Chapitre XVI (2/2)
Soudain, je me sentis à l’étroit dans cet immense palais. J’eus l’impression de manquer d’air malgré la fraîcheur du matin qui me tendait les bras partout autour de moi. Et je réalisai que j’étais en train de faire une erreur. Que ce voilier ne pouvait pas partir sans moi. Que je ne pouvais pas accepter l’asile d’Héliopolis si le prix à payer était le retour de la guerre entre deux peuples qui n’étaient pas responsables de ma fuite.
Alors je sautai dans ma toge immaculée tissée par les modistes de ce pays de soleil, je saisis mes quelques affaires (sans oublier ma nouvelle robe), et je m’aventurai dans le couloir à la recherche de la sortie. Cette cité merveilleuse ne pouvait pas risquer de perdre sa douceur de vivre, sa fierté naturelle, son peuple digne et droit, à cause des caprices de Rotu ! Je laissai un message à la princesse Sanaâ, implorant son pardon et la remerciant de son hospitalité et des sacrifices qu’elle était prête à faire pour moi.
Et je partis en courant, pieds nus, tunique relevée jusqu’à mi-cuisse, pour essayer d’atteindre le port avant qu’il ne soit trop tard. Mon cœur battait à un rythme effréné, insensible à la vie de la cité qui s’éveillait dans les rues que je traversais.
Quand j’arrivai à portée de voix du bateau, la coupée était déjà relevée. La capitaine lançait des ordres précis, nets, affirmatifs, et les amarres regagnaient le bord, les unes après les autres. J’appelai Rutila de toutes mes forces, courant vers le quai comme s’il n’était pas déjà trop tard. Les membres d’équipage me regardaient étrangement, reconnaissant peut-être, dans cette drôle de Champarfaitoise aux cheveux courts et à la tenue très héliopola, le petit mousse aux yeux gris-vert à qui ils avaient enseigné tant de choses ces dernières semaines.
Ils suspendirent la manœuvre, mais l’échelle demeurait relevée et je me sentais impuissante, irrésolue, ne sachant que faire… Alors je m’écriai, dans leur langue, avec un accent épouvantable et au moins une faute à chaque mot : « Lointains, je vous demande asile ! »
Rutila me regarda depuis son poste de commandement, puis un sourire se dessina sur ses traits fins et elle ordonna quelque chose à Tempetus, son lieutenant.
Deux minutes plus tard, je posai le pied sur le pont… J’étais épuisée, écarlate, échevelée, ridicule. Mais j’étais arrivée à temps.
Lorsque je rejoignis la capitaine sur le gaillard d’arrière, elle énonça sur un ton solennel : « Lumi, tu nous as demandé asile. Cette décision n’incombe pas aux capitaines du navire, mais à notre Conseil des Cinq. Celui-ci se réunira demain. Il rassemble quatre membres élus, qui sont Salmus, Alexandrius, Muraena et moi, et le doyen de notre tribu, qui chez nous est une doyenne, Aurata. Cette nuit, tu dormiras sur le pont et tu rassembleras tes esprits pour préparer ton récit. Demain, à 9h, nous déciderons de ton sort. En attendant, tu es libre. Mais ne viens pas gêner les manœuvres et ne parle à personne ! Sinon, ta demande sera considérée comme irrégulière. A demain. »
Mon sort serait donc décidé le lendemain… Qu’étais-je censée dire à ce Conseil ? Je l’ignorais, et je ne pouvais solliciter l’aide de personne !
Alors je m’assis dans un coin, me faisant toute petite pour ne gêner personne. Orcinus apparut devant moi comme par enchantement, il s’empara sans un mot de mes quelques affaires en me faisant comprendre qu’il les portait dans la voilerie. Ses lèvres étaient silencieuses mais son regard souriait comme un lac en été. Quel que soit l’avenir que l’on me réservait, j’avais la sensation très nette d’avoir pris la bonne décision.
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