Funérailles

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Ils sont tous là, réunis autour de moi dans leurs beaux vêtements sombres. Je les regarde tous un par un. Certains visages sont fermés, on ne peut lire aucune émotion sur leurs traits tirés. Ils sont juste là, leur regard vitreux fixant un point invisible derrière moi. Mais ils sont là, c'est tout ce qui compte. D'autres ont les larmes aux yeux, ils pleurent même parfois, quand les perles salées leur échappent. C'est eux qui me rendent le plus triste, ils ont l'air effondrés. Puis il y a ceux qui écoute l'homme debout devant moi, qui rient discrètement en se remémorant ces souvenirs dont il parle.

Cet homme, parlons-en. Il est grand, imposant, et pourtant sa voix est faible, mal assurée. Il parle depuis cinq bonnes minutes devant la salle bondée de monde. Il n'y a pas assez de fauteuil pour tout le monde, alors des gens sont debout au fond, sur les côtés, dans les allées entre les chaises. Il parle, encore et encore. Il raconte ses souvenirs. Il fait même une blague. Quelques personnes rient. Puis un sanglot retentit. Quelqu'un tousse. Quelqu'un renifle. Chacun réagit différemment et pourtant tous sont unis, ensemble dans cette épreuve. Ils ne font qu'un. Un seul et même cœur brisé.

L'homme attrape une guitare qu'on lui tend. Il joue un accord et s'arrête. Il réessaie. S'arrête à nouveau. Il prend une profonde inspiration pour ravaler les pleurs qui menacent de lui échapper. Puis il recommence. Un accord, un autre, puis encore un autre, et tout s'enchaine. La musique retentit. Du blues. Il commence à chanter de sa voix magnifique, rocailleuse, et en même temps douce.

Il retourne à sa place et c'est une femme, maigrelette, qui s'approche de moi. Elle pose la main sur mon couvercle dans un geste délicat, presque comme une caresse. Elle déglutit. Elle voudrait réussir à parler. Mais elle en est incapable. Alors une autre femme, un peu plus grande qu'elle, s'avance vers elle et la force à se rasseoir.

Le silence envahit la pièce. Personne n'ose bouger, parler, respirer même. Ils attendent tous de savoir ce qu'il va se passer. Une nouvelle femme, plus petite, se lève. Elle passe une main dans ses cheveux courts et frisés, replace ses lunettes sur son nez et se positionne devant l'assemblée. Ses mains, tenant un morceau de papier sur lequel elle a griffonné son discours, tremblent. Elle se racle la gorge et commence à lire le poème qu'elle a écrit. Tout le monde semble s'en émouvoir. Et le silence retombe en même temps que ses bras s'alignent le long de son corps. Elle recouvre sa place en titubant sous le poids écrasant de la peine.

Le défilé des orateurs semble terminé. Plus personne ne se lève. Une musique d'ambiance résonne dans la salle aux murs blancs, sobres. Un homme en costume noir prend la parole.

- Vous pouvez maintenant venir saluer une dernière fois Jean-Baptiste, dit-il. Déposer une fleur si vous le souhaitez, lui dire adieu et l'accompagner dans son dernier voyage.

Le calme retombe. Personne ne bouge. Il règne toujours cette ambiance pesante. L'air est saturé de tristesse, de désespoir et d'incompréhension. On entend quelques personnes renifler, se moucher, pleurer, gémir. D'autres sont toujours impassibles, incapable d'exprimer physiquement la douleur qu'ils ressentent intérieurement.

Soudain, la femme maigrelette se relève. Elle attrape une rose blanche dans son sac-à-main et s'avance vers moi d'un pas lent, réticent. Elle pose de nouveau la main sur mon couvercle en bois vernis. Puis elle se penche sur moi et dépose un baiser avant de déposer délicatement la fleur sur moi.

Se succèdent des dizaines de personnes à mon chevet. Certains prennent leur temps, me touchent, bafouillent quelques mots, pleurent. D'autres se précipitent. Ils déposent la fleur et s'en vont, préférant me soustraire à leur vue. Je me retrouve rapidement couvert de roses blanches, rosées, rouges. Certaines tombent au sol, vite ramassée par le maitre de cérémonie qui tient à ne froisser personne. Certains accordent une importance capitale à voir leur fleur, et pas une autre, accompagner Jean-Baptiste.

Ils regagnent leurs places en silence, tête baissée. Ils s'assoient, ils s'appuient contre les murs pales, ils cherchent un peu de soutien en ce moment difficile. Ils sont tristes, effondrés. Il était leur ami, leur proche, une connaissance, peu importe. Il était quelqu'un à leurs yeux et il ne le sera plus.

Je les regarde tous, un par un, immobiles sur leurs chaises ou debout là où il y a de la place. Ils tentent de comprendre, de réaliser ce qu'il vient de se passer. Et ils pleurent.

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