Chapitre XXXVIII (2/2)
Quelque temps plus tard, un bruit de pas étouffé m’annonça l’arrivée de mon colocataire. Il portait une assiette et une cruche et il marchait sur la pointe des pieds… Puis il vit que je ne dormais pas et reprit sa démarche normale.
« Lumi, ça va ? Tu as dormi pendant des heures… J’ai failli appeler Milos.
- J’avais affreusement mal à la tête… Et aussi des suées, des points blancs devant les yeux, un étau autour du crâne… Maintenant ça va mieux.
- Tu es malade ? Ou bien tu regrettes tellement d’avoir fait l’amour avec moi que même ton corps réagit ?
- Mais non… Viens un peu là, au lieu de dire n’importe quoi. Tu m’as apporté à manger ?
- Oui, tiens.
(Il s’assit près de moi, gardant une sage distance de sécurité.)
- Merci ! Hum, ça sent bon. Maintenant, je t’écoute, Orci. Moi je mange, toi tu parles.
- Mais je n’ai rien à dire !
- Ce n’est pas possible. Il y a forcément un mystère là-dessous. Ou un mensonge…
- Mais non…
- Mais si.
- …
- Que sais-tu de tes parents ?
- Rien… A part ce que je t’ai déjà dit. Ils sont morts tous les deux quand j’étais petit, et depuis, Muraena s’est occupée de moi. Elle était la mère de ma mère.
- Quel était ton nom, avant ?
- Avant ?
- Avant de prendre un nom Lointain.
- Mais… Mon père était Lointain, ma mère l’était à moitié. Je n’ai pas été rebaptisé ! Muraena a changé de nom quand elle a reçu l’asile, mais pas moi. Enfin, je ne crois pas.
- Mais tu ne lui as jamais posé de questions ?
- Oh si ! Plein… Quand j’étais enfant. Mais elle ne répondait jamais… Alors j’ai arrêté. Après tout, je suis bien dans ma vie. Je suis libre, j’aime les mots autant que la mer, alors qu'importe le passé… Surtout si ça blesse ma grand-mère d’en parler. Elle m’a élevé, elle m’a nourri, elle m’a guidé. C’est tout ce que je veux savoir.
- Elle a un côté mystérieux, quand même…
- Peut-être, oui. Mais maintenant que je sais d’où elle vient, je comprends mieux pourquoi ! Les nomades du grand Sud ont une culture un peu mystique, comme si le sable communiquait avec des mondes auxquels nous n’avons pas accès, nous autres. Mais elle tient à moi au-delà de tout. Si elle ne veut pas parler de son passé, de son histoire, de notre famille, eh bien ! Libre à elle.
- Même s’il te manque des bouts de ta propre histoire ?
- Il ne me manque rien, Lumi. Je suis heureux sur ce bateau, à écrire des histoires et à recoudre des voiles au milieu de mon peuple. Surtout depuis que nous avons accueilli une très jolie réfugiée qui ne craint pas les prédateurs des mers ! »
Sa manœuvre pour changer de sujet était un peu grossière… mais aussi diablement tentante ! Et même si je ne pouvais plus me noyer dans ses yeux de la même façon qu’avant, ils gardaient leur lumière insolite comme leur franchise insolente. Et puisque j’avais fini de dîner et que la migraine qui avait joué du pic à glace dans mon crâne toute l’après-midi avait daigné aller jouer ailleurs, je pouvais bien m’offrir un dessert.
D’autant qu’Orcinus, craignant encore ma réaction quant à toute cette histoire, toute son histoire, voire son absence d’histoire ! Orcinus, disais-je, marchait un peu sur des œufs… Aussi me fit-il l’amour tout en douceur, comme si quelque chose entre nous risquait de se briser.
Quand nous fûmes rassasiés l’un de l’autre, il se leva un instant pour aller chercher quelques affaires dans la pièce voisine : un livre, le fameux flacon et son affreux bandeau noir, qu’il posa sur ses yeux dès que je soufflai la bougie. Un oubli, mais pas deux ! En attendant, j’allais devoir m’habituer à dormir avec cet accessoire autant qu’avec tout le reste de sa personne.
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