Derniers Jours
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Tempo allegro
VI.
Il nous a laissés là. Livrés à nous-mêmes, armés seulement de la faible lueur de nos passions fugaces… Il nous a laissés là.
Et la Lumière était revenue.
Mais ce miroir dont il parlait… Quelle lumière réfléchissait-il ?
La nôtre ?
Ou la Sienne ?
Et au bout du compte… depuis combien de temps avions-nous cheminé ?
VII.
Lumière ocre — « Prêtez l’oreille au crépitement furieux de Ses flammes ! Les entendez-vous ? Contemplez encore l’œil farouche de Son regard ! Pouvez-vous le voir ?
Pour la dernière fois, un nouveau jour se lève dans la contrée perdue de vos âmes ! Saurez-vous saisir votre chance ?
Les Va-nu-pieds— Attendez ! Répondez d’abord. Qui êtes-vous, puisque vous n’êtes pas Lui ?
Lumière ocre — Je suis la Belle Pensée. On m’appelle parfois le Beau Dogme. Mais pour vous, je ne suis que le reflet trouble de Sa lumière ! Voyez-vous comme elle est altérée à vos yeux ?
Les Va-nu-pieds — Mais, si vous n’êtes pas Lui… Pourquoi s’en prendre à nous ?
Lumière ocre — Je vous l’ai dit jadis. On n’avance jamais qu’à la vitesse du plus lent d’entre nous… Et vous, vous nous RETARDEZ ! Et le temps presse.
Les Va-nu-pieds — Qu’attendez-vous de nous ?
Lumière ocre — Que vous vous mettiez en chemin !
Les Va-nu-pieds — Mais nous y étions ! C’est vous qui nous avez interrompus !
Lumière ocre — Vous progressiez certes. Mais pas dans la bonne direction !
Les Va-nu-pieds — Où voudriez-vous que nous allions ?
Lumière ocre — Vous voyez ce désert infini d’où je vous parle ? Jadis, une forêt y régnait… mais vous l’avez laissé périr. Pour RÉPARER votre erreur, il vous faut cheminer dans cette direction.
Les Va-nu-pieds — Comment ?! Jamais ! Et combien de temps devrions-nous marcher ?
Lumière ocre — Aussi longtemps qu’il le faudra ! Un siècle au moins pour chaque seconde que vous avez prise.
Les Va-nu-pieds — Jamais ! Nous refusons !
Lumière ocre — Vous refusez ?
Les Va-nu-pieds — Parfaitement ! »
VIII.
Nous courions — depuis combien de temps déjà ? — nous courions avec fougue vers les territoires perdus de la Fugue ! Progressant comme sur un fil tendu entre deux abysses, nous galopions comme des dératés. À notre gauche, la mer brune et bouillante. À notre droite, le sable jaune et ténébreux. Au milieu une langue infinie d’un gravier aussi rude que des lames de rasoir. C’était comme longer deux déserts qui se repoussent toujours.
Derrière nous, la tempête et le tumulte.
Quelque chose qui ne DÉSIRAIT pas nous poursuivait…
Quelque chose qui était plus qu’une VOLONTÉ et moins qu’une SATIÉTÉ nous poursuivait.
Que voulait-elle ? Que voulait-elle cette lumière trouble ? Que NOUS voulait-elle ?
Alors que nous courions éperdument, nous lui lancions des invectives.
Les Va-nu-pieds — « Que nous veux-tu lanterne étrange ? N’as-tu pas d’autres chats à fouetter que de nous courir après de la sorte ?
Lumière ocre — Je veux que vous vous SOUMETTIEZ ! Il n’y a pas de temps à perdre ! Voilà trop longtemps que je m’épuise à vous poursuivre. Pour cela, vous n’avez pas fini d’être PUNIS !
Les Va-nu-pieds — Se soumettre ? Mais pourquoi donc ? Regarde nos jambes et nos pieds ! Ils ne sont pas faits pour s’agenouiller. Regarde comme nous marchons ! Regarde comme nous courons ! Crois-tu que ces cadences-là se domptent ? Nan. Nous désirons trop.
Prends-en de la graine !
Et puis d’abord. Si tu n’es pas Lui… Si tu dis vrai… Que FAIS-TU ?
Lumière ocre — Ce que je fais ?
Les Va-nu-pieds — On a l’air toujours plus intelligent quand on pose la question, pas vrai ?
Oui. Que fais-tu ?
…
Haha ! On t’entend moins !
Allez ! Lanterne idiote ! Nous nous enfuyons loin de toi et de tes songes abrutis ! »
IX.
Quelle respiration faisaient les Cieux désormais ! Le Jour écrasant faisait des allées et retours haletants. Il s’amoindrissait et reprenait de la force par à-coups. Comme si d’épais flots de nuages allaient et venaient à la vitesse du son !
Nous les avions ébranlés ! Après avoir jadis conquis le Sable… Voilà que c’était les Nuages qui nous obéissaient désormais. Nous les avions ralliés à nous.
Ralliés CONTRE Lui.
Lumière ocre — « Vous êtes idiots.
Et capricieux.
Puisque vous aimez poser des questions. Puisqu’il vous faut absolument DOMINER les autres… Eh bien allez-y.
Vous m’aviez demandé ce que je fais… Soyez plus directs. Que vouliez-vous me demander en réalité ?
Les Va-nu-pieds — Avez-vous des ENVIES ? Désirez-vous quelque chose en ce monde ou bien vous contentez-vous de Lui obéir ?
Lumière ocre — Voilà votre bêtise. Vous vous livrez à moi alors que je vous vois encore courir au loin…
Non. Je n’ai pas d’envies. J’en ai eu jadis. Mais plus maintenant…
Votre erreur est de croire que la seule alternative est d’obéir… que n’avoir pas d’envies c’est être aliéné. Que ne rien désirer signifie de pas être libre.
Alors je vous pose moi-même une question.
Pourquoi VOUDRIEZ-VOUS avoir envie ?
Les Va-nu-pieds — Votre question n’a pas de sens…
Lumière ocre — Au contraire. Si vous tenez tant à être libres… alors n’espérez rien. Alors n’ayez envie de rien. C’est là la source de tous vos maux. C’est l’origine même de votre aliénation !
Tandis que moi… qui ne désire plus rien… moi je suis libre d’aller et venir comme bon me semble. Je suis libre de vous sommer d’AVANCER.
Car moi, au moins, je VEUX quelque chose… Et j’ai encore un peu FAIM.
Mais ma faim à moi ne sera jamais assouvie. Ma vraie liberté est de savoir cela.
Tandis que vous… qui désirez tout et tout de suite… vous, vous ne pouvez pas bouger d’ici. Vous êtes obligés de tourner en rond encore et encore… à attendre que le Sable daigne accoucher des objets de vos désirs.
Vous vouliez des femmes c’est ça ? Vous vouliez du vin ? Vous vouliez de la viande ?
C’est tout ?
C’est vraiment pour des choses aussi triviales que vous nous retardez tous ?
Car oui… vous retardez ceux qui ont VRAIMENT faim.
Vous retardez ceux qui sont fidèles.
Les Va-nu-pieds — Nous ne…
Pff ! Quelle bêtise !
Vous êtes comme nous après tout. Dites bien ce que vous voulez, vous cherchez simplement à imposer sur nous vos propres désirs !
Nous fuyons ! Loin de vous et plus loin encore de Lui ! Car à coup sûr, c’est bien Lui qui est derrière cette supercherie ! »
X.
Sombres Cieux… Allez au loin ! Laissez-nous tranquilles par pitié ! Pourquoi faut-il que vous nous torturiez de la sorte ?
Nous sommes obligés de courir désormais… Il n’est plus temps de marcher. Il n’est plus temps pour les ébats… Oh que les nymphes sont loin désormais…
Partout autour de nous, l’air lui-même était devenu orange et brun. Le Ciel était d’un gris aussi sombre que la Mer qui hurlait près de nous.
Et le Sable… lui, avait pris les airs… Il s’était répandu partout. Il s’était révolté contre les Cieux… contre la Mer… contre Nous… Mais pas contre Lui.
Il était AVEC Lui.
Notre ami d’antan était devenu notre ennemi…
Lumière ocre — « Alors ? Il va être temps. Que décidez-vous ?
Les Va-nu-pieds — Non ! Toujours pas ! Nous ne voulons pas de vous ! Nous ne voulons pas de Lui !
Lumière ocre — A-t-on le temps de faire un tour de plus ? A-t-on le temps de vous éduquer encore ?
Les Va-nu-pieds — Non ! Laissez-nous ! Laissez-nous tranquilles pour de bon !
Lumière ocre — C’est ce que vous souhaitez ? Vraiment ?
Non. Est-ce bien là ce que vous DÉSIREZ ?
Les Va-nu-pieds — Oui ! Plus que tout autre chose. Nous voulons être TRANQUILLES !
Lumière ocre — Avez-vous apprécié la Nuit ?
Les Va-nu-pieds — Comment ça ?
Lumière ocre — La Nuit que vous avez passée… L’avez-vous appréciée ? Était-elle à votre goût ?
Les Va-nu-pieds — Nous… Non. Nous avions connu mieux.
Lumière ocre — C’est ce que je pensais. N’étiez-vous pas tranquilles alors ?
Les Va-nu-pieds — Si. Certainement.
Lumière ocre — Était-ce à votre goût ?
Les Va-nu-pieds — Non. Il faut l’admettre…
Lumière ocre — Est-ce donc bien ce que vous souhaitez ? Que l’on vous laisse tranquille, le Sable et moi-même ?
Les Va-nu-pieds — Ce n’est pas exactement ce que…
Lumière ocre — Vous ne désiriez rien de ce que le Sable vous donnait sans compter… Vous aviez simplement choisi de Lui prendre au centuple ce qu’Il vous aurait donné de toute façon.
C’est risible. Voyez ce qu’il nous a fallu faire pour vous rattraper…
Les Va-nu-pieds — Ce n’est pas notre problème ça !
Lumière ocre — Ça l’est oui. C’était d’ailleurs cela précisément que vous désiriez. Que l’on s’intéresse à vous.
Avez-vous remarqué que vous étiez seuls sur cette plage ? Cela ne vous a pas interpellé de constater que vous ne croisiez personne ici ?
Les Va-nu-pieds — Il y avait les nymphes tout de même !
Lumière ocre — Vous savez bien qu’elles n’ont jamais existé !
Répondez ! Où pensez-vous que tout le monde se trouve ?
Les Va-nu-pieds — Ailleurs. Peu importe ! Ce sont des idiots.
Lumière ocre — Le monde est idiot et vous, vous avez vu juste, n’est-ce pas ?
Les autres sont là-bas… par delà le désert. Eux, ils se sont RAPPROCHÉS pour voir… Pour Le voir, Lui.
Alors je vous le redemande. Que décidez-vous ?
Les Va-nu-pieds — Nous fuyons ! Nous fuirons toujours !
Lumière ocre — NON ! CESSEZ ! Il n’est plus temps de FUIR. Si vous courez devant, vous ne fuirez pas, puisque personne ne viendra vous chercher !
Si vous décidez de partir, c’est pour de bon.
Si vous décidez de partir, c’est sans le Jour.
Si vous décidez de partir, c’est dans la Nuit !
Dans Son ombre… et plus dans Ses yeux.
Dans Son oubli… et plus dans Sa mémoire.
Que décidez-vous ?
Les Va-nu-pieds — Nous… Nous voulons fuir… Nous voulons courir… Nous le savons…
Lumière ocre — Dernière question.
Combien êtes-vous ?
Va-nu-pieds — Comment ça ?
Lumière ocre — Combien êtes-vous ? Pouvez-vous vous compter les uns les autres ?
Va-nu-pieds — Je… Nous ne comprenons pas.
Lumière ocre — Je parle à plusieurs personnes, non ? À un groupe ! À une meute ! Dénombrez-vous !
Va-nu-pieds — Deux. Non ! Vingt ! Non, quatre-cents !
…
Je… Nous sommes près de mille. Je… Nous en sommes sûrs !
Lumière ocre — Vous fuyiez la Nuit n’est-ce pas… Vous vouliez de Lui, n’ai-je pas raison ? Vous vouliez qu’Il s’intéresse à vous.
C’est dur d’être seul au cœur de la nuit, je le sais…
Il est là. Il ne vous a jamais quitté.
Mais Il vous demande de faire maintenant preuve de fidélité. Voilà ce qu’Il VEUT de vous.
Voulez-vous avancer vers lui ? Voulez-vous vous rapprocher ? Voulez-vous du Jour ou bien de la Nuit ?
Que décidez-vous ?
Va-nu-pieds — Nous… Je…
J’avancerai. Je reprends la route. »
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