Il était aux alentours de dix neuf heures lorsque Cindy la courgette se réveilla dans le bac à légumes. Elle semblait paniquée sans vraiment savoir la raison de son état. Elle sautait en espérant réveiller une de ses amies mais en vain, les autres courgettes restaient profondément endormies.

— Hé ho ! Y a quelqu'un de réveillé ici ? Les poivrons ? Les carottes ? J'ai un mauvais pressentiment !

— Ho mais tu vas la fermer ta gueule sale courgette !

La courgette sursauta de surprise. Elle savait que Kim l'aubergine n'avait jamais été bien aimable avec elle mais elle ne comprenait pas pourquoi autant de violence était utilisée contre elle.

Cindy se retourna vers la voix de Kim, elle se laissa guider par la voix nasillarde de son ennemie, escaladant ses nombreux collègues endormis dans le fond du bac, elle trébucha plusieurs fois, il n'était pas simple de se déplacer dans la nuit.

— Pourquoi es-tu toujours aussi agressive avec moi Kim ? Je ne t'ai rien fait !

— Tu viens de me réveiller pétasse, encore, et sûrement pour une histoire stupide comme toujours!

— J'ai un mauvais pressentiment, nous sommes ici depuis trop longtemps et nous voyons nos amis périr jour après jour. Qu'allons nous devenir ? Je sens que quelque chose se trame en dehors du bac !

L'aubergine soupira d'exaspération mais sentant la courgette particulièrement agitée, elle se dit qu'elle allait peut-être lui laisser le bénéfice du doute.

— Bon, tais-toi et écoutons s'il y a du bruit.

Les deux ennemies se turent afin d'y capter un quelconque bruit à l'extérieur de leur bac. Elles furent paniquées en entendant une grande agitation, quelque chose chantait joyeusement, la voix résonnait comme si elle était dans une boîte.

— Tirlilaliii Elvis va patiner, Elvis va patineeeeer !

La courgette lâcha un cri d'horreur.

— KIM! Elvis le beurre va sortir ! Cela signifie que nous allons sûrement être de sortie aussi ! Nous sommes les derniers survivants, il faut trouver un moyen de nous enfuir, et vite !

La courgette se mit à sauter et à crier pour faire le plus de bruit possible, l'aubergine mit peu de temps pour l'imiter et le bac à légumes fut rapidement transformé en un bac rempli de légumes effrayés et énervés. Les carottes criaient au scandale tandis que les courgettes pleuraient comme des enfants. Les aubergines tentaient d'escalader le bac à légumes pour s'en échapper, les pommes de terre tentaient de se relever mais retombaient à chaque fois et les poivrons dansaient dans leur coin, pas du tout paniqués.

Quelques instants plus tard, une grande lumière les aveugla tous, ils crièrent de douleur avant de se ruer contre la paroi du bac à légumes pour faire basculer le tiroir au sol. Ils virent le beurre être soulevé dans les airs par une grosse main mais Elvis semblait plus épanoui que jamais. Le bac à légumes s'ouvrit ensuite et quelques carottes hurlèrent lorsqu'elles se firent capturer, les quelques courgettes toujours vivantes s'évanouirent, les pommes de terre tentaient de rouler dans la main de l'humain pour sauter au sol et les aubergines essayaient de glisser pour monter sur le corps de l'humain. Les poivrons ne manifestaient toujours aucun signe de panique.

Elvis chantait dans la poêle comme s'il faisait un concert et certains légumes se mirent à prendre de l'assurance et à vouloir le rejoindre pour l'accompagner dans son spectacle. Une douche d'huile tomba sur les quelques légumes déjà présents dans la poêle et ces derniers se dandinèrent de plaisir.

Cindy et Kim n'étaient toujours pas dans la poêle mais elles continuaient à chercher un moyen pour s'enfuir.

Un poivron rouge s'approcha doucement d'elles en roulant, il se présentait élégamment à elles avec une petite attitude charmeuse.

— Hé bien les filles, n'ayez pas peur, Angelo est là pour vous rassurer, nous allons prendre un bain chaud, bien relaxant et si le désir de vous serrer contre moi vous vient, n'hésitez pas, je vous accueillerais avec grand plaisir.

— Oh quel poivron rouge insolent ! Comment osez-vous charmer dans une telle situation ? Vous devriez avoir honte !

Angelo roula contre la courgette.

— Ne sois pas si prude, ma belle courgette, nous savons tous ce que tu caches sous tes belles épluchures.

— Pourriture ! Pousse toi de moi !

Elle se recula, dégoûtée, mais ne vit pas le bord de la table se rapprocher de son corps. Prise d'une étrange panique, l'aubergine roula pour sauver son ennemie mais les deux furent attrapées par une grande main,avant l'impact au sol. Elles furent ensuite baignées quelques secondes dans une bassine d'eau froide avant d'être secouées puis placées dans la poêle chaude et frémissante où certains de leurs camarades commençaient à sombrer en une vulgaire bouillie. Certains bafouillaient des phrases incohérentes et la courgette se demandait s'il s'agissait de plaisir ou de douleur.

La chaleur leur brûla la peau mais la sensation devint vite plus agréable.

— Il fait une chaleur d'enfer d'ici !

— Évidemment qu'il fait chaud, on est dans une poêle, espèce de stupide courgette !

— Respecte moi, grosse aubergine malpolie!

— Tu insupportes tout le monde dans le bac à légumes depuis ton arrivée ! Tu crois être la reine du bac, tu crois être la plus intelligente et la plus belle avec tes petites courbes de reine là ! Mais redescends d'un rayon, tu finiras au même endroit que nous, quelque soit ton physique !

— Et toi tu te comportes comme une méchante et arrogante aubergine ! Tu passes ton temps à humilier tout le monde dans le bac sous prétexte que tu as souffert par le passé, mais tu ne penses pas à l'impact de tes actes et paroles sur les autres ! Les carottes sont fragiles, les pommes de terre complexées par leurs rondeurs et leurs petites tailles et par le fait qu'elles soient plus appréciées une fois mutilées en frites ! Alors arrête de vouloir me faire la morale alors que tu es tout autant mauvaise !

Kim l'aubergine se jeta sur Cindy la courgette pour tenter de la blesser avec l'huile brûlante. Mais Angelo le poivron rouge les sépara.

— Du calme, les filles. Regardez autour de vous. Regardez nos camarades mourir petit à petit, nous sommes les seuls encore en vie, alors profitez du temps qu'il reste au lieu de vous battre pour des bêtises. Vous êtes de très belles créatures et si j'avais à choisir, je vous choisirais les deux pour nous mélanger physiquement et dynamiquement !

L'aubergine se dandina contre le poivron rouge, voulant être charmeuse tandis que la courgette préféra ne pas voir le rapprochement de ses deux camarades.

L'humain qui remuait le contenu de la poêle fit tomber une frite à l'intérieur du mélange sans même y prêter attention. La frite semblait se noyer, elle criait à l'aide.

— Au secours ! Je ne sais pas.. nager ! Je ne suis pas faite pour être plongée dans ce genre de mélanges !

Cindy la courgette lui offrit son corps en guise de bouée.

— Merci beaucoup ! Vous êtes une bien brave courgette !

— Nous n'avons pas le choix, nous sommes les derniers survivants. Comment t'appelles-tu ? Je suis Cindy, l'aubergine qui se frotte salement contre le poivron rouge pervers, c'est Kim et le poivron rouge c'est Angelo.

— Je m'appelle Angela ! Et j'ai réussi à sauter des mains de l'humain.

— Bravo !

La frite soupira de douleur.

— Je n'ai hélas pas beaucoup de temps restant,avant de mourir. Le mélange dans lequel vous baignez m'a affaiblie, mais j'aimerais que pour nos derniers moments de vie, nous soyons le plus honnête possible afin de mourir en paix. Je propose que chacun notre tour, nous dévoilions un secret jamais révélé auparavant.

Le poivron se glissa vers la frite.

— C'est une bonne idée, jolie Angela !

L'aubergine ne semblait pas d'accord avec l'idée de la frite, mais ne dit, cependant, rien.

La frite commença par parler.

— Je ne suis pas une vraie pomme de terre à la base. J'ai été créée avec toutes sortes d'ingrédients et de produits douloureux, injectés dans mon corps. Mais les humains raffolent de mon goût, alors de plus en plus les pommes de terre sont mutilées pour devenir des frites ou des aliments comme moi, créés de façons nouvelles et non naturelles. Nous souffrons et mourons pour le bonheur gustatif des humains, mais ils ne se rendent pas compte qu'ils se rendent malades petit à petit.

La courgette lâcha un cri de surprise.

— Oh mais c'est terrible ! Tu es très courageuse ! Ce que tu subis et ce que les pommes de terre subissent sont une abomination ! Vous méritez d'être appréciées à votre juste valeur ! Tout le monde me pense bête et inutile, je suis souvent jugée sur mon physique et ma saveur, mais j'ai beaucoup voyagé à travers le monde et j'ai appris à aimer chaque défaut, chaque parcelle de mon corps et à accepter tout le monde quel que soit son apparence, son odeur, son goût ou sa personnalité. Je pense que les humains devraient en faire de même pour eux, et pour nous. Je peux être délicieuse si je suis traitée et cuisinée avec soin et amour. Il en va de même si je suis élevée sans pesticides, ces derniers abîment ma peau, me rendant moins attirante et moins bonne en goût.

La frite se cala gentiment contre Cindy, puis Angelo prit la parole.

— J'ai vu mes frères mourir sous mes yeux et j'ai préféré être égoïste plutôt que les aider et risquer ma vie. Chaque jour passé dans ce bac à légumes, sans eux, est un véritable cauchemar et personne ne pourra jamais les ramener ou les remplacer ! J'utilise mon charme pour attirer le plus de personnes et de légumes possible, afin de ne pas me sentir seul et minable, pour ne pas penser au monstre que je suis !

L'aubergine le câlina pour le réconforter.

— Et toi Kim, quel est ton secret ?

La concernée ne répondit pas à Cindy. Les survivants la regardaient, mais elle restait silencieuse en évitant leur regard. La frite prit alors l'initiative de parler.

— Sans même que tu dises quelque chose, j'ai vu à l'instant où la courgette m'a sauvée, que tu avais un faible pour elle. Ton comportement avec Angelo ne trompe pas, les regards et les paroles lancés à Cindyne trompent pas non plus, tu l'aimes mais tu as honte et tu te sens faible. Mais il ne faut pas, sois fière de qui tu es, garde et aime tes courbes de reine en les montrant fièrement. Déplace-toi comme une aubergine fière et sûre d'elle, et assume ta différence. Aimer quelqu'un du même sexe n'est, et ne devrait pas être une honte, une faiblesse ou vu comme un acte démoniaque. Parce qu'au fond de vous, vous vibrez d'amour comme n'importe qui et c'est le plus important parce qu'il n'y a rien de plus important que l'amour, pour soi et pour les autres. Quelsque soient notre histoire, notre bagage de douleurs, nous sommes tous des battants, et si nous assumons, alors rien, ni personne ne peut nous descendre !

L'aubergine sembla choquée, tandis que la courgette se sentait émue et que le poivron rouge restait sans voix.

La frite se mit à bouger rapidement, elle souffrait, son corps commençait à perdre vie.

— Faisons un pacte tous ensemble ! Faisons le pacte de rester à jamais des vainqueurs, et prévenons chaque camarades croisés quel que soit l'endroit, prévenons-les de leur destinée, prévenons-les que leur vie pourrait être bien plus belle s'ils s'aimaient tous les uns et les autres, sans conflit et avec du soutien, ils mourront heureux et fiers d'eux.

— C'est d'accord !

Le poivron colla une partie de son corps à la courgette et à l'aubergine, qui fit la même chose, de façon un peu plus timide. Tous se touchaient pour marquer leur pacte, tous se touchaient pour se soutenir, s'aimer et mourir ensemble. Tous respecteront le pacte à travers leurs génétiques dans le futur.

Ils perdirent la vie peu à peu, mais heureux et soulagés d'un poids difficile à porter pour eux.

Apprendre à s'aimer avec nos défauts et nos imperfections facilite la vie et permet de créer des liens avec les gens, et de se rendre compte de notre réelle valeur.

Quels que soient l'intelligence, le physique ou la personnalité de quelqu'un, ne jamais juger ce qu'on ne connaît pas, car chacun à son bagage de douleurs.

Force, soutien et amour sont les maîtres mots pour un futur sain et heureux malgré la négativité rencontrée au cours d'une vie.