Chapitre XIII (2/2)

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- Eh bien, Sanaâ n’est pas l’aînée, mais la seconde fille de Canaâ, notre ancienne reine. Quand elle est morte sur le champ de bataille, en remportant une grande victoire contre les barbares de l’Est, ce n’est pas Sanaâ mais sa sœur aînée, Hanaâ, qui a hérité du trône. Sa tante Calaâ devait assurer la régence jusqu’à sa majorité. Mais elle est morte avant même d’atteindre l’âge de régner… Et la couronne est passée à Sanaâ, toujours sous la régence de sa tante.

- Comment Hanaâ est-elle morte ?

- C’est un mystère… La glorieuse reine Canaâ avait capturé l’héritier d’un royaume voisin avec lequel nous étions en guerre depuis des siècles. Un joli prince, plus roux que blond, avec la peau claire comme le soleil. Quand la reine est morte, nous avons gardé ce prince prisonnier derrière les murs de notre palais royal, comme un gage de paix éternelle que Canaâ nous avait laissé. Mais il est tombé amoureux de Hanaâ… Ils se sont aimés, ils se sont mariés, ils ont eu deux enfants. Et ils furent maudits de tous les côtés !

- Que voulez-vous dire ?

- Tu le sais mieux que moi : à Champarfait, épouser une étrangère est interdit. Surtout quand on est l’héritier du trône ! Et surtout quand cette étrangère a la peau noire.

- Je le sais… Mais ici, je croyais que les femmes étaient libres ? Que l’on pouvait épouser qui l’on veut ?

- Les femmes sont libres, oui. Mais pour qu’elles le restent, justement, les anciens ont supprimé le mariage. Et voilà que notre jeune reine signait un papier autorisant ses enfants à hériter du nom d’un homme ! C’était impensable… Cela étant, ils ont quand même vécu à Héliopolis sans que personne ne s’y oppose. Le vrai problème viendrait plus tard, au moment de la succession. Leurs enfants ne pourraient hériter du trône de leur père, ni de celui de leur mère. Alors que par le sang, ils pouvaient prétendre aux deux ! C’était insoluble, d’autant qu’Héliopolis et Champarfait se font la guerre depuis des siècles.

- Oh… Mais alors, c’est comme dans la légende que me racontait ma mère !

- Et que disait cette légende ?

- Qu’un jour, quelques années après ce mariage, le roi du pays des vergers mourut et que son second fils, âgé de trois ans à peine, fut couronné roi. Mais le peuple se souleva, réclamant le retour de son premier prince si valeureux. Alors, la reine régente réprima la rébellion dans le sang, et convia son fils aîné, sa belle-fille héliopola et leurs enfants à venir lui rendre visite. Ils embarquèrent sur un grand navire qui traversa les mers, puis remonta l’embouchure d’un immense delta pour entrer dans les terres fertiles et verdoyantes du royaume du prince. Et alors qu’ils ne leur restait que quelques milles pour atteindre la capitale, leur bateau sombra dans les flots agités, et ils disparurent à jamais. Héliopolis accusa la régente de Champarfait d’avoir fomenter leur assassinat, et réciproquement.

- Exactement. On retrouva près de l’épave les corps du prince Lomu et de la princesse Hanaâ qui tenait sa fille de deux ans dans ses bras… Seuls manquaient à l’appel leur fils de cinq ans, et une suivante qui accompagnait notre princesse depuis toujours. Une guérisseuse, issue des peuples nomades du Sud. Une fille du désert, qui se disait née de la lune et de l’inconnu, et qui ignorait les dangers des eaux. Peut-être a-t-elle voulu fuir en sautant par-dessus bord !

- Et ce fut de nouveau la guerre.

- Oui. Et c’est ainsi que notre princesse actuelle, Sanaâ, succéda à sa sœur sur le trône de sa mère, avec un conseil de régence présidé par sa tante.

- Mais alors, toute la légende était vraie ?

- Bien sûr ! Tout le monde le sait, ici.

- Mais pourquoi ce mensonge, alors ?

- Peut-être que Champarfait ne veut pas que son peuple sache que son prince héritier avait épousé une étrangère au mépris de toutes les lois de son pays ? En même temps, les rumeurs galopent sans que l’on puisse jamais vraiment les éteindre. Alors déguiser tout cela en conte pour enfants, ça peut être un bon calcul. Rien n’est plus important que la pureté de la lignée royale, chez toi ! »

Je souris en silence, sachant très bien que je ne pouvais rien lui dire, mais pensant en moi-même que le sang si pur des héritiers de Champarfait était décidément tissé de mensonges et de non-dits.

« - D’ailleurs, il y a aussi des rumeurs sur votre prince actuel. On dit que sa femme se serait enfuie, juste après son mariage, pour rejoindre les Lointains… La régente, malgré ses grands airs et son pouvoir, n’a pas de chance avec ses brus ! Tu as entendu parler de cela ?

- Ah ? Euh, non. Des racontars, sans doute ! »

Heureusement, la chaleur ambiante avait déjà rosi mes joues pâles de Champarfaitoise et sa remarque n’aggrava pas (trop) mon cas… Mais à peine avais-je fini mon chocolat froid et mon verre d’eau parfumée à la rose que je partis sans demander mon reste.

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