Depuis, je compte les jours
Enfermé dans le noir le plus complet, je compte les jours.
*
Un matin, ils débarquèrent chez moi sans préavis, défonçant la porte de la maison. Six heures sonnaient tout juste à mon réveil.
Ils virèrent ma femme en nuisette et la bloquèrent dans la cuisine.
Ils enfermèrent nos gosses dans un placard de penderie, sans doute pour qu'ils n'assistent pas à mon arrestation.
En contraste évident avec les tenues d'intervention noires, les cagoules et les casques, une dame très élégante de l'aide sociale assistait interdite et médusée à l'arrestation. Une autre, tout autant apprêtée, semblait tenir lieu de représentant du procureur, mais plus stricte et distante, le regard fixé vers un horizon lointain, comme pour ne pas voir ce qui se déroulait sous ses yeux.
*
C'était du moins, ce que j'eus le temps de lire entre les lignes avant qu'ils ne me mettent plusieurs sacs sur la tête.
Jeté dans un fourgon, je perdis assez vite le sens de l'orientation. Sous la toile en jute, je transpirais à grosses gouttes et la poussière me fit éternuer. Je baignais dans mon jus. J'urinai dans mon caleçon et cela m'apporta un semblant de fraîcheur.
j'avais les mains attachées dans le dos et reliées à des chaînes qui entravaient mes chevilles. L'image de prisonniers dans l'enfer carcéral de Guantanamo vint alors percuter mon esprit embrumé.
*
Dans ma tête, je vis défiler des dossiers avec des étiquettes comptables, des déclarations fiscales, des mallettes remplies d'espèces qui passaient par d'obscurs intermédiaires.
Au bout d'un temps que je ne pus déterminer, je montais à bord d'un hélico. Le voyage dura sembla-t-il une bonne heure. Je sentis le soleil me brûler à travers les vitres du cockpit. Un dialogue s'établit entre le pilote et un service d'aiguilleurs.
Une fois l'aéronef posé, je perçus de fortes odeurs d'iode. Des cris de mouettes vinrent déchirer l'espace ambiant procurant des échos dans un espace qui me semblait une zone portuaire.
On me jeta sans ménagement dans le fond d'une vedette qui sans délais poussa ses quatre moteurs de cent chevaux vers le large. Je connaissais ce type d'embarcation puissante. Les go-fast en utilisaient souvent en Méditerranée. La coque lisse et fuselée tapait fort sur la houle et mon tronc s'affaissait d'un coup à chaque rebond entrainant de vives tensions sur mes poignets menottés.
Après un temps inestimable, fixé à un harnais, on me treuilla telle une marchandise à bord d'un navire. Je sentis un sol froid et glissant sous mes pieds nus. Pas de roulis, pas de tangage. Le bâtiment devait être immense. Des cris, des échos de manutention et d'engins de levage heurtaient mes oreilles. J'entendis qu'on ouvrait une trappe. Des échanges entre divers intervenants me permirent de comprendre que l'on allait m'enfermer dans une cellule.
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Je viens de tracer un trait supplémentaire sur le mur en acier de ma geôle, à l'aide d'un anneau de mes chaînes.
Je porte une combinaison de couleur mais dans le clair-obscur, produit par une simple veilleuse étanche au plafond, je peux à peine distinguer la teinte. Parfois on remplit presque en entier mon univers d'eau en guise de bain. Puis une fois vidangée, ma prison se ventile d'un air chaud chargé d'embruns.
Un espace me permet de m'asseoir dans une sorte de vasque à mi-hauteur où je peux assurer mes besoins. La longueur de mes entraves semble calculée en conséquence.
On me nourrit à heures régulières ce qui me permet d'établir un cycle journalier.
*
Mais qu'en est-il vraiment ?
Mon métier, expert-comptable. Alors je manipule des chiffres.
Et ici dans cet espace clos, j'occupe mon cerveau à des calculs sans fin pour ne pas devenir fou. Je survis dans une sorte de cube lisse et métallique, de trois mètres d'arête, selon mes estimations.
Cinquante-sept barres inscrites sur l'une des parois, regroupées en semaine, représentent les hiéroglyphes de mon séjour. Mon histoire semble se dérouler entre ces murs.
Ma présence n'est justifiée d'aucune explication. Bien que j'aie quelques soupçons.
Personne ne s'adresse jamais à moi.
Et encore moins, lors de mon arrestation, si toutefois cela en était bien une.
Pas de chefs d'inculpations.
*
Alors depuis je compte les jours !
Je ne veux pas mourir ici !
À la moindre occasion...
=O=
Quelques dédicaces pour vous égarer en musique
- " Je compte les jours " - Marc Lavoine
youtu.be/xB6yFmcApmg?si=-JNqXx3k4yq2q9DU
- Francis Cabrel - " C'est écrit " (1989)
youtu.be/8upQ2olw8WQ?si=NBXV6aixVra14gee
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