Flashback Elma/Serymar [Partie ???]
25 ans plus tôt.
Cela faisait déjà plusieurs semaines qu’Elma avait été sauvée par son étrange bienfaiteur. Elle s’était liée magiquement à lui, l’hybride semblant souffrir d’un cruel manque de confiance envers qui que ce soit. Mais la jeune fille ne s’en formalisait pas. Elle finirait bien par lui prouver qu’elle était digne de sa confiance.
En revanche, elle avait sous-estimé le calme ambiant de cette région. Rien ne bougeait et les saisons n’étaient discernables que par la couleur du ciel. Elma était très jeune et la fougue de la jeunesse l’animait encore. Elle n’avait pas prévu de soupirer d’ennui et d’avoir cette énergie à revendre qui ne demandait qu’à être dépensée. Les diverses formations de Serymar ne suffisaient plus. Ce dernier lui avait expliqué que, pour remplir les éventuelles missions qu’il pourrait lui donner, elle se devait d’être préparée à certaines choses et plus particulièrement en ce qui concernait les dangers, la magie, et la manière d’anticiper les actions et pensées d’autrui.
Elma lâcha un long soupir bruyant. Elle se demanda encore une fois comment son hôte était capable de vivre dans un lieu où il ne se passait rien.
La jeune fille se releva et marcha dans le long couloir. Elle croisa une énième pièce abandonnée. Elma y pénétra et balaya l’épaisse couche de poussière d’une main sur le premier meuble qu’elle croisa. Elle attrapa l’objet et le tira. Un énorme nuage de poussière salit une bonne partie de sa robe. Elle éternua.
Elma attendit que le nuage retombe et découvrit les restes d’une chaise ancienne. Elle sourit à l’idée qui germait dans son esprit.
Elle entreprit de fouiller la pièce plus en détail pour faire l’inventaire de tout ce qu’elle pourrait trouver. Explorer ce vieux château lui procurait une sensation agréable. Il y avait tant de pièces qu’elle y voyait un excellent moyen d’y passer son temps libre.
Ce fut au bout de trois bonnes heures que, attiré par le bruit, Serymar se matérialisa dans la pièce, une expression agacée sur le visage.
— Quand je t’ai dit que tu pouvais faire ce que tu voulais, cela n’incluait pas de faire de ces lieux une zone de vacarme ambiant, lui reprocha-t-il.
Elma se redressa, lui fit face et contre toute attente, lui offrit un sourire fier en lui désignant les objets derrière elle.
— Je viens de restaurer cette table basse et ces fauteuils, avec ce que j’ai pu trouver aux alentours. Ça n’a pas été facile ! Ce n’est pas encore terminé, mais déjà, je pense que cela rendra cette pièce plus confortable et chaleureuse !
Son hôte ne répondit rien. Si l’agacement disparut de son visage, son expression devint indéchiffrable. Le long silence qui suivit devint gênant et son enthousiasme commença à s’effriter. L’adolescente baissa les yeux et inclina la tête.
— Désolée, je… je ferais attention, désormais.
Encore un long silence. Elma ne sut comment réagir et se sentait mal à l’aise.
— Comment… reprit-il, cherchant ses mots. Comment cela se fait-il que les gens de la vie civilisée apprécient toujours d’avoir plus que ce dont ils ont vraiment besoin ?
Elma releva le regard, mais vit avec surprise que son hôte ne la regardait pas : il semblait plongé dans des réflexions, sincèrement perdu. Elle se demandait comment pouvait-on être aussi instruit et être aussi ignorant sur les choses les plus essentielles.
— Euh… eh bien comment dire… tenta-t-elle. Je pense que vous généralisez un peu trop les gens. Bien sûr qu’il y a des avares qui veulent « plus que ce dont ils ont vraiment besoin ». Parfois, ça peut aussi se traduire par une angoisse de manquer de quelque chose, à force d’avoir justement vécu une période de manque. Il y a tous les cas possibles.
Elle s’arrêta un instant et cette fois, son hôte la fixait. Il s’appuya avec nonchalance contre le cadre de la porte, croisa les bras, mais ne répondit pas. Son expression resta toujours indéchiffrable.
— Mais… hésita Elma. Parfois, il ne s’agit rien de tout ça. Il s’agit juste d’un plaisir personnel. De conditionnement… je… je veux dire par-là qu’il est confortable pour l’esprit de se sentir bien quand nous nous retrouvons dans un lieu où nous apprécions être.
Silence.
« Décidément… »
— Désolée, je suis peut-être allée un peu loin, bredouilla Elma, gênée. Je… je n’ai pas beaucoup de tact. J’essaierai d’améliorer ça dans le futur, donnez-moi juste du temps, s’il vous plaît…
Il se redressa. Elma se tut et regarda le sol. Elle avait certes commencé à le cerner, mais elle était loin encore de tout savoir.
Elle frissonna lorsqu’elle sentit sa présence juste en face d’elle. Des doigts relevèrent doucement son visage par le menton, juste avant de la relâcher. Elle croisa son regard.
— Assume tes paroles, Elma. Ces mots ne me dérangent guère. J’ai bien plus d’intérêt pour les personnes qui disent clairement ce qu’elles pensent, même si cela peut engendrer des maladresses. Il est épuisant, à la longue, de traduire les mots des autres, percevoir leurs véritables intentions cachées derrière des paroles bien prononcées. Tu n’as pas été offensante. T’interdire d’exprimer ton avis serait me mettre au même niveau que toutes ces personnes qui t’ont malmenée. Je connais ce style de vie et ne m’en suis pas élevé dans le but de la reproduire.
Elma soupira de soulagement et se détendit quand Serymar la dépassa. Il posa une main sur l’un des fauteuils qu’elle venait de réparer, analysant son travail.
— Ce concept m’est encore étranger, admit-il après un silence. La personne qui était ici auparavant n’a pas vécu assez longtemps pour me le faire découvrir sous cet angle que tu viens de me présenter.
Ce fut à peine perceptible, mais Elma crut déceler une brève lueur mélancolique traverser les yeux de son interlocuteur. Celle-ci disparut aussi vite qu’elle était apparue.
— C’est… plutôt surprenant. Mais pas désagréable, comme idée.
Elma ne répondit pas mais ne put empêcher un sourire illuminer son visage. Une vague de fierté la submergea à cette validation. Serymar effectua un ample geste de la main, et toute la masse de poussière disparut comme si elle n’avait jamais existé. La jeune fille poussa une exclamation de surprise en découvrant enfin cette pièce telle qu’elle était réellement.
— Si seulement j’avais ce genre de pouvoir, aussi… soupira-t-elle d’admiration.
Serymar la fixa.
— La magie ne peut pas faire de miracles, Elma, corrigea-t-il. Je n’ai rien fait disparaître. J’ai simplement déplacé cette poussière dehors.
— Quand bien même…
Serymar laissa un autre silence planer et l’analysa. Elma encaissa. C’étaient un des inconvénients qu’elle avait décidé d’assumer en s’engageant à ses côtés. Enfin, Serymar effectua un rapide geste de la main et tint entre ses doigts une toute petite bourse en tissu.
— As-tu eu l’occasion de connaître ceci ? la questionna-t-il.
— Oui. Il s’agit d’un sort jetable. Je n’ai jamais eu l’occasion d’en utiliser, mais j’en ai entendu parler.
— Bien. Tu ne dois donc pas être sans savoir que ces petites choses contiennent un peu de magie. Tu as beau être une Sans-Pouvoir, tu serais capable de les utiliser. Si j’admets qu’il ne s’agit pas d’une chose grandiose qui permette d’aller bien loin, j’ose penser que ça doit déjà aider les Sans-Pouvoir sur Weylor. Et ce même si les personnes nées avec une aura magique les utilisent aussi.
Le sort disparut.
— La magie est omniprésente sur ces terres, reprit-il. Le principe est le même. Tout le monde peut l’utiliser, même des Sans-Pouvoirs. Il suffit de savoir comment s’y prendre. Même si tu ne pourras jamais aller loin en magie, ça sera toujours quelque chose. Parfois, certaines compétences nous sont inaccessibles malgré tous les efforts que nous pourrions fournir pour les obtenir. Simplement parce que dans certains cas, il faut disposer de capacités de base, que la vie choisit de nous donner ou non. Personne n’est égal dans ce domaine. Dans ce cas, la seule chose à faire, c’est d’en tirer le meilleur parti.
— Quelle capacité n’avez-vous pas, à titre d’exemple ? interrogea Elma, curieuse.
Serymar observa un court silence.
— Je suis incapable de courir. J’ai accepté ce fait depuis longtemps et fait en sorte de compenser en ajustant ma manière de me battre et de me déplacer. Tous les efforts que j’ai déployés pour guérir n’ont certes pas donné le résultat que je souhaitais, mais ils n’ont pas été vains : grâce à eux, si je ne peux atteindre cette guérison complète, je peux me déplacer avec beaucoup plus d’aisance qu’autrefois. Alors ne néglige pas tes connaissances en matière de magie, même si tu ne pourras jamais la pratiquer.
— Je vois.
Elle se garda bien de poser plus de questions sur son histoire. Elle se souvenait de son expression lorsqu’il lui avait affirmé qu’il connaissait ce qu’elle avait enduré.
— Y a-t-il encore de la magie, dans cet endroit ? demanda-t-elle pour changer de sujet.
Elle eut droit à un léger signe affirmatif de la part de son interlocuteur en guise de réponse.
— Mais… tout est mort, ici, s’étonna-t-elle. On dirait que nous sommes hors du temps. Auriez-vous connu une autre version de cette région dans le passé ?
— Pas vraiment.
— Seriez-vous disposé à m’en dire plus ?
Serymar s’appuya contre un ancien meuble délabré. Il croisa les bras, jeta un regard vague vers l’unique fenêtre de la pièce par lequel l’air s’engouffrait.
— Je suis comme toi à ce niveau. Je n’ai jamais eu la chance de connaître cette région pendant ses siècles de prospérité. Tout ce que je sais, je le tiens de rumeurs, de légendes locales et de quelques descriptions que mon Maître m’a partagées autrefois. Il était originaire d’ici.
Elma ne cacha pas sa surprise.
— Votre Maître était un Apokeraos ? Je croyais qu’ils avaient tous disparu !
Serymar confirma d’un léger signe de tête, une petite lueur de nostalgie dans les yeux comme en proie à de vieux souvenirs.
— C’est ce que l’on dit, oui, confirma-t-il. J’ignore si d’autres ont survécu le jour de la malédiction des Dragons. C’est le seul que j’ai eu la chance de côtoyer. Ton ancien village devait vraiment être isolé pour ne pas être au courant qu’il en restait encore un. Surtout au vu de sa notoriété dans le pays.
— Nous l’étions, en effet, confirma Elma. En tout cas, je l’étais, peut-être que d’autres personnes étaient au courant. Personne n’a jamais pris la peine de m’éduquer, vous savez. Tout le monde disait que c’était une perte de temps. Apparemment, j’étais plus utile pour travailler et négocier des arrangements familiaux.
— J’espère qu’il est désormais clair pour toi qu’il s’agissait d’absurdités honteuses. Autrement, c’est moi qui perds mon temps en t’apprenant à t’élever et je ne suis pas certain d’apprécier.
— Rassurez-vous, j’en ai conscience, maintenant.
Elma marqua une pause et lui sourit avec reconnaissance.
— Merci d’avoir bien voulu m’éclairer. Je… j’ai besoin de m’occuper. Je vais essayer de me faire plus discrète.
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