Chapitre XXIX (1/2)

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Je tins la parole que j’avais donnée à Milos et je revins à l’hôpital le soir même, munie d’un plateau sur lequel trônaient deux magnifiques brochettes de poisson et de patate douce marinées aux épices et aux algues rouges, un bol de soupe de lentilles corail au curry et une papaye mûre à point. J’avais une faim de loup après m’être baignée dans la mer une bonne partie de l’après-midi, et vu l’air réjoui d’Orcinus quand il me vit entrer, je n’étais pas la seule !

Je m’assis près de lui sur le lit, pris le plateau sur mes genoux et nous mangeâmes presque en silence, une cuillerée pour lui et une pour moi, nos yeux rivés sur les parois transparentes de cet aquarium si insolite, si protecteur et si vivant. Dehors, le jour avait commencé à baisser et les fonds marins prenaient leurs habits de nuit. La mer était très calme et le rythme de la vie semblait ralentir, même si quelques poissons pointaient le bout d’une nageoire d’un côté ou de l’autre, comme pour nous saluer à la fin d’un spectacle. C’était d’une poésie majestueuse et ni Orcinus ni moi n’éprouvions le besoin de parler.

Quand nous eûmes terminé notre festin, je respirai un grand coup avant de m’atteler au renouvellement de ses différents bandages. Il était confiant, moi beaucoup moins ! Je me concentrai au maximum pour faire les bons gestes et ne pas lui faire mal, et même si quelques gémissements, quelques tensions des muscles, trahirent que je n’avais pas été aussi délicate que je l’aurais voulu, il ne se plaignit pas et me laissa faire avec une docilité bien différente des sarcasmes qu’il aimait à échanger avec Milos. Il avait la peau chaude et moelleuse comme une pièce de velours un peu décousue. Moi qui m’en étais tellement voulu de son accident, j’étais contente d’avoir l’impression de pouvoir l’aider un peu.

Après le repas, je restai un long moment à regarder la vie sous-marine dans l’encre évanescente de la nuit. Je sentais la présence immobile, mais solide, d’Orcinus à mes côtés et la chaleur de son corps tout près du mien. Nous restâmes ainsi quelques minutes sans rien dire, puis je réalisai qu’il était tard et que peut-être, il avait besoin de se reposer.

« - Tu veux que je te laisse dormir, ou tu as pu faire une sieste cet après-midi ?

- Ni l’un ni l’autre, Lumi. Je n’ai pas réussi à dormir, les mouvements du bateau me manquent… Mais tu peux rester quand même.

- Moi aussi, la mer me manque ! Je rêvais d’une sieste sur la plage, mais impossible de trouver le sommeil ! Finalement, je me suis surtout baignée. C’est tellement beau, ici… Perkinsus m’a félicitée, il dit que je nage très bien, maintenant.

- Natation et mal de terre : tu deviens une vraie Lointaine.

- Je suis loin d’en avoir le physique, pourtant…

- J’aime bien que tu sois différente des autres.

- A Champarfait aussi, j’étais différente.

- Sauf qu’à Champarfait, la différence est une tare. Chez nous, non.

- …

- En tout cas, je sais maintenant pourquoi tes yeux ont ce vert si clair. Parce que tu es aussi une enfant d’Asclépios, où tout le monde s’use le regard dans l’obscurité des bibliothèques.

- Mon père était 100% champarfaitois, mais il passait aussi son temps dans les livres, tu sais.

- Quand même, il y a une chose que je ne comprends pas. Les lois de Champarfait interdisent de se marier avec un étranger. Mais le prince en personne épouse une fille de sang mêlé ?

- Oh, c’est une longue histoire… Disons que s’il m’a épousée, c’est parce que mon père est soudain devenu l’héritier d’une terre très riche qui intéresse la couronne.

- Comment cela ?

- Chez moi, les terres appartiennent aux grandes familles de la noblesse. Et c’est le premier fils qui en hérite, ou alors, quand un homme n’a pas de fils, la terre passe au mari de la fille aînée.

- Même si le fils aîné est un incapable ? Ou si le gendre est malveillant ?

- Oui.

- C’est absurde. Chez les Lointains, la propriété n’existe pas. Tout ce que nous avons appartient à la troupe dans son ensemble.

- C’est différent...

- Alors le mariage devient autorisé avec d’autres peuples, quand il y a une histoire de terre ?

- Non. Nous avons dû jurer de ne jamais dévoiler les origines de ma mère. Mes parents avaient déjà dû prêter le même serment pour pouvoir se marier.

- Ta mère a donc menti toute sa vie ?

- Depuis son mariage, oui. Moi-même, je n’aurais jamais su la vérité si je ne les avais pas entendus en discuter, un soir. Juste avant le décès de ma mère.

- …

- …

- Lumi, j’aimerais te poser une question. Mais si tu n’as pas envie de me répondre, je ne t’en voudrai pas.

- Ah ! Eh bien, je t’écoute.

- Est-ce que quelqu’un t’a fait du mal, à Champarfait ?

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