part.2
À regret pour ces nouvelles envies qui me redonnent tant de baume au cœur, les heures défilent les unes après les autres, sans que celui que j’entrevoie comme étant mon conquérant ne dépose son regard lubrique sur moi. Comme si je n’existais plus. Au bout d’un moment pourtant, l’heure sur l’écran bien avancée, je lance un furtif regard aux autres pupitres autour de moi. Tout le monde s’en est déjà allé. J’attrape de ce fait mon sac à main et prends moi aussi la direction de la sortie dans une démarche tanguante. Et au moment de franchir le pas de porte, j’entends :
— Attendez s’il vous plait, Mademoiselle Chase !
— Monsieur le Directeur ? réponds-je on me mordant la lèvre inferieur et me tournant en sa direction avec volupté.
— Pourriez-vous venir dans mon bureau un instant ? me réplique celui-ci sans détacher ses yeux de ma poitrine.
— Bien entendu, Monsieur le Directeur.
Arrivée dans le bureau, pour ainsi dire public, je m’assoie sur la chaise face à lui et papillonne de temps à autre des yeux pour le charmer. Mais lui préfère critiquer l’un des travaux que je lui ai remis il y a des mois de cela. Je ne cède pas à son démarchage. J’étais nouvelle à l’époque et personne n’était disposé à me concéder les marches à suivre. Et sous un dernier élan où je lui affiche un regard doucereux uni à une mine déconfite, il tombe dans mon filet d’où s’ensuit un discret jeu de séduction qui ne trouve toutefois pas de finalité immédiate.
Une bonne heure plus tard, il propose de me ramener chez moi sous ses faux airs de gentleman, prétextant la noirceur du soir déjà bien installée et mal éclairée à la seule lueur des réverbères. Ce que je ne refuse absolument pas.
Arrivés devant chez moi, les rôles s’inversent et c’est lui qui accepte bien volontiers l’invitation que je lui soumets. Il gare ainsi son véhicule sur la dernière place restée libre juste devant l’entrée, m’emboite le pas jusqu’à l’ascenseur et prend ses aises là où je lui propose de s’asseoir dans l’attente de lui servir un grand vin blanc. Un premier suivit de quatre autre à mesure que nos discussions divergent du professionnel au privé.
Je sens que l’instant tant attendu est arrivé. De ce fait, à l’instant même où il dépose son verre, je le l’affaire et retourne en cuisine pour le resservir. J’attrape au passage la petite babiole qui, je le sais déjà, accentuera le plaisir à venir et reviens lui offrir la coupelle d’alcool qu’il porte aussitôt à sa bouche. Instant de prédilection où s’étire la gorge que je perce violemment de mon couteau de boucher, pour le trouer de part en part à l’horizontal. Une giclé de sang éclabousse mon visage puis coule sur mes lèvres entrouvertes de béatitude. Le reste de son fluide s’étale par saccade sur son ventre replet, ainsi que sur le canapé lit de couleur noir et le tapis blanc de mon salon, sur lequel fini par chuter ce gros tas de viande plus à l’écoute de l’esprit de son caleçon qu’à celui de son personnel.
Je sens que le ménage ne sera pas une mince affaire mais qu’importe ! L’impression d’avoir soudain pris vie m’envahit d’une euphorie telle, que j’ai l’impression de planer sur un menu nuage immaculé. Nul doute possible ! J’ai, à cet instant, gouté au bonheur pour la toute première fois de mon existence.
Mon réveil quotidien me ramène à l’ordre du jour, le lendemain matin, allongée à terre côte à la plus belle de mes œuvres. Sans même savoir si j’ai fermé l’œil de la nuit, je me lève et parts prendre une douche, avant de me vêtir et parti au boulot et retrouver ma chaise du condamné.
La journée défile, plus mouvementée que d’ordinaire, alors que tous semblent s’inquiéter pour cette charogne de directeur qui prenait plaisir à les rabaisser à la moindre occasion. Et lorsqu’on me pose enfin la question, je réponds par le négatif sous un air naturel et mime même cette fausse inquiétude que ces faux-culs de collègues placardent sur leur face. J’attends sereinement que n’arrive la fin de soirée où, rentrée chez moi, j’enroule le corps rigidifié dans le tapis, avant de le traîner jusqu’à l’ascenseur pour le charger dans sa propre voiture restée garée devant mon immeuble. Je démarre, suis la route qui me permet de quitter la ville et m’en vais jeter mon porc de dirlo à ces congénères qui se chargeront d’effacer son corps de la surface de la terre, dans une porcherie à quelques kilomètres en dehors de la ville. Le seul trophée que je garde de lui, c’est sa bague de mariage en or blanc, que je range dans une boîte en fer une fois de retour à la maison. Une boîte aussitôt glissée dans mon armoire aux portes coulissante, cachée sous un vieux tas d’habits que je n’utiliserai sans doute plus jamais. Ma boîte de Pandore. Celle qui promet de s’enrichir très vite.
Annotations
Versions