L’ombre fit un pas en avant, et c’est là que je le reconnus, sanglé dans un harnais de corde, dans l’éclat blafard de la lune. Je murmurai bêtement « Oh ! Orcinus… » Il me regarda alors plus intensément, puis me dit quelque chose que je ne compris pas, avant de réessayer, cette fois-ci en champarfaitois.

« - Tu viens de Champarfait, n’est-ce-pas ?

- Oui.

- Comment connais-tu mon nom ?

- Je… J’ai entendu quelqu’un t’appeler, quand vous êtes venus jouer au palais.

- Mais oui, je te reconnais ! Tu es la fille qui est partie en courant et en renversant quelque chose !

- …

- Que fais-tu ici ? Qu’as-tu fait à tes cheveux ? Et pourquoi es-tu habillée comme un commis de cuisine et non comme une demoiselle de la noblesse ? Car je suis sûr que tu appartiens à une grande famille de Champarfait, non ?

- Euh, non… Pas vraiment. Enfin, maintenant si. Peu importe.

- Comment es-tu arrivée sur ce bateau ?

- Je… J’étais cachée dans une caisse, parce qu’il y avait des soldats. Je me suis endormie. Et à mon réveil, j’étais ici.

- Ah ! Je vois.

- Où allons-nous ?

- Tu verras bien… En tout cas, te voilà embarquée avec nous, que tu le veuilles ou non.

- S’il te plaît, Orcinus, ne dis à personne que je suis là.

- Tu ne pourras pas te cacher bien longtemps sur un bateau ! Et puis il va falloir te nourrir, te laver… Quelqu’un te verra forcément.

- Alors faisons comme si j’étais un garçon. Comme si j’avais voulu découvrir le monde, fuir ma condition, quelque chose comme ça.

- Bon… Comment t’appelles-tu ?

- Lumi.

- Alors nous dirons que tu t’appelles Lomu.

- Tu ne me trahiras pas ?

- Je ne te trahirai pas.

- Merci.

- Maintenant, il est tard. Je vais te donner à manger, à boire, et te prêter des vêtements pour te changer. Et puis tu vas dormir. Au matin, ton mal de mer ne sera plus qu’un mauvais souvenir.

- Je dois retourner m’allonger dans la caisse ?

- Non. Il y a de la place sur la paillasse. Demain, nous irons voir notre capitaine. Et nous verrons bien ce qu’elle dira de tout cela. En attendant, ne t’inquiète pas : tu es en sécurité ici. »

Il me sourit dans l’ombre, ôta son harnais qu’il garda à la main, et me guida dans les méandres du bateau. Nous rejoignîmes une grande pièce sombre qui ressemblait à un vestiaire, où il attrapa un pantalon noir et une chemise d’un magnifique rouge vif (« A moins que tu préfères du vert ou du bleu, pour te sentir comme à la maison ? » me dit-il en souriant). Il me donna une écuelle d’eau de mer et une grande étole bleue pour me sécher. Puis il sortit de la pièce en me disant de me laver et de me changer.

Je le rejoignis dix minutes plus tard, serrant contre moi mes hardes sales. Il me les attrapa des mains, remonta en courant jusqu’au pont et les jeta à l’eau. Puis il me mena aux cuisines où il me servit en silence un ragoût de poisson et de pommes de terre. Enfin, je le suivis tout en bas de la cale, dans une grande pièce où pas un rayon de lumière ne filtrait. Orcinus connaissait les lieux par coeur et me guida de la main, dans le noir, jusqu’à une paillasse propre, isolée dans un recoin de la pièce.

Il murmura très doucement, me disant de m’installer au mieux mais que nous serions un peu serrés. Je n’eus même pas le temps de réaliser que j’allais dormir collée à un garçon que je ne connaissais pas du tout ! J’entendis quelques mouvements dans le noir, le frottement d’un tissu que l’on ôte, la sensation d’un corps qui s’étire, puis il s’allongea près de moi et s’endormit instantanément. Mal de mer à l’appui, je ne tardai pas à l’imiter, tentant autant que possible de rester de mon côté de la paillasse et de ne pas le déranger.