• Impressionnant.

Elma se figea, surprise, et fit volte-face. Elle aperçut le Mage à l'entrée de la pièce, appuyé contre l'embrasure les bras croisés.

Il se redressa et entra dans la pièce. Il inspecta sa nouvelle allure. Il passa une main sur un fauteuil que la jeune fille avait restauré.

• Comment as-tu fait ? D'où te viennent ces connaissances ? l'interrogea-t-il.

L'adolescente ne bougea pas de sa position.

• Je... c'est papa qui m'a appris.

Serymar l'interrogea du regard.

• Euh... mon père. L'homme qui m'a élevé et aimé jusqu'à sa mort.
• Il se nommait donc ainsi ?
• Non, c'est juste moi qui l'appelait comme ça.
• Vous avez vraiment des moeurs étranges, parfois, constata Serymar.

Elma eut envie de lui expliquer que c'était lui qui était à côté de la norme, mais elle se ravisa. Elle préféra revenir au sujet initial.

• Il... il me disait que je devais savoir me débrouiller encore plus qu'un homme, parce que le monde est très dur à cause de la malédiction des Dragons. Même si ça devait me faire mal regarder par les autres, qui disaient que j'étais mal élevée. Vous... vous êtes le premier en dehors de ma famille qui me dit l'inverse en voyant ce que je sais faire.

Serymar ne répondit pas tout de suite. Elma n'osa pas en rajouter et baissa la tête.

• Ton père devait être quelqu'un de bien, dans ce cas. J'aurais eu plaisir à échanger avec lui.

Surprise, Elma releva la tête et le fixa sans dissimuler sa surprise. Quand elle pensait à ces violentes critiques quotidiennes... l'émotion la saisit.

• Je... merci...
• Cependant, tu as encore du chemin à faire.

L'adolescente l'interrogea du regard.

• Ton père souhaitait que tu ne sois jamais contrainte. Aujourd'hui, tu es sous ma protection le temps de te reconstruire, tu n'as donc pas aussi indépendante que ce qu'il désirait.

Il lui fit face et expliqua :

• Tu es encore sous influence. Si j'approuve cette valeur morale, toujours est-il que tu composes actuellement ta vie en fonction de ce souhait. En clair, le souhait de quelqu'un d'autre. Je ne pense pas que cela soit ce que cet homme voulait. Tu dois apprendre à poursuivre ton propre chemin.
• Et si je suis d'accord avec ça ?
• Tant mieux. Tu as le droit d'avoir le même souhait... à condition qu'il s'agisse d'une réelle volonté propre. Pose-toi la question. Tu as le droit de t'inspirer des autres. Mais quelque part, tu suis encore un chemin que l'on t'a donnée.

Elma ne sut que répondre. Face à son silence, Serymar ajouta :

• Ne te reproche pas de t'être mise sous ma protection, Elma. Tu en as encore besoin. Une fois que tu te seras reconstruite, tu auras à ce moment-là la force de faire ton propre chemin et surtout tes propres choix. Prends le temps qu'il te faut.

L'adolescente hocha la tête. Le Mage s'éloigna d'elle.

• Ne sous-estime pas tes capacités, Elma, même si elles te paraissent simples. D'autant plus que tes capacités ont bien plus de valeurs que les porteurs de magie.
• Comment pouvez-vous dire ça...
• À tout moment, nous pouvons avoir une perte momentanée de pouvoir, soit par la force, soit par d'autres circonstances, lui expliqua Serymar avec patience. Se fier uniquement à la magie est une erreur qui peut être fatale. Alors que tes capacités non-magiques, elles, resteront toujours là quoiqu'il arrive. En ce sens, j'estime qu'elles méritent plus d'admiration qu'un sort. Tu peux être fière de ton travail. Je commence même à comprendre en quoi ces manoeuvres sont bénéfiques.

Elma lui offrit une expression étonnée.

• Mes mots... ce que je vous avais donc expliqué là-dessus... cela ne vous a donc pas paru dénué de sens ?

Ce fut au tour de Serymar d'afficher une expression surprise.

• En quoi cela l'aurait-il été ?
• Je... je n'ai que quinze ans... je n'ai jamais été instruite, je ne suis pas très int...

Elma se tut aussitôt lorsqu'elle croisa le regard chargé de colère de Serymar. Elle déglutit lorsqu'elle se souvint de sa première réaction à ce sujet au moment où elle avait voulu consentir au pacte. Il lui avait ordonné de ne plus jamais se rabaisser. Ne sachant que dire, la jeune fille préféra reporter son attention à ses propres chaussures.

Ce fut après un long silence que Serymar reprit avec calme :

• Ça, en revanche, ce sont des mots dignes d'un dénué de réflexion. L'âge n'est absolument pas un critère d'intelligence, Elma. Encore moins le manque d'instruction. Ne confond pas. Si tes réflexions peuvent manquer de maturité, elles ne sont pas moins dénuées d'intérêt.

Elma hocha lentement la tête mais resta silencieuse. L'émotion la reprit lorsqu'elle repensa à leur échange, notamment sur son père. La mort de ses parents était encore récente, et malgré ce mois horrible avec les bandits, elle n'avait pas eu le temps de faire son deuil. Elle commençait à peine à réaliser qu'ils ne seraient plus jamais là pour elle. Qu'ils ne verraient jamais ses progrès, et encore moins qu'elle s'en était sortie.

Elle sursauta lorsqu'elle sentit la présence du Mage proche d'elle. Il l'analysait encore, comme s'il cherchait à comprendre sa réaction. Elma essuya ses larmes d'une main et hoqueta :

• Ce... c'est rien. Je... ma famille me manque. Et je commence à me rendre compte que.. que jamais je ne les retrouverais. C'est tout. Ça va passer. Laissez-moi juste du temps.
• Tu ne les retrouveras jamais, en effet.

Elma soutint son regard. Serymar désigna le ciel de son index :

• En revanche, eux te voient. Tant qu'il y aura au moins une personne sur Weylor qui se souviendra d'eux, en bien comme en mal, leurs âmes seront encore présentes dans le sanctuaire d'Illuyankas.
• Comment pouvez-vous en être si sûr ?
• Je le sais.
• Donc, ils savent que je vais bien ?
• Oui.

Elma manqua encore de fondre en larmes de bonheur. Elle eut du mal à se contenir mais prit sur elle.

L'adolescente vit Serymar prendre un bout de papier :

• Ferme les yeux et pense à eux. Ne pense pas à autre chose, à eux et seulement eux. Visualise-les dans ton esprit.

Elma se demandait ce qu'il avait derrière la tête. Elle fit ce qu'il lui demandait. Peu rassurée, elle frissonna lorsqu'elle le sentit poser un doigt entre ses yeux. Elle essaya d'ignorer cette sensation en se concentrant sur l'image de ses parents, lorsqu'ils étaient encore ensemble tous les trois.

Ce fut après quelques secondes que Serymar lui intima :

• Tu peux revenir.

Ses yeux lui brûlèrent lorsqu'elle les rouvrit. Cette fois, Elma fut incapable de retenir ses larmes malgré ses efforts pour les contenir, lorsqu'elle vit ce que le Mage tenait dans sa main. Sur le papier vierge étaient désormais imprimé le même souvenir qu'elle avait visualisé : ses parents et elle réunis, dans un instant de bonheur qui n'arriverait plus jamais.

• Ramener des morts à la vie est contre-nature, en plus d'être impossible, expliqua le Mage. Je suis incapable de te rendre la vie que l'on t'a volée. Mais je peux figer les souvenirs. Du moment que cela t'aide à passer ces étapes du deuil.

Elma resta figée, tant elle ne s'y était pas attendue. Serymar commença à s'éloigner :

• Non, s'il vous plait, attendez !

Le Mage se retourna pour l'interroger du regard et Elma se jeta à son cou avec force. Elle le sentit se raidir avec force.

• Merci... merci pour tout...
• Tout ça ne demande aucun remerciement !

L'adolescente n'eut pas la force de riposter. Elle se contenta de s'imprégner de cette nouvelle présence qui la rassurait, ce bouclier invincible entre elle et le monde entier. Elle se moquait de paraître égoïste en cet instant. Elle avait besoin de ressentir cette force afin de s'en inspirer et se reconstruire. Il lui donnerait tout ce qui lui manquait. Il appréciait son travail et la valorisait. Il l'aidait à franchir ses épreuves. Le moins des humains de tous les hommes qu'elle avait pu croiser dans sa vie lui avait offert bien plus que ce qu'elle avait espéré.

Elma se promit qu'un jour, lorsqu'elle serait plus forte, elle lui rendrait la pareille.