Extrait 3
Golan devait se rendre ce jour au musée et ne s’y rendit pas ; il n’avait pas pris la peine de prévenir Louis, qui s’y trouvait sans doute déjà ; le personnage déprogrammait de plus en plus de sorties sans avertissement préalable, moins par impolitesse que par désespoir : les excuses étaient toujours les mêmes et les soupirs de l’interlocuteur [...]. La fréquence de ces défections était douloureuse, la fréquence du sentiment qui accompagnait la défection – culpabilité, colère et impuissance mêlées – était douloureuse. Le plus pénible était que le personnage commençait à se désinviter, non plus seulement parce qu’il souffrait, mais parce qu’il redoutait la survenue d’une crise, et l’exfiltration penaude qu’il faudrait lors envisager ; les couches d’anticipation s’accumulaient à tel point qu’il achevait de se cloîtrer en dépit de l’absence de symptômes, puisque la seule absence était suspecte ! Constatez ainsi l’état qui était celui du personnage, qui n’éprouvait encore aucun malaise d’ordre physique mais se tétanisait à sa simple idée, et qui composait avec un dégoût grandissant des autres et [...] de leurs griefs ; quelle formule grossière, n’est-ce pas, que le « dégoût des autres », le choix de dire « des autres » ; comment néanmoins qualifier plus précisément quiconque était de l’autre côté du schisme, la rupture dans le sol entre le personnage, ses stimuli, et à l’opposé les beaux monuments, l’absence de stimuli, l’absence d’organe ; il y avait une incompatibilité, et j’insiste une séparation : probablement si Golan se reproduisait prouverait-on que les espèces étaient arrivées à un point de divergence. Mais je prends fait et cause et bientôt je vous agacerai, cessons, cessons, tant pis pour le schisme, précisons simplement que le personnage peinait cette fois-ci à se concentrer ; il étudiait Machen plusieurs heures par jour et le cours de ses pensées s’en trouvait altéré, pour son malheur. À compter de cette date le personnage se mit en quête d’une activité de secours, quelque chose de nouveau et qui fût en mesure de s’intercaler entre les instants de douleur et de besogne ; faute de piste séduisante, il persista dans la lecture – il avait lâché un temps les biographies pour relire l’opus. Golan était animé par une hâte qui jouait en sa défaveur ; la moindre des données acquises dans la documentation d’Ella le poussait à revenir à l’opus, il fallait, à l’aune de ces données, trouver une piste, du concret parmi la théorie et les élucubrations du gallois, un objet, un lieu, une créature à chercher, une mince lueur, un rien qui donnerait un peu de vif à sa quête, un second souffle, puisqu’il fallait bien l’avouer, le personnage avait conscience du temps qu’il consacrait à l’opus, à son auteur, et la crainte croissait de s’être fourvoyé ; la crainte croissait non pas de s’être intéressé en vain à Arthur Machen, mais d’avoir jeté ses forces frêles dans une énième course à l’éther. Comment mieux décrire le personnage qu’en le présentant comblé d’accablement, lors que l’enthousiasme le guidait deux heures plus tôt, le scepticisme la veille et l’espoir extatique le même jour ?
Annotations
Versions