La marche des Bolréamons
Les soleils terrestres tombent, marchons par la porte des sols.
Sur un parterre bronze jonché de feuilles se fabriquait un arbre, et poussait de l’écorce un métal cyanosé. Le bois expirait entre ces plaques d’airain, cloutées, agrafées sur la peau du suffoquant, tenant piégé l’arborescence mutante. Et coulait de sous ces cerbères une sève ichoreuse où se mêlait l’oins des chiens métalliques affamées. Gouttant et gouttant, les gouttes ruisselaient par cicatrices, empruntant les chemins sinueux de l’écorce pour suer lentement le long de l’arbre en lui tournant et tournant autour. Parfois elles se bloquaient sur une excroissance, malformation à couper, reclouer, préserver la gésine qui s’y créait avec lenteur. Le sang venait s’agglomérer autour du collet où se cultivaient les branches saillant du pied. Les rameaux s’étendaient dans les airs, s’entrelaçant et s’entrechoquant. Teinté comme le sol, ou un ciel qu’ils n’avaient jamais vu, ils se jetaient vers le sommet de l’arbre avec une froide discorde. Une énergie sauvage voulait parler, voulait hasarder les branches aux grès de soleils noirs. Celles qui s’hasardaient, s’hasardaient à la coupe et l’arbre avait fait silence. Les rameaux poussaient droits. Ils venaient se rejoindre lentement au sommet du tronc, s’enroulant en son pic où la pousse se terminait. C’était une pauvre réplique de son modèle père, l’Arbre des Singularités. Dévoré par sa propre croissance, il attendait son heure, faire comme ses ancêtres et donner naissance. Et tous les jours, on entendait un vent qui n’existait pas faire hurler les branches. On entendait un gémissement, un crie, une douleur et puis l’arbre se taisait. Il mourrait lentement, trop lentement, et on venait le réparer sans le guérir. Et il attendait, attendait d’en finir, de déposer sa charge au pied d’un rêveur. L’arbre aurait même accepté de faire le jeu de celui qui l’avait placé dans ce cauchemar. Ne plus être, voilà peut-être tout ce qu’il fallait faire, ne plus être, car il n’était pas censé être ceci.
A une heure où les astres étaient hauts dans un monde lointain, ou peut-être étaient-ils tombant dans un autre, sa plainte s’écrasait sur les oreilles d’une créature qu’il n’avait jamais vue. L’arbre attendit, un mot, un son, une réaction. La créature s’approcha, le dépassa et ne se retourna pas.
Zaëv enterrera les autres, qu’ils songent de violences,
La créature gravit les marches, usant de deux jambes sur lesquels le reste de son corps se balançait. Parfois, elle ralentissait, observant un motif particulier parmi les millions qui se trouvaient éparpillés sur les murs qui constituaient la tour et ses sols ; la créature repérait le symbole et s’y penchait à l’aide de deux autres appendices, ceux-ci attachés en haut de son corps, lui permettant de baisser sa tête sans tomber. Son attention si sporadique envers ces figures, ces traits à l’allure chaotique quadrillant le chemin vertical, n’étaient pas dues à la reconnaissance d’une image ou d’un insigne : aucun n’avait de sens. La curiosité qui bouillonnait en elle à tout instant n’était pas non plus la cause de son attention. Non, elle s’arrêtait car certaines gravures se mouvaient à son passage et cessaient tout mouvement dés qu’elle les remarquait.
Le pas claquant, montant et montant montait la créature aux deux yeux assaillis de lignes et de traits en leurs périphéries.
Et le vide, partout que le Ccobar encoffre le silence.
Combien de marches ? De dessins et d’hachures vivantes ? 3658 pas. 12 455 marques mouvantes. Elle les comptait pour concentrer son esprit tout en laissant son corps grimper la tour. Elle était endormie en son fort intérieur, entouré de lumières sommeillantes. Des pensées mécaniques, plus encore que ses mouvements. Souvent, nous nous blottissons dans des jardins, regardant nos rêves pousser des graines que nous ramassons les yeux ouverts. La créature s’était retranchée dans un laboratoire, nul végétation pour elle, seulement des chiffres, des mots et du vrai.
Elle se réveilla. Elle l’avait vue. Du sens avait soudainement éclaté. Sur un mur, une forme reconnaissable, celle d’une couronne inversée. Ses esprits revenus, c’est avec la notion rassurante que ce chaos n’était pas éternel qu’elle repartie à l’assaut des marches. Elle cherchait maintenant la raison dans les traits.
Le suicidé passe en nos esprits, cessent tes cris, Hurol !
1826 marches, 6128 tracés railleurs, puis un loup grimaçant tenant un grimoire dans ses dents. Elle continua. Et les illustrations devenaient plus nombreuses. Elle vit un cerf aux mains aux bouts des bois ; buvant en désert, des enfants avaient la bouche décousu et les yeux disparus ; étaient-ils dans la sacoche du géant à l’œil en poche ; le rêveur se veux vêtu ; rêve d’Ares, ni Fère, ni Eden, Iv idéalise, Patras sonne un cor, roc nu en nos Satrapes, Ilae, divine denrée, fin sera de ver ; vers une Lune marche un homme cherchant le feu des nuits sans fin ; afin de fuir, le rire fulgurent d’un furieux comique s’est inscrit dans la roche ; et une œuvre sans artiste s’écrivait encore ; la roche, seule, maintenant rit sur la tombe d’un pitre ; et un roi riant riait d’un roi plus grand que lui ; rois sans couronnes et trône sans rois ; là, un chien ; ici, entropie ; où est ma fin et le repos de mon encre de pluie ; Porte d’Ares, air à penseur sonne un cor, roc nu, en nos rues, né paria sera de trop ; Ares, un nu, sera ; mais une armure au trou béant à la place du cœur les cherche ; les vivants rayonnaient, et consumaient leurs rayons dans une glorieuse conflagration ; éclats d’instants, et la vie, ardente, se dévoile ; les mythes s’écrivaient sur les murs d’une tour. Elle ne voyait que dessins et sens mais ne pouvait plus les compter. Mille, un million, infinité ? Son esprit s’était enrayé, enivré, il était grisé par le jeu des lignes, chaque forme lui racontant une histoire. Trop. Trop. Des récits sans débuts ni fin se plantaient en sa tête. A chaque ligne, son histoire, à mille marques, milles récits, se jouant et rejouant. Fixe, fixe dans sa tête, fixe toi en celle-ci et elle fixait les yeux au loin pour ne pas voir.
Assailli de toute part, son esprit s’était de nouveau endormi, laissant son corps monter. Il n’y avait plus de lignes mouvantes, tout avait un sens maintenant, tout avait trop de sens.
Inscrits nos paroles, ignorant Kaah, insuffle les présents
Résonna sur les murs l’arrivée de la créature devant la porte du roi. Devant ses yeux se dressaient deux battant, un d’airain, l’autre d’argent. Dans chaque se dessinait un relief. Homme et femme se regardaient, elle se composant encore, lui depuis longtemps abouti. La créature observa ce dernier. Un patriarche y était peint comme clos, l’aventure de sa forme finie. Dans cet homme, dans cette chose, une idée la dégouttait. Dans l’œil d’argent, la vie avait été tarie de ses mystères. Ignoble barbon, enfermé dans son argent. A ne plus mouvoir. Peur de craquer le métal. Peut-être. Peur de savoir l’errance finie. Peut-être. Ne plus mouvoir. Ne plus demander à savoir. Ne pas étendre la main aux barreaux. Ne jamais sentir la prison. Jamais se savoir prisonnier. Rester. Eternellement. Soi. A l’argent, s’affrontais l’airain. Et la femme, inondée d’aventure dans le désordre de ses stries, rythmais le panache d’une vie qui danse pour une brise et se tue pour une bourrasque sans laisser au vent autre que l’enveloppe d’un être qui n’est plus.
La créature lui ressemblait. Trop. Quelqu’un l’avait peinte sur ce battant. Peut-être une coïncidence ? Non, pas sur sa terre. Celle qu’elle sillonnait avait était faite pour son exploration. Les chemins étaient nés avant les destinations. Et cette tour, qui existait en dehors de tout monde, avait un but : cette femme. La créature en était certaine. La tour était venue la chercher ; il n’y avait pas de coïncidence.
Elle était arrivée à destination, à une réponse. Laquelle ? Elle ne savait pas mais il y avait une réponse passée cette porte. La créature s’approcha mais s’arrêtât soudainement. Proche du battant d’argent, sur un bloc de métal précédemment vide et pure, se dessinait une nouvelle forme.
Que suivrons les quêteurs du mont Sill, pages et pages, mots et mots.
A l’arrêt de la créature, les hachures avaient cessés de se former. Celle-ci s’avança à nouveau d’un pas, gardant un œil sur le dessin qui repartit de plus belle, cassant et dentelant le mur pour y poser une image encore confuse et chancelante mais bientôt formée et finie. La créature s‘arrêta. Le dessin s’interrompit. Elle fit un pas en arrière, l’illustration se défit. Fixant la gravure, elle se mit à courir. L’artiste fou écorcha le mur de plus belle. Une frénésie de pas. Des tracés furieux. Un monde distordu. Mais des lignes claires. La créature posa la main sur la porte. Le dessin se termina. Et dans le miroir de son œil se profilait les ombres de seize géants tenant un monde en leur main. Elle savait qu’un pas en arrière de déferait rien. Elle poussa la porte et entra.
Qu’ils noient à notre soif au lac de Hhéhhibé en s’admirant,
« Parlez, je vous permet le premier mot. »
A son entrée dans la salle du trône, la créature fut surprise de voir le barbu de la porte. Penché sur une table jonchée de mécaniques diverse, l’homme s’appliquait à souder un minuscule moteur rouspétant, constitué d’écrou, de valves, de piston et de tuyaux, à une langue métallique. Les lamelles poncées de cette dernière s’imbriquaient ensemble si bien qu’une fois les tranches posées le bronze paraissait un miroir. Sur la table, était posée une mâchoire sans langue.
« Il y a du sang en vous que je reconnais dans mes veines. Du sang affamé d’horizons... » Le barbu leva la tête et avala les mots dans sa bouche.
C’était elle ! Sa fille. Sans son linceul. Sans son cercueil et son bois pourri. Plus de larves coulant dans sa chevelure. Et ses doigts comme le premier matin. S’il touchait… S’il caressait, il sentirait un sang chaud. Un sang rouge de violence. Ardent comme un métal battu par la fiévreuse vie. Et le gouffre d’ivoire se tordrait de douleur, et d’un sourire. Sa fille… serait vivante.
« Il y a un sang en vous qui n’est pas de mes veines… »
Qu’un état nous donne mille corps aux usines de Somo,
Et comme l’homme s’était perdu dans une chimère, la créature se perdait dans un rêve. Peut-être, devrais-je dire cauchemars ?
La créature regardait l’antre, ses yeux sautant d’un instrument à son objet et l’objet cachait machines et livres sur lesquelles s’entassaient mille schémas et pour chaque schéma la bibliothèque avait mille livre et pour chaque livre on trouvait une machine et pour chaque machine un monde s’ouvrait à elle. Elle cherchait à accaparer dans ses yeux toute la connaissance de ce lieu. Elle courait à un inconnu, le mesurait, le calculait avant de sauter sur un autre mystère pour en sonder ses profondeurs ; elle en voyait un énième et elle le chassait, un autre et une autre course. Les flammes de son esprit rageaient de ne pouvoir tout prendre et comprendre, de ne pouvoir assimiler, posséder, intérioriser et garder et regarder toute cette connaissance. Ne pas fixer une énigme, c’était peut-être la perdre ; mais ne par voir les autres maintenant, tout de suite, c’est peut-être ne jamais voir ! Et les secrets de l’antre ne se privaient pas d’alimenter le feu jusqu’à ce qu’il soit un furieux incendie, brasier égoïste qui cherchait tout, voulait tout. La salle entière s’y jetait, jouant de leur mystère pour attirer, se rendant chacun plus précieux que l’autre. Ils criaient de leurs voix illusoire qu’il les fallait tous. Il fallait tout étudier mais elle n’avait pas le temps, il faudrait choisir. Le feu cours les murs. Choisit. Le feu nous engouffre et avale. Choisit. Il n’y a plus de temps. Choisit. Ce qui ne peut être perdu brûle. Choisit. Sauve-nous tous. Choisit. Mais tu ne peux pas tous nous sauver. Choisit. Choisit ! CHOISIT !!!
La créature s’écroula.
Et qu’ils se brisent sur Sorande, l’autel des émotions.
« Je veux tout »
Au sol, agenouillé devant la connaissance, se prosternait une quêteuse. Elle avait trouvé un autel où prier, un temple à l’effigie de sa passion où sa fièvre maladive ne trouvait pas de repos mais se renouvelait, frénétique, fervente. Elle aurait dû être entourée d’anges à cet instant, conversant de lumières et d’illuminations, recevant du soleil et des astres le mot des oiseaux oscines. Mais c’était la voix du souterrain et les ailes des cavernes qui répondaient à sa prière. Les ombres se faufilaient entre les étagères et les machines, des obscurités voraces couvrant la vérité à leurs passages. Les livres se noircissaient, dévorés par les abysses se mouvant de parois en parois. Tout se perdait. Le monde sombrait. Elle aussi, dans un gouffre séparé du tout tombant. Au fond du puits, on pouvait voir le tout brûler dans le puits d’à coté, et on savait que cette lueur serait la dernière. On frappait aux murs. On grattait la lumière, espérant garder des étincelles quand le monde serait noir. Puis le noir fut et on n’avait pas d’étincelle dans les mains.
Et le monde s’ouvrit, et tel l’apparition de la première étoile, l’obscurantisme laissa place à la clarté et la figure d’un homme à la barbe argenté.
Aenn, dort pour garder ta pureté, soit aveugle et parfaite,
La créature tremblait. Elle se releva jusqu’à ses genoux, le corps parcouru de secousses, et répéta : « Je veux savoir tout… ce qu’il y a ici.
- Alors vous cherchez la fin de l’horizon. Vous l’avez trouvez.
- Joue avec les mots, je vais jouer avec tes os. Parle clairement vieillard !
- Vous parlez comme une autre. Je donnerais tout, ce qu’il y a ici et en dehors, pour que l’autre soit devant moi, et vous en son cercueil. Vous, pourrie. Terre et insectes peignant votre corps. A elle, cette peau qui vous habille… »
Elle releva lentement la tête. Son expression… il l’a pris pour peur. Et pourtant la terreur se joint si bien à la ferveur.
« N’était-ce pas vous qui demandez clarté ? Que je parle honnêtement ? Sans jeu ?
- Oui mais parle, arrête de dire des mots !
- Quêteuse, vous venez en ma maison, reniflant l’odeur de mes livres, flairant votre Dieu sur mes pages.
- Je flaire pas, je les vois.
- Mais ce sont d’autres dieux qu’on vous a envoyé quêter. Seize livres pour seize dieux.
- …
- C’est là une quête que d’autres vous ont donné. Mais vous désirez le chemin, pas la quête. Et elle est votre douleur. Vous voulez. Vous voulez comme aucun autre n’a voulu. Vous voulez ce qui vous tuera si vous l’obteniez. Quêteuse, vous venez d’un monde qui est un cheminement entre seize dieux et vous avez vécu en cherchant leur regard. Vous n’êtes plus en ce monde mais dans le mien. Ici, j’ai ma quête, ma douleur, mon chemin. Je suis Dieu ici. Et je connais vos questions. Celle que vous allez poser, et celle que vous voudriez poser. Et j’ai les réponses que vous voulez. Et celle que vous aurez.
- Je comprends pas.
- Que voulez-vous ?
- Tout. Toutes les questions. Et un monde à traverser pour les réponses.
- Et que cherchez-vous ?
- Un livre. Le dernier.
- Vous savez la-
- Je sais. Les deux me tueront.
- Non, le livre sera la fin. Mais le tout sera la fin du voyage. Et nous, quêteur, nous savons où se trouve la mort, où se trouve la nôtre.
- … Oui… »
L’homme, souriant, tendit la main.
« Bienvenue dans la tour d’Amonantzias l’Argenté. Regarde. »
Aell sera le perdu, le teinté, qu’il voit mondes et Hommes.
De son bras droit, Amonantzias engloba la tour.
« Regarde. Tout ce que vous voyez ici, vous ne l’aurez pas.
- La bienvenue, c’est une insulte par chez toi ?
- La négociation qui va débuter nécessite deux accords, le second étant que vous vous accordiez à refuser vos désirs les plus souverains. Acceptez qu’à ce puits de connaissance vous n’aurez que des gouttes.
- Oui, oui, je sais. Une fin, pas la mort. Et le premier accord ?
- Vous ne demanderez pas à savoir ma quête ou l’identité de la personne à qui appartiens ce visage. J’ai trop parlé tout à l’heure et nous n’en parlerons plus.
- Tu parlais dans le gargouillis que t’éjectais de tout à l’heure ?
- Trop.
- Ouais, mais c’était… Bah, c’était pas clair. ‘Fin qu’est-ce tu veux que je dise, tu débite des mots comme s’ils appartenaient à l’air. Tu parles souvent comme ça ? Il faut un sacré génie pour parler autant et rien dire. »
Il riait, il riait maintenant. Il riait le dos tourné à elle, se cachant pour… Elle entendit dans le rire…
« Je m’excuse. C’est un jeu d-
- Tu disais pas jouer, tu disais parler honnêtement.
- Je n’avais… Je n’ai pas eu le temps de jouer avec… avec l’autre. Mais quand on pouvait… Je me mettais à débiter des âneries, parlant d’idioties avec le plus de sérieux que je pouvais. Et elle me regardait. Elle me regardait avec des yeux… avec des Lunes. Elle devait se demander ‘’mais quelle père est-ce que j’ai ?’’ Et je continuais. Et je ne m’arrêtais pas, jamais. Et au bout d’un moment, elle jetait ses petits bras au ciel et disais ‘’mais pourquoi tu parles autant sans rien dire ?’’ Mais jamais elle ne remarquait. Il y avait toujours des vérités dans mes mots, simplement, elles n’étaient pas pour elle. Pas encore. Elles ne lui disaient rien. »
Amonantzias, assis sur son trône, la regardais, rêvant peut-être d’un autrefois. Rêve, dit-on, mais de quoi rêve l’Argenté sinon de cauchemars ?
« Mais pour vous, pour vous mes mots ont un sens. Pour vous… Pour elle… »
Sa main caressait sa forme dans l’air, et l’air ne devenait pas solide.
« Laissez moi être humain un instant. Laissez-moi prier à cet autel, un instant. Un seul instant. »
Ces livres, voilà l’autel où elle voulait prier. Des yeux, les effleurer des yeux un instant. Moins, s’il fallait.
Et les rêveurs se prennent à rêver leur cauchemars. Le souffle d’un temps, ils étaient nus, les souvenirs traçants des chemins dans la peau. Et toujours, les rêves avaient fait route solitaire. Dans un cauchemar qui s’écrivait rouge, on avait un compagnon pendant un instant.
Refugie-toi dans les Lunes, Douma, fuit les afflictions,
« Tu veux quoi ?
- Le cœur en vous.
- Celui qui bat ?
- Non.
- Rien à arracher alors.
- Il y aura de la souffrance.
- C’est tout ?
- Pour l’instant.
- Alors je veux le livre.
- …
- Tu l’as ?
- Je l’ai.
- Et je l’aurais ?
- …
- Je l’aurais ?
- Les autres livres, les avez-vous lus à voix hautes ? Particulièrement les vers ?
- Il y a une autre façon de lire ?
- Le livre vous sera donné quand vous aurez parlée.
- Parlée ?
- A elle, à cette mâchoire qui sera sienne. Le livre contre votre parole.
- Et mon cœur contre rien ? Je veux autre chose.
- Vous l’aurez.
- Ta quête.
- Elle m’appartient. Vous ne l’aurez pas. »
La quêteuse tira un couteau. Elle le plaça en travers de son visage et appuya doucement.
« Sur ta porte, j’ai vu une fille et son père. Elle à mon visage. J’ai le droit de savoir ce que tu cherches. Elle à mon visage. Et tu as peur de le perdre. »
C’était son oreille droite qui tinta d’abord. Des claquements de métal entrecoupé par un bourdonnement à gauche. Non, pas à gauche, simplement dans l’oreille. Un bourdonnement de- Comment ? C’étaient des craquements ? Pas du bois. Pas du bois. J’entends quelque chose se déchirer… Une peau qui m’habille. J’entends… J’en- Ce n’est pas moi qui entend. Qui es-tu ? Je ne suis pas ce je !? Je te lis. Ce n’est pas moi dans ce livre. Ce n’est pas moi qui entends. Qui entend… D’où vient le craquement ? Pas du bois. Derrière la porte. Ça crépite. C’est l’air qui craque. Je le lis qui casse. Je le lis… Je casse. Non, ce n’est pas moi qui casse ! Je ne suis pas je ! Je ne casse pas. Je le lis ! Je l- l’entend. Quelque chose craque. En moi. Quelque chose casse.
Et lentement ta main s’ouvre. Et doucement tombe…
L’air casse. Amonantzias se tient devant elle, le couteau au sol.
« Vous aurez ma quête. Et vous ne toucherez pas à son visage. »
J’espère te revoir, moi et Favant à jamais resteront.
Marchant vers la table où était déposée la mâchoire, il parla.
« Seize cœurs. Pour en faire un. Pour la refaire, elle. »
Il posa la langue dans la cavité, attacha cinq tuyaux aux veines et, portant délicatement cette bouche dans le creux de sa main, la tendit à la quêteuse.
« Parlez. Dites-lui… Dites-lui quelque chose qui ne soit pas rien. Ça la changera du vieillard. »
Tremblante, le doigt secouant l’air, elle tentait d’attraper… Quoique, si elle n’attrapait pas, comment pourrait-elle tenir la précieuse chair ? Imaginez que tombe l’appendice, imaginez le craquem-
« Il n’y aura plus de tremblement. Vous avez ma quête, maintenant parlez. »
La quêteuse prit la mâchoire sans trembler. Quelques jours passèrent.
« Pourquoi avoir fait la langue en bronze ?
- Un alliage. C’est humain. Elle sera humaine.
- Humaine. Et à une humaine… Comment parlez à une humaine ?
- Je ne sais pas. Si Vous aviez eu une famille, une mère, un père, ou une sœur, qu’est-ce que vous auriez dit ? »
La quêteuse se mit à parler.
« Petite sœur. J’aurais aimé avoir une petite sœur alors aujourd’hui, c’est ce que tu vas être. Un père aussi, ça aurais été bien. En fait, toute une famille dans l’Œil du ciel. Une famille d’où je sortirais ? Ça ressemblerait à une catastrophe. Mais toi et moi, on aurait pu regarder la catastrophe du haut de la montagne, posé sur le ruisseau. Et quand papa viendrait nous chercher, en criant d’arrêter de rire, on aurait dévalé à gauche, là où le vent est froid, là où le saule pleure. Sous le saule, le jour il part pas. Il dance avec le soleil. On aurait dansé avec. Au loin, on entendrait papa chercher ses filles perdues, et nous on regarderait le jour se reposer avec nous. Et j’aurais pas quitté l’Œil en laissant juste un peu de terre vide. Il y aurait eu des pleurs. Mais j’aime bien les pleurs. C’est l’amour qui se montre. Mais je suis de retour, petite sœur ! Il faut plus pleurer, je suis de retour. Et j’ai tout un voyage à te raconter. »
Amonantzias posa une fiole sur le bord de son trône. Elle avait l’allure d’un cœur et se remplissait lentement.
« J’ai pris des siècles. Je suis désolé du retard, mais le monde était grand. Et il y avait pas grand monde à qui parler, fallait que je trouve les livres seule. Le premier… Tu t’en souviens, papa disais que j’étais née entre les pages, qu’un mauvais jour on m’a entendu crier et que, boom, je suis tombée de la reliure. Maman disait que j’étais mal écrite, pour ça que j’étais insoumise. Je viens d’une écriture qui veut pas plaire, seulement dire des trucs, même si c’est mal dit. Et j’aime pas parler. Je l’ai pas fait assez. Même à Zaev, je parlais pas aux morts. Au début, je pensais que c’était des montagnes. Et quand j’ai compris que c’était des tombes, je me suis dis qu’il fallait que je trouve la pelle qui avait fait ça. J’aurais pu déterrer des océans avec. J’ai trouvé la pelle. J’ai déterré une flaque. Faut dire, elle était petite. Toi aussi t’aurais été déçu, petite sœur, à voir les montagnes puis les flaques dans ma pelle. Et le livre ? C’est moi qui l’ai écrit- Oh fait pas cette tête, crois-moi, je me crois pas non-plus. Quand je creusais, il y avait des mots qui se formaient. C’est comme s’ils avaient passé leur temps à pioncer dans la terre, et là, ma pelle réveillais. Si ça se trouve, c’était les morts qui parlaient. Mais moi je leur ai rien dit. Je déracinais juste leurs mots. Et quand le livre était finit, j’ai lu le vers à la fin et je suis parti chercher le prochain. C’était toujours comme ça. J’allais chercher comme un chien. Et à chaque fois, j’écrivais leur putain de livre ! Dans un feu, dans les étoiles, dans ma peau, dans les minutes de la veille, dans les foutu cheveu d’une coccinelle bleue ! Ces chiens ils m’ont fait écrire des- C’était pas mes mots, c’était pas moi ! Et c’était qui, petite sœur ? C’était qui ? J’étais qui ?! Cette bande d’enflure de fils de parasite à vivre dans mon crâne ! Vous êtes juste des passagers dans ma vie. La mienne ! Je vous brulerez dans mon sang. Un soleil rouge, tout ce que vous verrez en crevant. Je suis pas vous ! Je suis moi. Et vous êtes moi ! Et moi ! Et moi ! Et moi. Qu’est-ce que je suis, moi ? Eux, c’étaient des dieux. Dieux de quoi, je sais pas. Et ils ont fuis, pas comme des dieux, comme des hommes, en pleurant. Je sais pas de quoi, je sais pas d’où. Je sais pas ce que c’est que ce monde mais il existait pas avant eux. Triste, mais j’existais pas avant eux. A les lire, c’est pas le seul monde. Il y pas de limite aux réalités, pas de limite au tout. Bande de chiens. Seize livres. J’aurais pu avoir tout. Et je veux. Je veux comme aucun autre n’a voulu. Donnez-moi juste toutes les questions, et des monde à traversez pour les réponses. Je suis désolé petite sœur, mais je vais devoir vous quitter de nouveau, toi et toute la famille. Je quitte l’Œil, j’ai un dernier livre à lire. Tiens, dis-toi qu’il y a plusieurs façons de lire. Non, je les connais pas. Peut-être avec les pieds ? C’est comme ça qu’ils ont été écrits. Ouais, comme tu dis, comme moi. Au moins, j’aurai pas atteint la fin du voyage… Ce sera juste fini. Pas morte au moins. Attend sous le saule, là où le vent est froid, je viendrais danser plus tard avec toi et le jour. Et dis à papa que le ruisseau, c’est pas des larmes, alors arrêter de me dire que vous pleurer juste pour irriguer les champs. Tiens, des champs, j’aurais bien aimé en avoir aussi. Et quelques petites vaches. En fait, toute une ferme. Gentilles les vaches… J’en aie vue qui mangeaient des dieux… »
Adieu, Jarr, les soleils furent court et les instants éternels.
La langue se mit à bouger. Flexible, se courbant en tout sens, cabrant son dos pour mieux s’étirer, traversé de spasme et de convulsions en de multiples endroits de son métal, l machine imitait parfaitement, au point que l’on pouvait voir en ses mouvements l’étrangeté du véritable organe. Les multiples esprits qui se battent dans la langue organique donnent l’aspect d’une agitation constante, comme si l’instrument du social n’était pas dirigé par un roi mais par toute une assemblée. Le métal névrosé devant la créature semblait répondre aux mêmes maitres.
« Carilia »
La quêteuse sursauta à l’appel. Elle n’eu pas le temps de se retourner vers l’homme que déjà une patte métallique lui arracha la mâchoire des mains. Probablement que Carilia n’entendit pas l’hurlement.
« … »
Quoique nous non plus.
« … »
Et son ouïe la trahissait. Mais Amonantzias est fidèle aux paroles qu’il prend. Il posa sa main sur l’épaule tremblante.
« Quêteuse. Le dernier livre. »
Il tendit un papier plié, pas plus de dix mots aurait pu s’y tenir.
« Il n’y a que le dernier vers, le reste est sans importance. »
'’Ma voix, ma voix’’, elle voulait crier, ‘’où est ma voix ?’’ Et ses yeux parlaient. Ils disaient qu’elle avait encore des choses à dire.
« Les vers. Vous en avez lu quinze à voix hautes. Vous ne devez pas lire le seizième. Prenez-le. Allez là où le vent est froid, et sous un saule qui pleure lisez-le. Et Enfermez-le dans votre cœur, faites une cage de votre bouche, ne cherchez pas à la dire. Que les Bolréamons dorment. Vos mots ne sont plus à eux. Le voyage ne s’arrête pas ici. »
La quêteuse embrassa ses mains en les recouvrant de larmes.
« Ton voyage ne s’arrête pas ici. »
Elle l’étreignait de tout son corps. Le père aurait dit qu’elle irriguait les champs.
« Son visage. »
Le champs était sec depuis trop longtemps.
« Aucune mort ne le touchera. »
La quêteuse prit le papier et quitta la salle sans se retourner. Plus une goutte ne tomba sur le parterre de bronze.
Amonantzias souriait. Puis il vit dans ce même sol une ombre se faufiler jusqu’à l’entrée.
« Ne me fais pas ça. Attend ! »
Les battants se fermèrent lentement. La tour se mit à pleurer pour son roi.
Je rejoins la Fin, je ne prendrais que vos larmes et mon nom.
La quêteuse descendit les escaliers rapidement, sans voir les larmes qui coulaient sur les murs. Au parterre, l’arbre gémissait encore. Carilia était trop occupé à enterrer la mâchoire entre les racines pour remarquer la quêteuse se dirigeant vers la grille.
Elle s’arrêta devant celle-ci et contempla le papier. C’était terminer. Les dieux était mort dans sa tête. Elle irait à l’Œil, elle y creuserait des champs et elle l’abreuverait d’un siècle de solitude. En partant, elle laisserait juste un peu de terre verte. Agrippant la page, elle passa le portail.
Au moment où sa main toucha la grille, le papier lui fut arraché et elle se trouva propulsée de l’autre coté. La tour avait disparu mais non pas la voix des barreaux qui répétait encore et encore une phrase, un ver :
« Lis, que s'écarte le Rideau et marchent les Bolréamons. »
Ainsi vit le Rat en passant.
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