24 décembre 2021, le monde sort à peine de deux ans de bataille contre la pandémie. Aux USA Biden fait face à une fronde de plus en plus violente de la droite radicale. Au Royaume-Uni, l'économie s'écroule lentement et les tensions entre l'Angleterre et l’Écosse sont à leur comble. Le gouvernement Johnson ne trouvant toujours pas d'autre parade, la faute est systématiquement rejetée sur L'UE. Les british sont au bord de l'apoplexie. Mais dans l'UE, les choses ne vont pas beaucoup mieux. La Hongrie et la Pologne continuent de mettre les institutions européennes face à leurs contradictions. La succession de Merkel est tellement mal gérée que l'Allemagne déprime. Et la France, en pleine période électorale, perd complètement ses nerfs.

Alors quand un message venu du fin fond du système solaire apparut simultanément sur tous les écrans radars de l'extrême Orient, le monde entier se prit à rêver. "Les E.T. arrivent" titraient tous les journaux et tous les éditorialistes de s'enthousiasmer sur cet évènement extraordinaire qui allait, nécessairement, souder l'humanité. On s'extasiait tous sur la chance que nous avions de faire partie des générations qui allaient rencontrer une intelligence venue d'un autre monde. Un peuple à la maitrise technologique telle qu'il pouvait voyager entre les galaxies ; le monde entier commença à spéculer sur ce qu'ils pourraient nous apporter. Les avancées médicales, informatiques et d'ingénierie étaient débattues des plateaux télé aux comptoirs des bars. Après deux ans passés à ne parler que de la Covid, il était certain que les deux prochaines années (temps que les ET allaient mettre pour arriver sur Terre) allaient être centrées autour de cette nouvelle. Jamais le monde n'avait paru si beau et l'avenir si prometteur.

L'indice de bonheur mondial grimpa, sauta même. L'économie se stabilisa. La solidarité explosa. Forcément, il n'était pas acceptable que les ET débarquent sur une Terre aux inégalités si marquées. L'écologie devint un sujet majeur ; l'Amazonie et la jungle indonésienne arrêtèrent de brûler, les fleuves d'Asie du sud-est et du sous-continent indien furent nettoyés, les animaux des zoos relâchés et toutes les pratiques inhumaines furent complètement transformées. Pendant l'été 2022, alors que la planète changeait à un rythme qui était inimaginable l'année précédente, un journaliste argentin trouva la formule parfaite pour décrire la frénésie qui avait pris toute l'humanité : "il n'y a rien de mieux que la certitude d'un jugement extérieur pour nettoyer sa maison".

C'est au fin fond des USA, dans les petites églises d'une zone englobant le Texas, l'Oklahoma, le Kansas, le Nouveau-Mexique et une partie du Colorado que naquit le nouvel évangile. Il grandit lentement, s'accrochant à des communautés évangéliques qui avaient depuis longtemps rejeté toute réflexion pour se vautrer dans la paranoïa et les théories apocalyptiques. La date du 24 décembre, à laquelle personne n'avait fait attention de prime abord trouva une interprétation toute religieuse dans cette communauté. Aucun d'entre eux ne releva que, bien que la date officielle de la réception soit le 24 décembre, étant donné que le signal fut d'abord reçu quelque part en Chine, il était encore le 23 décembre pour ces gens-là. Les théories farfelues se nourrissent de symboles, pas de faits. Quand le mouvement eut atteint une masse critique, il était trop tard pour l’arrêter. Le monde chrétien vacilla à l'idée que le vaisseau extraterrestre pouvait annoncer le retour de Jésus Christ. Le Pape eut beau expliquer qu'il n'y avait pas lieu d'extrapoler, la vitesse à laquelle le nouvel évangile se propagea démontra une bonne fois pour toute à quel point son influence était devenue nulle.

Débordés par ces mouvements apocalyptiques, les pays du continent américain (du nord et du sud), à l'exception notable mais inutile du Canada, se virent obligés de prendre des positions radicales. Le signal avait beau avoir été envoyé à toute l'humanité, ces pays exigèrent que les extraterrestres soient considérés comme des prophètes chrétiens. Forcément, les musulmans montèrent au créneau. Le continent africain se déchira entre catholiques et musulmans mais bon, des guerres en Afrique, en vrai tout le monde s'en foutait. Si les monarchies absolues de la péninsule arabe réussirent à contenir leurs peuples, l'étincelle provint d'Indonésie. Le pays musulman le plus peuplé se trouvait dans les premiers à réceptionner le message de part sa position géographique. Il exigea d'être reconnu comme le lieu d'atterrissage privilégié des extraterrestres et de les accueillir avec une délégation musulmane.

Et tout explosa.

Les pays séculaires d'Europe ne pouvaient accepter que les ET soient accueillis avec des symboles religieux. Le continent américain rappela qu'en tant que religion majoritaire, le christianisme se devait d'avoir la primauté. La Chine, le Japon et les deux Corées cherchèrent à s'unifier, mais entre les shintoïstes, les bouddhistes, les confucianistes et tous les autres, ils ne purent tomber d'accord. Personne ne sait qui lança la première attaque. En vrai qu'importe. C'est un réflexe bien immature de chercher un coupable unique quand le monde entier est responsable. En 2023 le monde s'embrasa.

Quand le vaisseau extraterrestre se posa enfin sur Terre, il ne restait plus le moindre humain en vie. Les ET firent donc la connaissance des fourmis avant de réaliser que les fourmis rouges détestaient tellement les fourmis jaunes qu'aucun échange était envisageable avec ces êtres belliqueux. Ils quittèrent la Terre et dans leurs annales notèrent : "traces d'une civilisation probablement détruite par les fourmis dont la propension à se faire la guerre nous parait inégalée dans la galaxie".