10 septembre, 13 heures, retour à la réalité

Hélène goûtait l'air frais sur l'esplanade devant l'hôpital. Elle avait vécu des jours terribles et reprenait peu à peu, et avec peine, contact avec la vraie vie, celle du dehors.

Elle commanda un taxi. Pour aller où, au fait ?

La maison ? Non, c'était trop tôt, beaucoup trop tôt.

Elle serait allée chez Sandra, mais elle n'était plus là.

Le Café des Arts ? Trop de mauvais souvenirs désormais.

Son bureau ? Elle n'avait pas le coeur à ça.

— Roulez un moment, je vous dirai.

— Bien, mademoiselle, répondit le chauffeur, un jeune homme à l'accent étranger.

Après quelques minutes, la voiture s'arrêta aux abords du parc Loiseau. C'était un espace de verdure en pleine ville, apprécié des « mamies à chien-chien », des joggeurs et des mères avec leurs enfants. Hélène régla la course et marcha sans but, suivant l'allée centrale couverte de gravillon.

Elle s'assit sur un banc, seule, et laissa son esprit vagabonder dans le feuillage des arbres, le souffle du vent et les cris des bambins jouant à quelque distance. Ceux-ci réveillèrent soudainement en elle ce désir de maternité. Depuis une semaine, il s'était tu, bâillonné par toutes ces émotions.

Maintenant, tout était foutu ! Elle était veuve... Sans enfant. Elle était loin, cette vie qu'elle avait rêvée. Quelle idiote de croire que ces histoires de roman de gare peuvent devenir réalité ! Un visage se dessina peu à peu entre ses yeux et l'horizon : celui de sa grand-mère, quand elle lui avait donné son collier : « Il te portera chance ! » Elle le toucha. Ce qui était drôle, c'est que sa grand-mère ne s'était jamais trompée.

Mais aujourd'hui, son mari était mort et sa meilleure amie était en prison dans l'attente de son jugement. Il y avait plus personne sur qui s'appuyer, contre qui se serrer. Elle était seule, tragiquement seule.

Hélène ferma les yeux, faisant d'abord le vide dans ses pensées et se concentrant sur les bruits avoisinants. Sa respiration devint plus profonde.

Comment n'y avait-elle pas songé plus tôt ? Sa vie n'était pas si foutue que cela. Son besoin d'amour et d'enfant n'était peut-être pas complètement absurde. Il lui restait encore une chance... Une carte à jouer, comme aurait dit sa grand-mère, passionnée de chibre... Oui, bien sûr.

Mais c'était encore trop tôt. Elle avait besoin de se reconstruire, de retrouver un sens à sa vie. Alors, peu à peu dans son esprit se forma un projet qu'elle avait toujours remis à plus tard. Maintenant, c'était le bon moment. C'était comme si sa grand-mère lui avait soufflé l'idée.

Elle sortit son téléphone, pianota un numéro.

Le taxi s'arrêta devant l'entrée du parc. Elle donna l'adresse au chauffeur. Il la regarda dans le retroviseur, sourcilla, haussa les épaules et démarra.

La voiture sortit de la ville et parcourut une route au milieu des champs de céréales maintenant fauchés. Après presque une heure, Hélène se trouva devant une porte imposante, garnie de ferrures ouvragées. Elle frappa au heurtoir. Elle entendit quelques pas rapides. Un guichet s'ouvrit, deux yeux apparurent alors. La porte s'ouvrit sans attendre.

Hélène entra. La porte se referma. Elle demanda si on pouvait l'accepter pour un temps indéterminé. Elle avait besoin de respirer après des événements douloureux.

La femme qui lui avait ouvert lui fit une petite révérence et lui répondit d'une voix cristaline :

— Cette maison vous est ouverte. Le Seigneur accueille tous ceux qui frappe à sa porte. Soyez la bienvenue. Je vais appeler notre soeur qui vous indiquera une cellule.