La fille du docteur Wingdam
Alice était aussi espiègle et turbulente que pouvait l'être une petite fille de 6 ans. De longs cheveux d'or, que sa mère aimait tresser en arrière, encadraient son visage rieur. Ses grands yeux bleus s'émerveillaient de tout : de l'escargot grignottant goulûment une feuille de laitue jusqu'à la parade du carnaval d'automne. Son rire d'enfant explosait comme un feux d'artifice ; la fillette faisait le bonheur de ses parents. La fougue qui l'animait jamais ne faiblissait - épuisant sa famille de temps à autre - et c'était par cette exubérance innocente qu'on l'estimait à travers le village.
Tout le monde connaissait Alice car tout le monde connaissait sa mère. En effet, Mme Wingdam était le seul médecin à des kilomètres à la ronde, alors oui, tous avaient déjà aperçu la belle enfant traîner dans son cabinet. Les campagnards aimaient voir sa petite tête blonde s'agiter dans la salle d'attente, à jouer avec sa poupée Mary - à force, son nom était su de toute la patientelle - et à entendre son rire résonner dans la pièce. Ces moments n'étaient pas rares puisque son père, militaire de formation, partait souvent en déplacements pour son travail ; quant à sa mère, madame finissait rarement ses journées avant 19h.
Certains l'avaient prise en pitié : "Ô pauvre petite ! Comme la solitude devait lui peser !". Mais jamais Alice ne se sentait seule car Mary était la meilleure de toutes ses amies. La poupée la suivait partout, collée à sa main comme de la glue, de son lit à son école primaire, de la table de la salle à manger jusqu'à son bain ! La fillette était heureuse et regardait la vie avec une telle innocence et une telle confiance que c'en était déroutant. "Ah l'enfance ! Cette période si douce !" pensaient les patients en l'observant jouer à la dinette avec Mary.
- Mr Gimbolt ?
Personne n'avait remarqué le Dr. Wingdam, adossée à l'encadrement de sa porte. Tous étaient trop concentrés dans leur contemplation pour avoir remarqué que la consultation précédente avait pris fin.
Alice ne remarquait pas le regard attendri que sa mère posait sur son beau visage entre chaque patient. Telle mère, telle fille, la jeune maman s'étonnait parfois de sa propre ressemblance avec sa progéniture. Vêtue d'une jolie robe bleutée sur laquelle tombaient en cascade quelques mèches rebelles - la petite friponne avait à moitié défait sa coiffure - d'une paire de collant blanc et de souliers noirs, madame Wingdam s'amusa à la comparer à la Alice des contes de fées que sa grand-mère lui lisaient à son âge. Ô comme cette enfant pouvait être impossible ! En effet, lorsqu'on s'y attardait davantage, l'on pouvait aisément remarquer les tâches qui maculaient ses habits. Difficile d'ignorer ce que la fillette avait mangé à midi.
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