Temps

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Le soleil était éclatant, et pourtant ses rayons ne le dérangeaient pas. Il fixait le disque blanc sans détourner le regard, ce qui a son grand étonnement ne lui brûlait pas la rétine. Qu’il lève les yeux ou non, il ne pouvait d’ailleurs échapper à sa clarté ; en lieu et place de sol, ses pieds reposaient sur une étendue aussi plate que reluisante. A l’exception d’un abri semblable à ceux présents aux arrêts de tramway, rien ne venait troubler cette infinité uniforme. Des nuages immaculés balayaient l’horizon, tandis qu’une ligne semblant faire suite au passage d’un avion traversait le ciel de part en part. Mais de toute évidence, il n’y avait ici personne pour souiller l’azur.

Après avoir bougé son poignet gauche par habitude, il reporta son attention sur lui-même. Sa tenue était étonnamment monochrome : une chemise plus claire encore que sa peau, une veste, un veston ainsi qu’une cravate argentés, ce à quoi s’ajoutait un pantalon droit d’une même teinte. D’une manière inexplicable, il savait que ses iris avait la couleur de l’acier, à l’instar de ses cheveux. Dans cet océan bleuté, il devait faire tache, et pourtant il avait la conviction que l’harmonie des lieux n’était en rien brisée.

Son attention se porta sur la structure de bois. Une paroi de planches délavées soutenant un toit arrondi et pâle, un panneau n’indiquant aucune destination, ainsi qu’un banc sur lequel était assise une jeune fille. Sans particulièrement y réfléchir, il s’avança d’un pas tranquille avant de prendre place à côté d’elle. Peut-être le remarqua-t-elle alors, ce pourquoi elle replaça une mèche indigo derrière son oreille. Ou alors souhaitait-elle simplement dégager ses yeux marines. Quoi qu’il en soit, son chapeaux de paille s’accordait aussi bien à son teint qu’à sa robe d’été céladon.

« Depuis combien de temps êtes-vous là ? demanda-t-il.

-Cinq heures. Deux mois. Trois siècles. Sept secondes. Un an.

-Voilà une étrange manière de répondre.

-Toutes ces durées sont exactes, et à la fois aucune. Le temps n’existe pas.

-Où sommes-nous donc ?

-Nulle part. »

Son ton était calme, presque doux. Il hocha la tête. Rien de tout ceci n’avait de sens, mais ça n’avait pas d’importance.

« Que faites-vous ? reprit-il en tournant le regard vers la demoiselle.

-J’attends.

-Qu’attendez-vous ?

-Le train.

-Sans rail ?

-Il n’en a pas besoin. Ce n’est pas un train comme ceux que vous connaissez.

-Savez-vous donc qui je suis ?

-Je sais d’où vous venez, et où vous allez. Peut-être vous y accompagnerai-je.

-Je suis curieux de connaître mon origine et ma destination dans ce cas.

-C’est faux, répondit-elle sans émotion dans sa voix, vous ne ressentez aucune curiosité. Mais c’est ici.

-Ici ?

-En effet. Il n’y a rien d’autre.

-Alors nous allons faire un tour jusqu’à regagner notre point de départ ?

-Bien sûr que non. Nous ne revenons jamais au même endroit, c’est simplement que nous ne le quittons pas non plus. Cependant, nous allons tout de même nous déplacer.

-Voilà qui dépasse mes facultés de compréhension.

-Ce n’est pas étonnant. Vous n’êtes pas le premier à me dire ça.

-Avez-vous donc rencontré d’autres personnes ?

-Pas du tout, il n’y a que nous.

-Suis-je déjà venu, dans ce cas ?

-Je vous ai dit qu’il n’y a pas de temps. Rien n’est arrivé avant maintenant, il n’y a pas de passé. D’ailleurs, on pourrait dire qu’il n’y a pas de présent non plus.

-Et l’avenir ?

-Ça, vous pouvez le déduire vous-même.

-Je vous l’accorde. »

Bien que la conversation ne mène nulle part, il savait que son interlocutrice n’avait pas de mauvaise intention. D’ailleurs, il était satisfait de ce qu’elle lui apprenait. Sa compagnie était agréable dans cette immensité vide. Et elle-même était heureuse qu’il soit là. Pendant une durée inexistante, rien ne se passa. Ils pouvaient ressentir que le silence s’étirait, mais ça n’avait pas la moindre signification. Aucune certitude n’existait pour prouver que c’était le cas. La notion de réalité n’était même pas dépassée, elle était tout bonnement absente.

« Le train arrive, releva la jeune femme.

-Oui, je l’ai senti, acquiesça-t-il. À vrai dire, je ne sais pas si je l’ai entendu, vu ou encore deviné, mais je le sais.

-Il semblerait que vous commenciez à comprendre.

-Inutile que les choses soient vraies pour qu’elles existent, n’est-ce pas ?

-C’est audacieux de votre part de penser que la vérité a quoi que ce soit à voir avec ça. »

L’unique wagon vitré s’arrêta devant eux. Ses portes coulissèrent sur le côté, après quoi le jeune homme se leva. Il se plaça sur le seuil, tendit la main vers la jouvencelle et lui demanda :

« Monterez-vous avez moi ?

-Avec plaisir. Je pensais que vous ne me le proposeriez jamais.

-C’est un mensonge, vous saviez ce que je comptais faire.

-L’un n’exclut pas l’autre. Allons. »

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