Chapitre XXXIII (2/2)

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(Lumi) - Je sais tout ce qu’on peut lire dans les livres… Les marchands du grand Sud sont des nomades qui se drapent d’ocre et de beige pour marcher sur la terre sans qu’on les voie. Ils passent de ville en ville depuis la nuit des temps, un peu comme vous ! Mais eux, ce qu’ils vendent, ce sont des bijoux, des chants spirituels, des chevaux, de la soie… Et ils ne quittent jamais le désert. Ils ressemblent à Muraena : peau sombre, yeux noirs ou chocolat. C’est un peuple fier, réputé pour sa beauté et ses traditions millénaires. Ils ont une langue mélodieuse, pleine de douceur, dont les linguistes ignorent l’origine. Ils ne se mêlent jamais aux autres peuples, même s’ils offrent toujours le pain aux égarés. Et ils tiennent à leur indépendance, bien qu'administrativement, ils soient rattachés à Héliopolis.

- Bon… soupira Salmus. Un peuple passionnant, en effet, mais nous, nous sommes des marins. Qu’irions-nous faire dans le désert ?

- Récupérer mon maître voilier, répondit Rutila.

- Retrouver la femme que j’aime, affirma Milos, ne serait-ce que pour lui tirer les oreilles !

- Comprendre pourquoi Orcinus est parti comme ça, murmurai-je. Sans prévenir.

- Mais, reprit Rutila, comment voulez-vous que nous allions dans le désert ? Je fais naviguer le bateau sur les dunes ?

- Il n’y a qu’une seule ville dans le grand Sud, répondis-je : Port-Eden. Comme son nom l’indique, elle est sur la côte. Je ne suis pas sûre que nous puissions accoster, car le port doit être tout petit, mais nous pourrions peut-être mouiller à côté ? En descendant à terre, peut-être que nous retrouverions la trace de Muraena. Et si contrairement à ce que je crois, nous pouvons nous amarrer à quai comme d’habitude, le théâtre pourra jouer ! Après tout, les gens du désert aiment sûrement qu’on leur raconte des histoires, eux aussi.

- Au fait, murmura Rutila, pourquoi pas ? C’est un pays où les Lointains ne sont jamais allés. Mais nous sommes un peuple d’explorateurs depuis la nuit des temps ! Salmus, qu’en dis-tu ?

- Je dis qu’il faut essayer.

- Milos ?

- Si Muraena trimballe ce pauvre Orcinus sur un dromadaire au milieu du grand désert de sable, sans voile ni embruns, elle va le tuer. Allons-y !

- Lumi ?

- Eh bien… J’imagine que Rotu ne pensera jamais à me chercher si loin, là-bas… Alors ce détour peut être une bonne stratégie pour nous tous.

- Bien, trancha Rutila. Puisque tout le monde est d’accord : cap au sud ! Et je serai une héroïne pour tous les enfants du bord, à parcourir des terres que les Lointains n’ont jamais cartographiées… En espérant que tes lectures ne nous aient pas trompés, Lumi, et qu’il n’y ait pas d’autre ville que Port-Eden ! Sinon nous ne les retrouverons jamais. Mais au moins, nous aurons essayé ! Et si, au bout de dix jours, nous ne les avons pas retrouvés, nous reprendrons le cours de notre navigation. Et nous devrons former un nouveau maître voilier... »

La décision était prise, et les préparatifs furent rapides. Nous partions vers l’inconnu ! Lorsque les voiles se déployèrent dans le vent et que le bateau mit le cap vers l’extrémité méridionale du continent, nos esprits tournaient à une vitesse folle et nos coeurs battaient toute une symphonie dépareillée. Mais nous avions une confiance aveugle en notre capitaine, et l’idée d’être des pionniers au milieu du désert donnait à cette expédition improvisée un petit goût de défi qui ne déplaisait pas à l’équipage.

Quant à moi, j’avais la sensation de ne plus être à ça près. J’avais fui mon pays, appris à vivre sur un bateau, découvert la navigation, intégré un nouveau peuple, appris deux nouveaux métiers, embrassé un garçon… Alors l’inconnu ne me faisait plus peur ! Enfin, il me faisait moins peur. Et j’avais appris à compter sur mes camarades, sur mon équipage, comme je ne l’avais jamais vraiment fait auparavant. Cela me réconfortait, me rassurait, et même si la vie à bord était encore un vrai défi, pour les manœuvres, pour la langue, pour l’alimentation, j’avais la sensation d’être enfin à ma place.

Y compris sans Orcinus ! Car son départ précipité n’augurait rien de bon. Je ne lui souhaitais aucun mal et je ne pouvais pas dissuader les membres de la troupe de mener à bien des recherches qui leur tenaient à cœur. Mais même si j’avais pu espérer, à un certain moment, qu’il s’intéressait vraiment à moi, je m’étais résignée à m’être complètement trompée.

Enfin, presque résignée…

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