Chapitre XXI (2/2)
(Lumi) - Pourtant, vous ne dormez pas ensemble.
(Muraena) - Parfois si, petite curieuse ! Dormais-tu toujours avec ton mari ?
- Non ! Surtout pas. Mais je ne l’aimais pas… C’est différent, j’imagine.
- Penses-tu vouloir dormir avec un autre homme, un jour ?
- Je ne sais pas.
- Il y a mille façons de s’aimer, Lumi. Milos et moi vivons ensemble, vibrons ensemble, tout le monde le sait ! Pourtant, j’ai régulièrement besoin de retrouver ma solitude. Et il l’accepte.
- …
- …
- J’aurais vraiment détesté que Rotu dorme avec moi.
- Dormir avec un homme n’est pas forcément détestable, ma fille. Je te souhaite de le découvrir un jour.
- …
- Penses-tu encore beaucoup à ton mari et à ce qu’il t’a fait ?
- Oui. J’aimerais l’oublier, mais il vient dans mes cauchemars. Toutes les nuits, ou presque. Souvent, je me réveille avec l’impression qu’il est encore là. J’ai peur qu’il me retrouve, un jour. Et qu’il s’en prenne à vous tous.
- Le Conseil des Cinq a accepté ce risque au nom de tout notre peuple, tu le sais. Et Rotu ne peut pas savoir sur quel bateau tu es. Sauf à attaquer tous les navires Lointains sur toutes les mers et tous les fleuves du monde, je ne vois pas comment il pourrait tomber sur toi. Nous sommes un peuple neutre, personne ne s’en prend jamais à nous. Tant que tu seras ici, il ne pourra pas t’atteindre.
- …
- Tu sais, ma fille, tu n’es malheureusement pas la première à devoir guérir des blessures invisibles. Ce sont les plus longues et les plus douloureuses, parce que c’est ton âme qui doit se remettre, se libérer de tout ce que l’on a planté à l’intérieur de toi. C'est comme un poison qui se diffuse au fil de tes veines, même des années après.
- …
- Un jour, tu pourras recoudre cette plaie. Mais il faut que tu acceptes que cela prendra du temps. Certains hommes sont comme des poignards : il suffit qu’ils aient un peu de pouvoir pour qu’ils en abusent… Et alors, c’est généralement le corps des femmes qui est en première ligne. Mais ailleurs, ma fille, il reste de la lumière.
- …
- Avec du temps et de la patience, tu retrouveras la confiance. En toi, en la vie. Tu reprendras possession de ce corps dont on t’a dépossédée.
- Mais comment ?
- En faisant de tout petits pas, jusqu’au jour où tu ne sentiras plus cette odeur, cette empreinte, qui te marque comme au fer rouge à tes propres yeux. Alors tu renaîtras à toi-même, et aussi, si tu le veux, à quelqu’un d’autre. »
J’avais les yeux pleins de larmes et le cœur essoré d’émotions. Chacun des mots de Muraena, prononcés avec autant de sagesse que de profondeur, venait se ficher directement dans ma moelle épinière ou dans mon âme. Elle semblait tout savoir de mes peurs, de mes frissons, de mes sursauts, comme s’ils n’étaient pas dus à mon caractère, à ma personnalité, mais à quelque chose d’étranger que l’on avait injecté en moi et dont je n’arrivais pas à me défaire.
A ce moment-là, Milos ouvrit la porte du cabinet médical et vint nous annoncer que ma petite élève n’avait rien de grave. Il lui avait posé joli un pansement rose sur la jambe, lui avait offert un bonbon aux algues et au maïs et s’apprêtait à la renvoyer à ses parents avec la consigne de repasser le voir le lendemain matin pour qu’il regarde l’évolution de cette égratignure.
Je le remerciai en quelques mots, puis je filai sans demander mon reste, impatiente de me dissimuler à leurs regards mais aussi consciente de la complicité palpable, profonde, qui émanait de Milos et de Muraena quand ils étaient en présence l’un de l’autre.
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