Comment tout a basculé
Évidemment que je ne suis pas mort, sans quoi je ne serais pas là, à raconter ma vie à un groupe de lycéens qui n’en ont sincèrement rien à faire de ce qui peut m’arriver, sauf si mes mésaventures les divertissent. Tssssk. La jeunesse moderne n’a aucun respect.
Quoi qu’il en soit, j’ai survécu. Heureusement, parce que d’autres gens veulent me tuer, et ils seraient déçus si j’avais disparu, non ? Ils perdraient le sens de leur vie. Je plaisante, détendez-vous, les gosses.
Où en étais-je… Ah oui, Cynthia, le poignard, et cette putain de douleur qui me torture les entrailles, puis le trou noir. Tout est clair jusqu’ici ?
… La petite demoiselle a une question. Je t’écoute... Qui est Cynthia pour moi ? Oula, c’est une grande question, ma grande. Tu veux vraiment savoir ? Écoute toute l’histoire.
Je m’éveillais donc, nauséeux, allongé sur un lit de camp. J’ai cligné des yeux pour m’acclimater au flot de lumière crue qui pénétrait dans la pièce par une grande fenêtre ouverte. J’ai grimacé et essayé de me redresser, mais j’ai vite renoncé quand la douleur de mon abdomen s’est réveillée, pulsant désagréablement jusque dans mes pieds et me donnant le tournis… Oui, pire qu’une gueule de bois, mec.
— Ne bouge pas, idiot.
J’aurais reconnu la voix entre mille. Elle s’était gravée au fer blanc dans ma mémoire. J’ai frissonné, un mélange d’excitation et de peur, et croisé le regard méprisant de Cynthia, qui a fait deux pas vers mon lit et m’a toisé avec suffisance.
— Tu n’es pas mort, a-t-elle constaté sur un ton mi-sérieux, mi-déçu.
— Euh… C’est pas faute d’avoir essayé.
Elle m’a impitoyablement foudroyé du regard avant de se pencher légèrement pour m’examiner de plus près. J’ai reculé avec difficulté jusqu’à heurter de mes épaules le mur derrière moi… Elle est badass, tu dis ? Ça, c’est le moins qu’on puisse dire. Je dirais même plus dangereuse qu’une armée de monstres.
— Tu es pathétique, sang-mêlé.
J’ai bredouillé quelque chose d’incompréhensible. Et non, ça ne m’arrive pas souvent ! Son regard implacable perturbait au plus haut point le moi de 14 ans, déjà mal à l’aise en présence d’une fille lambda… alors une guerrière qui m’avait presque tué, imaginez. Et puis, sang-mêlé ? Pourquoi ça sonnait comme une insulte dans sa bouche ?
Elle a croisé les bras et s’est éloignée.
— Qu’est-ce que tu fiches à Miami ?
Je l’ai regardée comme si elle venait de se muer en baleine — croyez-moi, ce genre de chose arrive.
— Qu’est-ce que je fais là ? Mais… je vis ici, madame ! Je… euh… j’habite ici…
— Je sais.
C’était plus convaincant dans ma tête. Elle a ricané ironiquement avant de faire volte-face et de s’arrêter à quelques centimètres de mon visage.
— Tu veux me faire croire que ton parent humain s’est volontairement installé ici ?
J’ai difficilement avalé ma salive, essayant de lui échapper. J’ai remarqué la lame qu’elle portait à la taille et mon corps a réagi trop vite pour que j’aie le temps de réfléchir à mon acte. J’ai saisi l’arme d’une main, tiré le bras de la fille de l’autre, et je l’ai plaquée au lit avec la lame contre la gorge. Oui, stylé. Sauf que je n’avais jamais appris à faire ça.
Cynthia a émis un petit cri étonné, et j’ai senti qu’elle allait réagir, mais je ne lui en ai pas laissé le temps. La réalisation de ce que je venais de faire m’a frappé comme une flèche en pleine cible. J’ai laissé tomber le poignard et me suis enfui en courant par la porte-fenêtre, dans l’air matinal. Lâche ? Non, j’étais juste un ado effrayé.
Cynthia s’est lancée à ma poursuite. Malheureusement pour moi, je n’étais pas en grande forme, si vous voyez ce que je veux dire. J’ai rapidement perdu de la vitesse et me suis effondré en pleurs sur le sol, complètement paniqué. Je suis resté comme ça, sur les genoux, à regarder mes mains en sanglotant, jusqu’à ce que des filles m’entourent.
Cynthia les a écartées avec autorité, tandis que je me pelotonnais en boule, les bras autour des genoux.
— Léa, un brancard. Marthe, va chercher Sam. Les autres, retournez à vos tâches.
Elle s’est agenouillée près de moi, et sa voix s’est adoucie.
— Hé, gamin. Personne ne va te faire de mal.
— Je ne te crois pas !
Elle a soupiré et s’est assise en tailleur.
— Tu vas me regarder, oui ?
Je me suis redressé lentement. Elle m’a regardé faire en silence.
— Bien.
Elle a fait une pause avant de repdrendre.
- Je t’ai blessé. Je suis désolée. Je t’ai pris pour quelqu’un d’autre. Tu étais au mauvais endroit, au mauvais moment. Avec l’aide de notre guérisseuse, tu seras vite sur pieds. Ensuite, on te trouvera un endroit où tu seras en sécurité.
J’ai hésité à l’interroger. Je me suis nerveusement mangé la lèvre pendant quelques secondes avant de me jeter à l’eau.
— Mes parents doivent s’inquiéter…
Cynthia a froncé les sourcils. Elle m’a jaugé du regard, semblant tester la vérité de mes dires. J’ai hoché la tête affirmativement. Elle a soufflé.
— Tu as des parents ?
Ce fut mon tour de m’étonner d’une question aussi stupide.
— Comme tout le monde, oui.
— Tu n’es pas comme tout le monde, gamin, a-t-elle ricané amèrement.
C’est à cet instant que j’ai compris : ma vie ne serait jamais plus la même.
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