Cleo

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Cléo s'en souvenait pourtant comme si c'était hier. Une journée comme les précédentes, enfermée dans le réduit humide qui leur servait de maison elle attendait que son père rentre. Cela faisait trois mois qu'ils avaient été amenés ici, dans ce village étrange qui sentait terriblement mauvais. Arrachés à leur confortable vie passée par quatre brutes qui leur étaient tombés dessus au petit déjeuner, les avaient convoyés pendant deux jours dans un tacot crachotant, et les avaient jetés ici. Depuis, son père n'avait pas eu un jour de répit, emmené de force chaque matin, il rentrait par ses propres moyens à la nuit tombée.

Ils avaient à peine le temps de se parler mais elle avait compris qu'on l'obligeait à soigner des ouvriers qui se tuaient, presque littéralement, à la tâche. Pourquoi étaient-ils venus le chercher, lui, parmi tous les chirurgiens de Venda ? Il n'y avait sans doute aucune réponse à espérer. Pourquoi l'avaient-ils emmenés elle, en même temps que son père ? A dix-sept ans elle n'était pas stupide et comprenait qu'elle était l'otage qui le contraignait à obéir.

Ce jour là il y avait eu un grand bruit dans le ciel. A en juger les clameurs autour de la bicoque, ça avait eu l'air d'inquiéter les villageois. Cléo, elle, savait reconnaitre un moteur de navette, comme elle en avait entendu des milliers. Le bruit s'était de nouveau fait entendre après quelques minutes et cette fois la panique était bien réelle au village. A travers les vitres crasseuses d'une lucarne minuscule, la jeune fille voyait des gens courir dans la rue, même le planton devant la porte était parti. L'instinct de survie lui commanda de s'éloigner de la fenêtre et de se faire oublier dans sa piaule crasseuse.

Son père ne rentra pas ce soir là, et lorsque quelqu'un ouvrit la porte le lendemain matin Cléo reconnut la femme qui le raccompagnait quelque fois lors de ses retours tardifs. Elle soignait les blessés avec lui et s'appelait Erin.

Erin ne prit pas de détour pour lui annoncer qu'une fusillade avait eu lieu et que son père était mort. Cléo n'était plus en sécurité ici et l'autre l'invita à la suivre.

La jeune fille s'installa à la clinique. Elle fit son deuil en se consacrant aux soins. Les patients allaient et venaient, pour la plupart des travailleurs du village, aussi moches, puants et repoussants aux yeux de Cléo que les blessures pour lesquelles ils venaient se faire soigner.

A l'exception d'un type, un étranger. Cléo avait vaguement compris que c'était son arrivée en navette qui avait provoqué la fusillade au cours de laquelle son père avait été tué. Le gars avait reçu un choc à la tête et passait la plupart du temps endormi. La clinique n'était pas équipée pour traiter efficacement son cas et il fallait le surveiller en permanence. Cléo était volontaire parce que c'était moins pénible que de subir les morteurs dans les autres chambres. Et, pour une raison qui lui échappait, Erin semblait entretenir une certaine rancoeur envers son nouveau patient tombé du ciel, au chevet duquel elle ne voulait pas perdre de temps.

L'accord entre les deux femmes fut tacite. Cléo pouvait rester à la clinique si elle veillait sur le type. Elle s'occupait uniquement de lui et n'aurait pas à se confronter aux autres patients.

Après quelques semaines l'état d'Alan s'était stabilisé et ses périodes de conscience allongées. Cléo avait pu faire sa connaissance mieux que quiconque. Elle était là, seule avec lui, quand il avait constaté que son bras gauche ne bougeait plus, et que ses jambes lui répondaient aléatoirement. Les instruments archaïques de la clinique n'avaient pu le détecter avant.

Elle était là quand dans des accès de frustration il se forçait à marcher quelques pas avant de tomber sans pouvoir se retenir. C'est elle qui l'avait trouvé après une chute, tentant de se remettre debout malgré une cheville brisée qu'il sentait à peine. Ce qu'il était parvenu à faire ce soir là par la seule force de sa volonté avait effrayé la garde-malade.

C'est à Cléo enfin, qu'il avait confié certains services quand il avait cherché à renouer le contact avec ceux qui l'avaient laissé là. Elle n'avait pas demandé d'explications, il n'en avait pas donné.

Et puis, quand son état fut définitivement stabilisé, c'est elle qui intercéda pour qu'il reste à la clinique. Erin savait qu'il n'était pas possible qu'il quitte Teccis, et elle ne donnait pas cher de lui s'il tentait de s'installer au village. Il allait forcément vivre à la clinique mais la médecin profita de la demande pour poser de nouvelles conditions : Cléo acceptait de soigner les morteurs, et Alan ... rendrait les services qu'il pourrait dans la mesure de ses nouvelles aptitudes.

Cléo et Alan nouèrent un lien différent. L'intimité qui était née entre eux par leur relation de soignant à soigné ne pouvait disparaitre instantanément et se mua en attirance. Ils se laissèrent porter. C'était plus facile à deux, deux étrangers en territoire étrange.

Au fond, Cléo était avec Alan parce qu'il était le seul homme dont elle n'avait pas peur. Et, bien qu'ils n'en aient jamais parlé, elle sentait que c'était la raison réciproque de leur relation.

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