Chapitre VIII (1/2)
Les jours suivants, je me transformai en une sorte d’automate.
La nuit, Rotu venait dans le noir et faisait de moi tout ce qu’il voulait. Mon esprit vagabondait quelque part, loin de mon corps, pour ne rien ressentir. Ne surtout pas bouger, pour qu’on en finisse aussi vite que possible. Puis mon époux repartait, je me lavais le corps autant que je le pouvais et je me rendormais. Et le matin, je m’armais de mon plus beau sourire et de tout mon courage pour jouer mon rôle de princesse.
Car je n’avais plus une minute à moi ! Je devais recevoir des dames et des gentilshommes qui avaient demandé audience, donner des directives aux serviteurs ou à la gouvernante, superviser l’organisation de ventes de charité, prévoir mes tenues des jours à venir… C’était un festival d’obligations plus insipides les unes que les autres ! Moi qui avais été éduquée aux lumières de la culture, à la grandeur des idées et aux merveilles de la littérature, je ne devais plus parler que de la mode féminine, des coiffures en vogue ou de la couleur du ciel. C’était d’un ennui…
J’avais rêvé d’être une princesse pendant des années. Il ne me fallut pas plus de deux jours pour savoir qu’en réalité, ce rôle ne me conviendrait pas. D’autant plus que le prince, à l’usage, n’avait vraiment plus grand-chose de charmant.
J’étais complètement prisonnière. De mon mariage. De mon château, puisque nul ne laisserait la femme du futur roi quitter l'enceinte sans une escorte d’au moins dix personnes. De mon pays, puisque je n’en étais jamais sortie. Et même de mon père, ou plutôt de sa condition sociale ! Car il semblait de plus en plus complice avec la reine, qui l’avait nommé membre de son conseil de régence. Si je me comportais mal, il en ferait les frais. Et il ne pourrait pas m’aider à m’échapper, sous peine d’y laisser sa tête.
Mais il me fallait prendre ce risque. J’étais enfermée dans une schizophrénie d’apparences et de violences, dans une dualité entre le jour et la nuit qui me vidait de toutes mes forces. Au début, j’avais cru que j’y arriverais. Que les gentillesses de Rotu, quand il m’offrait des fleurs, quand il posait ma main sur son bras pour me conduire, quand il me souriait parmi la foule des courtisans, effaceraient le reste. Le moche, le dur, le sale. Mais en fait, non.
Un soir où il se montra plus brutal que d’habitude, martelant ma poitrine de coups durs et secs, je me mis à pleurer dès qu’il eut refermé la porte derrière lui. Il faisait noir et froid, je tremblais de peur et de désespoir, recroquevillée au pied du lit comme une pauvre petite chose. J’avais mal partout, je sentais le sperme et la sueur, je me dégoûtais. Je sentis monter un sentiment de colère, quelque chose de fort, de solide, de moteur. Alors je me relevai, je bandai mes seins meurtris avec une étoffe très douce qui se trouvait là, et je partis, rasant les murs, jusqu’à l’arrière-cuisine.
Là, je trouvai une tenue de marmiton qui, moyennant de resserrer le bandage de ma poitrine pour camoufler mes formes, m’alla comme un gant. Je pris un couteau immense, à l’aide duquel je coupai mes cheveux aussi courts que possible, avant de les jeter au feu. Je chapardai un pain tout frais dans la huche, une pomme sur une table, et je me dirigeai vers la porte Sud. C’était par là qu’arrivaient et que repartaient les multiples convois et charrettes qui approvisionnaient le palais pour que nous ne manquions jamais de rien. L’activité y battait son plein de jour comme de nuit, et grâce à ma tenue de commis, je pus me faufiler sans que personne ne me reconnaisse.
Je descendis l’interminable chemin pavé en colimaçon qui rejoignait la ville basse, ouvrant de grands yeux sur cet univers où je n’étais encore jamais allée. Au fur et à mesure que je m’éloignais du palais, les lumières se faisaient plus rares, ce qui me laissait croire que peut-être, j’allais réussir ma fuite.
Même si je n’avais vraiment aucune idée de la direction que j’allais prendre !
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