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Ophélie m'avait appelé plusieurs fois, pour me donner des nouvelles. William avait été transféré à Berck. Jamais elle ne le questionna sur l'accident, sur notre relation. Elle adorait son grand frère et son accident l'avait brisée. Je la laissais vider son chagrin, incapable du moindre mot de réconfort. Ma colère contre William était intacte. Colère n'était pas le bon mot. Un ressentiment, un gâchis dont je le rendais responsable.
Elle terminait toujours par un mot doux pour moi, paraissant accepter mon indifférence apparente. Je raccrochais, apaisé, désirant la réentendre bientôt, ne l'appelant jamais.
Ma décision avait donc levé ce voile. J’appelais Ophélie pour savoir comment allait voir William. Avec sa famille, me répondit-elle, ils montaient chaque weekend. Le prochain, c'était son tour. Elle semblait plus ravie que je l'accompagne que du fait, qu'enfin, j’aille voir son frère.
Notre voyage fut pour moi assez déroutant, car elle ne pouvait dissimuler son plaisir de partager ce voyage. J'aurais aimé me préparer à cette visite. Il s'était écoulé plus de six mois. Avec William, nous nous étions quittés sur une dispute violente. J'avais été désespéré pour lui, prêt à accepter ses coups mortels pour le soulager. J'allais retrouver mon compagnon chéri amoindri, incapable de vivre seul, de bouger.
Je tentai de questionner Ophélie. Elle esquivait, préférant me parler d'elle, de sa vie, de leur famille. J'en appris plus en deux heures avec elle qu'en dix ans avec William. Quel inconnu il était resté pour moi ! Je le prenais au jour le jour, sans passé, sans discerner si un lendemain apparaîtrait. Pourtant, il avait tant fait pour moi. Et moi si peu pour lui.
J'avais besoin de parler de cela. Elle-même, si adorable, je ne l'avais découverte que l'année précédente ! Que de choses à comprendre !
Les derniers pas jusqu'à l'hôpital furent un calvaire. Revoir William, revoir mon ange dans un lit d'hôpital… Ophélie avançait, habituée et inconsciente de mon état. Devant la porte, je la retins.
— Il sait que je viens ?
— Bien sûr que non ! On ne peut pas le joindre !
— Il t'a parlé de moi ?
— Jamais ! Il ne parle presque pas.
— Je… je préfère que tu ailles seule, pour le prévenir, savoir s'il accepte ma visite.
— Comme tu veux.
Deux secondes après, elle ressortit.
— Il dort. Viens, on va aller se promener sur la plage en attendant.
Je pus enfin lui dire mon angoisse de ces retrouvailles. Je lui racontai, sans préciser le contexte, cette réunion d'amis, la colère de William, sa tentative de me poignarder, la bagarre, la chute. Elle ignorait tout cela. Elle me saisit le bras, posa sa tête sur mon épaule.
— Nic, je suis désolée.
— De quoi ? Ce n'est pas ton histoire ! Tu sais, entre William et moi, cela a été intense, très beau et très destructeur. Je n'ai pas tout compris… Je veux te dire : le dernier regard qu'il m'a lancé, avant de tomber, était un regard meurtrier. J'ai peur de le retrouver.
— C'est pour ça que tu n'es pas encore venu, alors ?
— Oui, je n'étais pas prêt. Je ne le suis toujours pas !
— Mais tu es venu le voir…
— Je l'aime tant. Je l'ai tant aimé. Il a tout fait pour moi. Je ne veux pas mourir avec ce regard dans ma mémoire.
— Tu ne vas pas mourir si vite ! Rentrons ! Je vais vous aider. Nic, tu sais, je crois que je t'aime autant que William !
Sur le coup, je n'avais pas compris, l'esprit occupé par l'entrevue avec William. C'est plus tard que l'ambiguïté m'apparut : « Je t'aime autant que j'aime William » ou « Je t'aime autant que William t'aime… ou t'aimais… » ?
Nous sommes remontés. J'ai attendu dans le couloir, longtemps, très longtemps. Elle est venue me chercher, le visage fermé. Il était seul dans la chambre. Je regardais cette forme étendue, ne le reconnaissant pas. Ses cheveux étaient coupés court et avaient foncé. Son visage avait maigri. Son corps sans doute aussi, dissimulé sous un drap. Il avait les yeux fermés, mais il ne dormait pas, car on sentait une tension dans ses traits. Je m’approchai. Que faire ? Que dire ? Ophélie se tenait un peu en retrait. Un long moment passa. Ou du moins, j’eus l'impression d'une éternité. Un frémissement de la bouche. Je m'approche pour entendre. Ses yeux s'ouvrent, se mettent au point, reconnaissent mon visage. Les poignards sont toujours là. Ils pénètrent mon cœur. Des larmes jaillissent de mes yeux.
— William, jamais… William, je…
Une main me tire doucement vers l'arrière. Je recule et sors en titubant. Je m’adosse au mur.
— Ça va, Monsieur ?
Une infirmière est près de moi.
— Oui, oui, merci.
— C'est dur de les voir ainsi. Surtout la première fois. Venez vous asseoir dans le petit salon.
Je la suis, l'esprit vide, meurtri. J'ai perdu la moitié de moi.
Ophélie me rejoint.
— Je vais quand même rester un peu avec lui. Ce sont les seules visites qu’il a. Va m'attendre sur la plage, ou au café en haut. On se retrouve dans une heure.
Elle fait une pause.
— Nic…
Elle me pose un baiser sur la joue. Pas une bise, mais bien un baiser, comme ceux que je recevais de son frère.
Assis sur un muret, pendant une heure, j’essaie de penser à ce que j'ai vécu avec William, cherchant où et comment j'ai pu le blesser au point qu'il veuille ma mort. Je dois occulter la vraie raison, car je ne comprends pas.
Ophélie me rejoint. Durant tout le trajet, je dors sur son épaule, épuisé par ces quelques secondes de confrontation. Sur le quai d'arrivée, elle me prend la tête et cette fois, c'est sur mes lèvres qu'elle dépose un baiser.
— Nicolas, je suis tellement désolée ! Cela doit être dur pour toi. Je comprends ton absence. Tu sais, je te trouvais odieux de ne pas être venu le voir. Ne reviens pas. C’est inutile.
— Peut-être qu'à la longue…
— Non. Tu vas te faire du mal ! Je vais essayer de parler avec lui.
Un silence.
— Nic, tu restes en contact avec moi. Tu m'appelles ! Je ne veux pas te laisser tomber. Ce n'est pas juste.
Elle me repose un baiser sur la bouche, me fait un timide sourire et me tourne le dos. Pauvre Ophélie qui essaie de réparer la folie de son frère.
Je rentre. Mon cœur s’éclaircit quand je me rapproche, car mon soleil va briller.
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