Chapitre XXXII (2/2)
(Milos) - Non. Pour remonter aux mâts, Orcinus devra attendre un peu… Je vais encore le garder au repos quelques semaines, mais il peut sortir de l’hôpital. Et donc, nous pouvons appareiller. Grâce à Lumi, qui a pris du temps tous les jours pour soigner Orcinus.
(Je devins rouge comme une écrevisse.)
(Lumi) - Euh, je suis contente d’avoir pu t’aider, Milos…
- Muraena, quelque chose à dire à Lumi, peut-être ?
(Muraena) - …Merci de l’avoir soigné. Et je t’assure, Lumi, que je n’ai rien contre toi. Je suis juste une grand-mère gaga de son petit-fils. »
Muraena avait, en disant cela, une énergie qui semblait à des années-lumière de l’idée que je me faisais d’une ancêtre gâteuse… Mais je ne répondis rien, et après les avoir salués, je quittai leur table pour les laisser à leur intimité.
Quelques minutes plus tard, Rutila annonçait à la cantonade que nous avions assez perdu de temps à terre et que nous allions reprendre la mer le soir même, direction Héliopolis. Cette fois-ci, nous remonterions les fleuves en direction de l’intérieur des terres, au pays des montagnes couleur safran et des champs d’épices à perte de vue. Un bien joli programme ! Qui nécessitait tout d’abord une agitation générale afin de tout préparer dans les temps. Avitaillement, formalités, démontage de l’école, retour des bateaux-lits dans le sillage du bateau-mère : il y avait beaucoup à faire et nous ne vîmes pas les heures passer.
Ce n’est qu’en fin d’après-midi, alors que tout était prêt ou presque, que Rutila réalisa que Muraena, qu’elle avait envoyée chercher Orcinus pour le ramener à bord, n’était pas rentrée. La capitaine fronça le sourcil, puis nous demanda, à Milos et à moi, de nous rendre à l’hôpital pour voir ce qui se passait. C’est ainsi que nous trouvâmes la chambre de notre patient déserte et froide, sans la moindre trace de nos deux compagnons de bord. Nous fîmes le tour des environs, mais sans succès. Ils avaient disparu.
Nous retournâmes au bateau, mais ils demeuraient introuvables. Milos commença alors à s’inquiéter sérieusement, car il constata qu’il manquait un sac et quelques vêtements à l’infirmerie. « Tu sais, Lumi, je n’y ai pas prêté attention sur le moment, car Muraena est parfois imprévisible… Mais il s’est passé quelque chose d’étrange, tout à l’heure, après notre discussion tous les trois. Elle ne disait rien, comme si elle pensait à autre chose. Et puis tout à coup, elle s’est mise à parler dans tous les sens, à me reprocher tout et n’importe quoi… Et crois-moi, depuis quinze ans que nous vivons ensemble, elle a de quoi faire ! Mais c’était comme si elle cherchait la dispute… Et à force, ça a marché. J’ai fini par lui répondre sur le même ton, nous nous sommes fâchés, et elle est partie. Quand je vois qu’elle est repassée ici prendre toutes ses affaires, j’en viens à me demander si elle n’a pas provoqué cette querelle, juste pour avoir une bonne excuse pour quitter le bord… »
Pendant une bonne heure, nous arpentâmes les environs en long, en large et en travers. Après tout, il n’y avait pas trente-six endroits où se cacher sur cette petite île où tout le monde connaissait tout le monde ! J’étais inquiète… Et surtout j’étais mal à l’aise. Orcinus avait-il profité de l’occasion pour nous fuir, mes atermoiements et moi ? N’avais-je pas tout fait pour refroidir ses ardeurs, à me sauver de cette façon ? Je m’en voulais énormément. Et je lui en voulais tout autant à lui, car quelles que soient ses raisons, il n’était guère élégant de disparaître comme ça après ce qui s’était passé entre nous la veille. Ou après ce qui avait failli se passer… Enfin, bref.
Nous étions tous assez désoeuvrés et un peu dépassés par les évènements, rassemblés sur le pont dans un silence déboussolé, lorsque Salmus aperçut une voile à l’horizon.
« - Quelqu’un sait où va ce bateau ?
- Oui, répondit Rutila. C’est la frégate de Squalus, qui part à Héliopolis.
- Héliopolis… Et si Muraena était montée à bord ?
- Quoi ? Mais pourquoi ?
- Parce que c’est chez elle, Héliopolis. Elle aura voulu protéger Orcinus à tout prix en l’éloignant de L… Euh, de ce bateau, disons. Tant qu’à faire, il est certainement plus facile pour elle de se cacher dans son pays natal plutôt que partout ailleurs.
- C’est absurde… Enfin non, pas tant que ça, en fait. Mais elle oublie qu’Orcinus est sous notre responsabilité. Et rien n’indique qu’il voulait partir, lui ! Au contraire, d’ailleurs, je crois qu’il a au moins une bonne raison de vouloir rester à notre bord. Après tout, même le petit-fils de notre entêtée Muraena peut tomber amoureux ! Quelque chose me dit qu’il va vouloir qu’on le retrouve.
- Capitaine ! interrompit soudain Perkinsus, le veilleur. Ventura a disparu aussi. Voilà deux heures qu’elle est partie se balader, et elle n’est pas rentrée. »
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