Un adorable cadeau
L'été touche à sa fin, le temps se rafraichit. Les feuilles des arbres commencent légèrement à changer de couleur, virant vers le jaune et le rouge. Je les observe s'agiter avec le vent du haut de mon balcon. L'eau du lac ondule sous l'effet de son souffle.
Je touche distraitement la broche argentée qui maintient mon châle blanc sur mes épaules, tout en écoutant la douce mélodie que joue Ondine Delaigue à l'aide de sa harpe.
C'est alors que je vois arriver le bâteau de pêche du roi de l'eau Kaï. Ce dernier en descend, suivi de ses compagnons. On dirait qu'il tient quelque chose entre ses bras, mais je ne parviens pas à distinguer de quoi il s'agit. Intriguée, je décide de descendre dans le hall pour vérifier ce que c'est.
Je quitte mes appartements, suivie par Madame Delaigue et sa fille et arrive devant les deux grandes portes d'entrée du château en même temps que mon époux. Ce dernier me salue :
- Bonjour, Madame.
- Bonjour, répondé-je en posant mes yeux sur ce qu'il tient.
Il s'agit d'une petite créature au pelage brun dotée de longues moustaches. Ses yeux sont fermés et sa respiration est agitée. Je demande à son porteur :
- Qu'est-ce que c'est ?
- C'est une loutre, me répond-il. Nous l'avons trouvée durant notre partie de pêche. Elle est blessée et c'est pourquoi j'ai décidé de l'emmener avec moi. Il faut la faire soigner au plus vite.
Kaï est donc le genre d'hommes à se soucier du bien-être des animaux. Je lui demande encore :
- Et que comptez-vous en faire une fois qu'elle se sera rétablie ?
- Je n'y ai pas encore pensé . . . m'avoue-t-il. J'y réfléchirai plus tard. Le plus important pour l'instant, c'est de la soigner.
Il s'éloigne ensuite en direction de l'escalier principal qu'il gravit avant de disparaitre dans l'un des couloirs. Ses hommes lui emboitent le pas. De mon côté, je me tourne vers mes suivantes et leur dis :
- Allons nous promener puisque nous sommes venus jusqu'ici.
Nous quittons l'intérieur du château pour nous rendre dans les jardins.
*
Le soir-même, alors que je suis tranquillement assise dans mon salon en compagnie de Madame et Mademoiselle Delaigue, on toque à la porte. Je tourne la tête vers cette dernière et dis à voix haute :
- Entrez !
Le roi de l'eau entre, tenant dans ses bras la loutre trouvée cet après-midi.
- Bonsoir, nous adresse-t-il.
Mes deux compagnes se lèvent pour lui faire la révérence. Leur souverain leur permet de se redresser d'un simple signe de tête. Il vient ensuite s'asseoir à côté de moi sur le canapé en velours bleu pour me dire :
- La loutre a été soignée. Elle n'avait que quelques égratinures et une patte cassée, elle devrait s'en sortir.
- Tant mieux, me contenté-je de répondre sur un ton neutre.
- J'ai réfléchi à votre question de tout à l'heure et j'ai ma réponse.
- Qu'est-ce que c'est ?
- Je vous l'offre.
- Pardon ? demandé-je en levant un sourcil, interloquée.
- Elle est à vous. Je suis sûr qu'elle fera un excellent animal de compagnie ! Voyez comme elle est calme et douce.
La loutre semble en effet docile. Elle se contente de nous fixer de ses petits yeux noirs, sans bouger. Seulement . . . Je dis à mon époux :
- Si elle est aussi calme avec vous, c'est parce que vous l'avez sauvée. Qui vous dit qu'elle m'appréciera tout autant, moi qui n'ai rien fait pour elle ?
- Il n'y a pas besoin de raison pour aimer, vous savez ? Acceptez-la, s'il vous plait. Cela me ferait très plaisir !
- Si vous l'aimez autant, vous n'avez qu'à la garder vous-même. Pourquoi devrais-je le faire à votre place ?
- Je ne pensais pas que vous le prendriez comme une corvée. J'étais sûr de vous faire plaisir avec ce petit cadeau. D'ailleurs, pourquoi rejeter de la sorte cette pauvre créature ?
- Je ne la rejette pas. Je me demande tout simplement pourquoi est-ce que vous tenez à me l'offrir alors que vous semblez beaucoup l'apprécier.
- Je me suis tout simplement dit que vous l'aimeriez sûrement tout autant que je l'aime et dans ce cas, je préfère que c'est vous qui l'ayez.
- Et pourquoi donc ?
- Vous semblez avoir beaucoup de mal à vous adapter à votre nouveau pays et à vous intégrer au sein de la Cour. Je me suis donc dit que cette adorable petite bête pourrait vous soutenir dans cette période difficile. Il est plus facile d'ouvrir son coeur à un animal doux et doté d'un coeur pur qu'à un être humain dont on ne connait pas les véritables pensées, sentiments ou attentions, n'est-ce pas ?
Je ne réponds rien. En fait, je dois avouer que je suis très surprise par le côté doux et attentionné dont vient de faire preuve le roi de l'eau Kaï. Seulement, comme il vient de le dire, il est impossible de savoir ce qui se cache réellement dans le coeur d'un être humain. Il se pourrait donc très bien que ce dernier soit en train de jouer la comédie pour une raison que j'ignore . . .
Je soupire. Mon époux le remarque et me dit, en souriant doucement :
- Prenez-la dans vos bras. Cela vous fera du bien. Elle a un pelage si chaud et doux qu'il apaise quiconque le carresse.
En disant ces mots, il me tend l'animal. Je le prends et le pose sur mes genoux pour le carresser. Effectivement, son contact est apaisant. Je laisse échapper un petit sourire.
C'est alors que je sens le souffle chaud du roi de l'eau sur ma peau, tandis qu'il me murmure à l'oreille :
- J'aime vous voir sourire.
Je me tourne vers lui en sursaut, surprise et troublée. Il me sourit, puis se lève et quitte la pièce en nous lançant joyeusement :
- Je vous souhaite à toutes une excellente soirée et une bonne nuit !
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