Chapitre XLIII (2/2)

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Je lui embrassai doucement la joue et m’éclipsai en silence pour rejoindre le pont où l’effervescence régnait. Certains partaient en courant vers le marché pour un avitaillement rapide, d’autres préparaient les voiles et le matériel. Salmus supervisait la fermeture temporaire du théâtre et Rutila organisait sa navigation avec Ventura et Tempetus. Milos était accoudé au bastingage, le visage tourné vers le large, mais je choisis de le laisser seul, lui aussi… Aussi entrepris-je de me rendre utile auprès des capitaines.

Comme toujours, grâce à l’organisation extrême qui régnait sur l’équipage et à ce sens aiguisé du collectif qui était la marque de fabrique de la civilisation Lointaine, les préparatifs s’effectuèrent dans un ordre parfait. Et moins de trois heures plus tard, le bateau doublait le quai couleur de sable de Port-Eden pour mettre le cap sur la haute mer.

Le soir-même eurent lieu les funérailles de Muraena. Je me fis toute petite dans un coin, n’ayant aucune idée de la façon dont cela allait se dérouler et n’ayant pas voulu déranger Orcinus avec mes questions. Il était juste là, près du corps enroulé dans une toile bleu marine, au centre d’un cercle que formaient tous les membres de la troupe. On n’entendait rien d’autre que le bruit des vagues et la voix d’Alexandrius qui lisait un texte que je ne compris pas complètement, mais qui parlait de retour à la mer, de l’Atlantide qui s’ouvrait enfin devant la défunte et de l’empreinte qu’elle laisserait sur ce navire où elle avait vécu pendant de nombreuses années.

Puis quelques femmes entonnèrent un chant, si fort et si triste à la fois que je sentis les larmes me monter aux yeux. Pendant ce temps, les hommes firent une sorte de chaîne, deux par deux, jusqu’à l’ouverture dans le bastingage qui accueillait généralement l’échelle de coupée. Le corps de Muraena passa alors de bras en bras, très doucement, chacun prenant le temps de lui dire au revoir à sa façon… Et tout au bout de cette file indienne, debout au-dessus des flots, Orcinus et Milos, après quelques secondes de recueillement, la précipitèrent à l’eau. Ils restèrent quelques instants à regarder cette étrange forme bleue qui avait tellement compté pour eux et qui n’était plus qu’un fétu de paille sous les assauts de l’océan. Puis elle disparut de la ligne d’horizon, les chants se turent, la cérémonie s’acheva et le bateau mit le cap sur Port-Eden.

Une fois à quai, la troupe se retrouva dans le réfectoire pour la traditionnelle veillée. Il y avait du ragoût de truite au safran, des brochettes de cabillaud et de patate douce, des algues cuisinées au four et au cumin… Des groupes se formèrent ici et là, dans un brouhaha animé mais respectueux. Milos avait l’air abattu, Orcinus restait à ses côtés en silence. Ils écoutaient attentivement Ventura qui s’était assise à leur table et qui semblait pleine de compassion à leur égard, allant de l’un à l’autre avec son regard immense et ses mains délicates.

Je ne voulus pas m’imposer, alors je pris place en face de mes compagnons de table habituels : Perkinsus, bavard et spirituel comme à son habitude, et Tempetus, timide et réservé mais dont j’appréciais toujours la présence. Mes pensées comme mon regard se perdirent dans tous les recoins de la salle, non sans remarquer au passage que Ventura se rapprochait de plus en plus d’un certain jeune homme… Et pour me forcer à penser à autre chose, j’interrogeai mes voisins sur un aspect de leurs coutumes que je ne connaissais pas encore.

« - Dites-moi, messieurs, qu’y a-t-il après la mort, selon la culture Lointaine ?

- Ah ! s’exclama Perkinsus, voilà une question de circonstances… Selon nos traditions, lorsque nous rendons nos défunts à la mer, Aquahé vient les chercher et les emmène tout au fond des mers, là où se trouve l’Atlantide que nous avons perdue, nous, mais où elle réside, elle. C’est pour aider notre déesse-sirène à trouver son chemin jusqu’à nous que les femmes chantent au moment où nous précipitons le corps dans les flots, comme tu as pu le voir tout à l’heure.

- Alors vos morts continuent à vivre dans la cité engloutie ?

- Oui. Du moins, c’est ce que nous croyons. Chez toi, j’imagine que c’est différent.

- Lumi, intervint Tempetus, comment se passent les funérailles, à Champarfait ?

- D’une certaine manière, nos traditions ressemblent un peu aux vôtres, pour une fois ! Pour nous, les morts rejoignent Merlin l’enchanteur et la fée Viviane dans une forêt mythique où ils demeurent invisibles aux yeux des vivants. Alors pour les aider à trouver leur chemin, nous enterrons les morts dans une forêt, lorsque c’est possible, ou sinon, au pied d’un arbre. Et nous chantons, comme vous.

- Je ne connaissais pas ces coutumes… Mais tu as raison, même si les rites sont différents, nous avons le même réflexe de rendre nos défunts à des êtres qui nous dépassent. Pourvu que Muraena trouve la paix, maintenant, loin de son désert natal… »

Nous restâmes longtemps à discuter, les bancs et les tables autour de nous se vidaient peu à peu.. Jusqu’à ce que, constatant que nous étions les derniers, nous décidâmes de prendre nos quartiers pour la nuit. Perkinsus et Tempetus rejoignirent leurs bateaux-lits respectifs, tandis que je me dirigeai vers la voilerie.

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