Entretien

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- C'est une plate-forme, sur le marais. Il y a une radio pour appeler le Syndicat.

- Parfait, on y va comment ?

- Ça dépend où il est cette nuit.

- ...

- Le Grand Trak, c'est une plate-forme mobile, ils peuvent le déplacer.

- Vous êtes plein de surprises ici, c'est divertissant, mais à un moment il va nous falloir des certitudes.

- Szpak, il doit savoir.

Un voile passa sur le visage d'Erin à l'évocation du morteur par Cléo. La solution était là, simple, elle pourrait être lourde à assumer.

- Je vais lui parler.

Pour la troisième fois de la soirée, le médecin rendit visite à son patient survivant de la chambre 4. Elle réalisa que lors de son précédent passage elle avait laissé accessibles sur la desserte les instruments avec lesquels elle avait recousu sa blessure. Il y avait même dans la trousse métallique un scalpel et des ciseaux qui n'avaient pas servi.

Entre les mains du morteur ça pouvait faire un carnage. Avant de s'approcher Erin fit mentalement l'inventaire de la trousse, sans parvenir à identifier si quelque chose manquait.

Après une approche prudente elle constata que Szpak s'était réellement assoupi. Erin s'assit sur le lit en face du sien, désormais inoccupé. Il était défait, la couverture rêche était repoussée au pied, dévoilant un drap d'un blanc douteux. Quand Kaer était de mauvais poil on évitait d'approcher de son pieu pour une raison aussi futile que changer les draps. Avant de prendre un tir en pleine tête il avait été de mauvais de poil pendant deux semaines.

Erin évaluait le meilleur moyen d'obtenir de Szpak l'information qu'elle cherchait. Elle n'imaginait pas réussir à le convaincre et ne pouvait se résoudre à le forcer.

Il y a longtemps, elle avait pris une décision dont elle n'avait pas su mesurer les conséquences à l'avance. Ça n'avait pas été une question de hasard, ni de chaos, encore moins de malchance, elle n'avait simplement pas envisagé ce qui pouvait se passer.

Cette absolue certitude que tout se déroulerait pour le mieux l'avait menée à qui elle était aujourd'hui. Elle avait eu des années pour ruminer son erreur, elle voulait rattraper le temps perdu.

Cette fois elle visualisait avec clarté ce qui était en jeu dans cette chambre. Entre elle et son patient, le pouvoir qu'elle avait sur lui et l'avantage qu'elle tirerait de ce qu'il pouvait lui révéler. Mais elle voyait aussi ce qui pouvait mal tourner, si elle sous-estimait les forces qui restaient au morteur ou la ferveur de son allégeance à cette ville.

Restait cette hésitation, allait-elle le faire ou pas ?

Prendre le temps de se poser la question c'était risquer d'y répondre par la négative. D'un geste rapide elle empoigna le scalpel et le planta dans le poignet convalescent de son patient. Tiré de sommeil de la pire des manières le morteur se redressa en hurlant. Erin l'empoigna sous le menton et le plaqua sur le lit.

- Szpak écoute moi c'est très important. Je veux savoir où est le Grand Trak. Où il était quand tu t'es fait choper par la bouniasse ?

- Gaupasse ! Sale gaupasse !

Le patient torturé frappa de sa main libre, mais amputée de trois doigts. Erin atténua le coup en rentrant la tête dans les épaules, et tourna le scalpel d'un quart de tour dans la plaie, pour dissuader le morteur de recommencer.

- Szpak, dis-moi où il est et c'est fini !

- Arrêtez Doc !

- Dis-le moi !

Erin entendit des pas rapides dans le couloir, lachant le scalpel elle s'arc-bouta sur le lit pour le pousser jusque devant la porte et bloquer l'ouverture. Dans un réflexe de défense Szpak se recroquevilla dos au mur sans prendre la peine de retirer le scalpel de son poignet. Quelques secondes plus tard, la poignée de la porte actionnée avec insistance lui laboura les côtes.

Une voix féminine étouffée demanda si tout allait bien. Le morteur tenta d'en profiter.

- Aide-moi bambine !

- Va-t-en Cleo !

- Aide-moi !

Avec des sentiments divergents la victime et sa tortionnaire entendirent des pas s'éloigner dans le couloir. Erin marqua un temps d'arrêt, fixant Szpak qui tremblait de douleur et de frustration, puis elle retira le scalpel.

- Je saurai où est le Trak, tu finiras par me le dire.

- Pourquoi vous me faites ça Doc ?

- J'en ai marre Szpak. Tu sais que je devrais pas être là, à te soigner, à soigner tout le monde. Il devrait y avoir besoin de soigner personne.

Le visage du morteur trahit un changement d'attitude, il venait de comprendre ce à quoi il avait à faire, quelle cause avait justifié qu'il subisse une séance de torture.

- Je vous suivrai pas.

- Je m'en fous, dis-moi où est le Trak, je me débrouillerai pour la suite.

Szpak secoua lentement la tête.

- C'est les copains au blèche ? Vous croyez qu'ils vont vous aider ? Le Mort' a frappé leur coucou, ils peuvent rien faire.

- J'ai pas le choix.

- Eux sont foutus, Marguson va les crever, mais vous pouvez en sortir autrement. Je lui parlerai, je lui dirai qu'ils m'ont fait ça.

Il leva son poignet, libéré du pal mais qui s'était remis à saigner abondamment.

- M'aide pas pour ça, dis moi juste ce que j'ai besoin.

- T'vas te faire du mal 'Rinette

- Je sais Szpak, ça va être mochard.

Szpak laissa retomber son bras et baissa les yeux. Sur son lit il se détendit et lâcha d'une voix éteinte :

- Il est dans la crique.

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