11. Électrochoc

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Dans un sursaut général, je suis étonné de remarquer la main de Mia qui s’accroche à l’ourlet de ma chemise. Lina aussi avait ce réflexe quand elle avait peur. Merde ! Je dois me reprendre. Mia n’est pas Lina. Un point, c’est tout. Alex a dû comprendre mon désarroi et me tend un verre. J’en bois quelques gorgées avant de prendre mes distances avec cette blonde mystérieuse.

Ethan essaie encore de voir si la gifle de Sophie, lui a laissé une marque visible. Ce que je peux confirmer alors que je m’installe sur un des sièges près du comptoir. Les doigts de Sophie sont incrustés sur la peau claire de notre toute nouvelle invitée. En soufflant, je me relève, fonce, droit vers mon congélateur, et en sort une poche de glace.

— Attrape !

Je grogne presque lorsque je m’adresse à elle, mais elle retient le paquet dans ses mains alors que je lui lance. Elle me sourit, et souffle un léger « merci ». Puis, dans un dernier clignement de paupières, son attention se rattache à Ethan. J’observe le manège de mon ami sans rien dire. Même si aussi étrange que cela puisse paraître, celui-ci crée un profond sentiment de mal-être chez moi.

La dernière fois que je l’ai vu posé de la glace sur un visage, c’était… Il y a bien trop longtemps… Mais, il devait être aussi délicat que celui de Mia. Durant quelques minutes, j’examine les doigts d’Ethan, ils touchent, frôlent, caressent la peau, le contour des traits de notre jeune blonde.

Sauf que plus je les regarde, plus mes pupilles viennent s’accrocher à ce grain de beauté, cette tache de rousseur qu’elle porte sur sa joue droite. Telle une goutte d’eau, une larme ayant coulé à son insu, elle est la marque d’une blessure. De mes cicatrices, comme un rappelle du résultat de ma rencontre avec son sosie du passé.

Un fantôme venant me hanter.

— Elle est toujours comme ça votre amie ?

L’intervention de Mia, me fait revenir, et je prends une nouvelle gorgée de ma boisson avant de prendre le temps de lui répondre. D’ailleurs, comment lui expliquer ? Comment lui dire qu’elle est le portrait craché de cette fille, cette fleur à peine éclos dont j’ai accéléré la fanaison ? Et surtout comment lui dire qu’alors que je sortais avec Sophie, Lina était encore dans ma vie ? Comment lui dire que c’est de ma faute si elle a disparu ?

Comment pourrais-je avouer que Sophie déteste Lina à cause de mes mensonges ?

Et d’ailleurs, pourquoi sentais-je le besoin irrépressible de me justifier auprès de Mia ?

Ce tourbillon d’interrogation me perturbe, mes tympans vibrent sur le coup de temps de résonnements. Et alors que je me sens comme descendre, perdre pied, sombrer, et chuter dans un trou noir, mon acolyte, Alex vient à ma rescousse. C’est le meilleur, et pourtant… Oublions, ça n’a plus d’importance., plus maintenant.

— Seulement avec les jolies jeunes femmes comme toi, énonce Alex en s’approchant du canapé.

— Très drôle. En tout cas, si c’est pour me mettre dans l’ambiance, c’est raté. C’est chouette ici, dit Mia en observant la décoration de mon appartement. Ce n’est pas trop dur, la cohabitation entre colocataires ?

Sa question paraît innocente. Pourtant, mes poils se hérissent sur mes bras, et je lance un regard plein de sous-entendus à Alex, qui se fait par la même occasion fusiller par celui de Mathilde, avec qui, je le rappelle, il vit. Décidément, cette soirée est loin d’être ce que j’en avais imaginé. Mais il est vrai que ça fait bien longtemps que la tempête n’a pas remplacé le calme par chez nous.

Et d’ailleurs, mes sourcils se froncent et une ride se creuse juste au-dessus de mon nez face à son interrogation. Bizarre, étrange, peu importe ce que les autres en diront, moi, je ne comprends pas comment elle pourrait savoir que nous avons été colocataire. Je n’arrive même pas à savoir pourquoi elle nous pose cette question. Gentillesse ? Curiosité ? Torture ?

Essaierait-elle de nous plonger en enfer ?

Impossible.

— On ne l’est plus, me contenté-je de dire en fixant mes yeux dans le vert perçant des siens.

— Mais Eth…

— Mia, arrête ! À quoi tu penses jouer ? Nous, interrompt Ethan qui revient de l’étage, tenant une pommade anti-hématome dans la main.

La jeune femme répond par un « rien », un mot froid, distant et sciant.

Presque d’un ton trop violent pour une silhouette si fragile.

J’essaie de capter les mouvements de mon ami, mais il est cloué aux visages de Mia. Ne remuant qu’imperceptiblement, perdu dans un dialogue silencieux avec cette blonde. Cette fille qui semble se cacher. Elle n’est pas transparente, ni lisible, elle est comme… Protégée par une carapace, une armure d’acier que mes yeux noisette n’arrivent pas à briser.

— Désolée, j’étais persuadée que vous habitiez ensemble, murmure Mia en détachant enfin son attention d’Ethan.

— Dans le passé, ce fut vrai.

Cette simple intervention de Mathilde me refroidit de l’intérieur. Un frison, un air glacé me transperce de part en part. Je perds l’équilibre, chutant, et m’agrippant au bord du précipice pour ne pas sombrer dans la folie. Bloqué mes souvenirs s’avèrent impossible, ils sont imparables, arrivant à franchir toutes les barrières que j’avais pourtant érigées.

Ce sont mes sens qui me lâchent en premier, puis ma conscience, pour me plonger dans un lieu sombre et humide. Une pensée, un sentiment d’abandon et une sensation de défaite emplissent chaque parcelle de mon être. Je me sens succomber, plonger dans les profondeurs d’un souvenir en sommeil. Une pièce de puzzle de ma mémoire que je tente avec tout le désespoir possible d’effacer.

Cette journée du neuf novembre deux mille douze que j’aurais préféré garder au fond du tiroir.

Difficile d’oublier ce jour, même si je le souhaite de toutes mes forces. Et un électrochoc frappe ma poitrine au moment où Alex pivote la tête vers moi, en se mordant la lèvre inférieure. Lui aussi se souvient. Il était là, et il était même un des acteurs principaux de la scène. Ça s’est passé cinq mois après son départ, cinq longs mois après qu’elle soit partie.

Et après ce jour-là, j’ai mis longtemps à m’en remettre, une longue période à me sentir vide, tout me paraissait insignifiant, insipide et sans saveurs. Elle avait brisé une part de moi, qu’Alex a fini par mettre en miettes quelques semaines plus tard. Un peu comme si on m’abandonnait une nouvelle fois.

Ce n’était plus, Caleb et Alex contre le monde.

Mais bien, Caleb l’âme perdue, l’homme fissuré face au jugement, face à sa noirceur.

Ce fut la première journée de mon enfer personnel. Ce, contre quoi je me suis battu toutes ces années. Ce, pour quoi j’essaie de faire de mon mieux à présent. Je ne suis pas parfait, mais j’essaie de donner le meilleur de moi-même. Donner tout, pour pouvoir un jour me racheter, réparer mes torts, expier mes fautes.

Fermer le livre de cette période de ténèbres.

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