Chapitre XLIV (2/2)
« - C’est quoi ? Un pendentif ?
- Ah ! Oui. Il était à ma grand-mère. Elle a souhaité que je le garde au lieu de le rendre à la mer avec ses autres bijoux.
- Je crois que je l’ai vu sur elle, tout à l’heure. C’est une dent de requin ?
- Une dent d’orque.
- Elle est gigantesque ! J’imagine que Muraena a fait exprès, pour éloigner les jeunes filles et veiller sur ta vertu par-delà la mort ?
- Peut-être…
- Je risque de me piquer. C’est dissuasif, quand même.
- Mais non… Toutes les orques ne mordent pas, tu sais.
- Bof. Je n’aimerais vraiment pas me retrouver seule avec tes congénères au milieu de l’océan !
- Peut-être qu’on te grignoterait…
(Il m’embrassa et je souris très béatement.)
- …
- Alors, Lumi, dans quelles circonstances aimerais-tu rencontrer mes congénères ?
- Franchement, jamais !
- Ce n’est pas très gentil, ça.
- Est-ce qu’au moins, l’orque, ça se mange ?
- Je ne sais pas. Peu de personnes y ont goûté, je crois. Mais peut-être que tu devrais essayer !
- Ici ?
- Pourquoi pas ?
(Son souffle se fit plus court, ses lèvres commencèrent à papillonner sur ma peau et ses jambes se refermèrent autour de moi avec une certaine possessivité.)
- Orci… Attends ! Tu n’es pas sérieux, quand même ? Je n’ai pas envie de passer devant le Conseil des Cinq pour exhibitionnisme. Ni de mourir en tombant sur le pont depuis vingt ou vingt-cinq mètres de haut, juste pour tes beaux yeux.
- Mes yeux, mes doigts, mes lèvres… Il n’y a qu’à demander.
- Tsss… Tu n’es pas raisonnable du tout.
- Non.
(Mes mains s’aventurèrent de plus en plus loin sur son corps, ne montrant guère plus de retenue que les siennes, malgré mes airs offusqués).
- Et tu n’as même pas de harnais !
- Attends… »
J’attendis donc… Orcinus m’ôta mon harnais (une vraie ceinture de chasteté tant il ne rendait pas pratiques les câlins et autres formes d’explorations intimes) en me tenant fermement la main. Puis il m’allongea doucement sur le plateau de hune, m’enleva ma tunique et mon pantalon de toile et, tout en me maintenant toujours contre lui, il attacha le harnais autour de ma taille, d’une manière peu académique, mais suffisamment efficace pour éviter tout risque de chute.
Il finit de me déshabiller en silence. La nuit était très noire (heureusement !), le bois était froid et dur, son corps était chaud et doux. Autour de nous, le ciel était aveugle et sourd, la mer était silencieuse et Port-Eden n’était qu’une silhouette sombre comme une belle endormie… Orcinus était d’une intensité vibrante, vivante en ce jour de mort, et il me fit l’amour avec une fragilité étonnante et un appétit délicat.
Je savourai pleinement l’instant, malgré la posture aussi incongrue que le lieu ! Mais j’avais plaisir à le retrouver après ces quelques jours pendant lesquels ses priorités étaient (à juste titre) ailleurs que dans mon lit ou dans mes bras. Et quand nous reprîmes nos esprits, ou du moins ce qu’il en restait, je le gardai tout contre moi pendant un bon moment. Puis je frissonnai, saisie par la fraîcheur de la brise nocturne dans ce pays de désert.
« - J’ai froid, Orci.
- Et moi qui pensais t’avoir réchauffée !
- Andouille… Bon, je vais redescendre. Tu viens ?
- Je te rejoins dans quelques minutes. »
Je me rhabillai donc, remis mon harnais correctement et empruntai le dévers puis les haubans pour revenir non pas sur la terre ferme, mais sur le pont. Je me hâtai vers ma paillasse à travers les ténèbres silencieuses et m’allongeai dans la quiétude de la nuit. Orcinus me rejoignit une vingtaine de minutes plus tard et s’installa derrière moi, dos contre torse, je sentis son pendentif contre ma peau. Mais il avait raison : cette dent d’orque ne piquait pas du tout.
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