste.
- Certes, leur dis-je, mais je trouve tout de même que le rouge et le doré me conviennent mieux. Ils sont assortis à mon teint et à la couleur de mes cheveux.
- Voyons, Votre Majesté ! Vous ne pouvez plus porter ces couleurs maintenant que vous êtes mariée à notre roi.
- Oui, en l'épousant vous êtes devenue la reine de l'eau et vous vous devez donc de porter les couleurs de votre nouveau pays.
Encore un inconvéniant ! J'ai vraiment hâte qu'arrive le moment de me débarrasser de ce roi pour que je puisse enfin reprendre mes libertés !
Je lâche un petit soupir et dis :
- Bon, allons-y.
Je me lève et quitte mes appartements, suivie par les deux femmes de chambre. Ce n'est qu'une fois à l'extérieur qu'elles me devancent légèrement pour me guider jusqu'au lieu de la fête. Nous descendons l'escalier principal pour nous diriger vers deux grandes portes en argent. Les gardes qui se trouvent devant nous les ouvrent et je poursuis alors mon avancée seule.
La pièce dans laquelle j'entre n'est autre que la salle du trône. Tous les invités y sont déjà. Ils se tiennent sur les côtés pour me laisser avancer jusqu'à l'estrade où se trouvent les sièges royaux. Ce sont des trônes en argent incrustés de perles blanches et de saphirs. Sur l'un d'eux est déjà assis mon époux. Je m'installe donc dans l'autre.
Les musiciens comment alors à jouer une valse. Le roi de l'eau Kaï se lève et me tend sa main :
- Me ferez-vous l'honneur de m'accorder cette danse ?
Oui, c'est au couple royal d'ouvrir le bal. Je prends donc sa main à contre-coeur et me laisse guider jusqu'au centre de la pièce, où il passe une main autour de ma taille pour tournoyer avec moi. Ce n'est qu'alors que les autres peuvent nous rejoindre s'ils le veulent, mais je constate que la plupart des invités préfèrent discuter autour des tables garnies de nourriture installées de chaque côté de la salle.
Durant notre valse, le roi de l'eau entamme la conversation :
- Je suis enchanté de faire votre connaissance, Oriane, et plus encore de constater que mon épouse est d'une beauté sans pareil.
Je lève un sourcil. À quoi est-ce qu'il joue ? S'il croit que ses mots doux vont m'amadouer aussi facilement . . .
Je lui réponds :
- Nous sommes peut-être mariés mais je vous ferai remarquer que nous ne sommes encore que des étrangers l'un pour l'autre. Je vous prierai donc de garder vos distances et de ne pas m'appeler par mon prénom comme s'il y avait déjà quelque chose entre nous.
Il semble quelque peu surpris par mes rudes propros, mais il sourit et dit :
- Excusez-moi, je me suis laissé enporté par la joie que me procure notre rencontre.
Je ne réponds rien et notre danse se finit en silence, si ce n'est le son de la valse jouée par l'orchestre et les voix des invités. Il me quitte alors pour aller à la rencontre du roi de la terre, tandis que je me dirige vers l'une des tables pour y prendre un rafraichissement.
Je suis en train de siroter un jus de myrtilles, lorsqu'une voix féminine retentit derrière moi :
- Bonsoir, Oriane !
Je me retourne pour faire face à mon amie Éoline, la Gardienne de la Cité de l'air. C'est une jolie jeune femme un peu plus âgée que moi, aux longs cheveux blancs et bouclés et aux yeux bleu ciel. Je réponds à son salut en souriant :
- Bonsoir, Éoline ! Comment vas-tu ? lui demandé-je en la serrant dans mes bras.
- Bien et toi ?
- Ma santé est bonne, mais je t'avoue que ce mariage ne m'enchante guère, lui dis-je dans un murmure.
- Oui, je comprends. Ce n'est pas évident de quitter sa patrie et sa famille pour devenir l'épouse d'un roi qu'on ne connait pas et la reine d'un pays qui était notre ennemi il y a peu, mais vois le bon côté des choses : ce mariage nous garantit la paix pour les années à venir et cela faisait longtemps que notre monde ne l'avait plus connue. En plus, le roi de l'eau Kaï semble être un homme charmant. Tu aurais pu tomber sur pire . . .
- Qu'est-ce que cela change qu'il soit charmant ? Tu crois que je vais l'aimer juste parce qu'il a belle apparence ?
- Non, bien sûr, mais c'est déjà une bonne chose.
Je soupire. Éoline a toujours été une personne positive qui ne voit que le bon côté des choses. Cela ne la rend pas naïve pour autant et elle est dotée d'une grande sagesse. C'est pourquoi elle a été choisie pour veiller sur la Cité de l'air et ses habitants.
Elle ajoute, en posant affectueusement ses mains sur mes épaules :
- Tout se passera bien, tu verras.
- Si tu le dis . . .
- Je sais ce qui te rassurera, dit-elle en plongeant sa main dans la sacoche en coton blanc qui est accrochée à sa ceinture.
Elle en sort une corne blanche incrsutée de jolies gravures représentant des oiseaux et me tend l'instument :
- Souffle dedans au moindre problème et j'accourerai aussitôt. Considère cela comme mon cadeau de mariage.
- Merci beaucoup, Éoline ! Tu es une véritable amie ! dis-je en la serrant dans mes bras.
Nous passons le reste de la nuit à discuter ensemble. Ce n'est qu'au lever du soleil que la fête prend fin. Tous les invités quittent alors la salle du trône et le palais pour retourner chez eux. Avant de monter dans leur calèche, mon père me dit à voix basse :
- Vous recevrez bientôt nos instructions. En attendant, veillez à ne pas éveiller les soupçons du roi de l'eau et de ses sujets. Je compte sur vous pour que tout se déroule selon nos plans.
Je hoche silencieusement la tête. Il conclue sur ces mots :
- Au revoir, princesse Oriane.
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