Phase 4 : Retour à la réalité
Tous applaudissent le nouvel arrivant, en seulement une session, il a repris du poil de la bête. Toutefois, Michel stoppe cet élan de bonne humeur par un simple toussement. Malgré une carrure chétive et un ensemble lunette-chemise-cravate aux airs de comptable, l’encadrant détient une aura naturelle forçant le respect et l’attention des participants. Ils s’assoient tous, attendant la prise de parole de ce dernier.
– Je me permets de couper votre fête qui, certes je le concède, possède un effet bénéfique pour chacun d’entre vous. C’est d’ailleurs l’étape « trois » du programme : positiver. Les phases « une » et « deux » sont la compréhension de sa condition et la tristesse liée à celle-ci. Je vous rappelle que le groupe du lundi après-midi a pour thème « je cesse d’envier les superhéros » et non pas « je veux en devenir un ». J’entends votre engouement et vous ai laissé faire lors de nos sessions. Cependant, aujourd’hui, je pense qu’il est nécessaire d’arrêter, car vous vous détournez du droit chemin. La phase « quatre », étant, je le répète, « Revenir à la réalité ». Étape essentielle avant celle finale « L’acceptation de soi ».
L’assemblée boit ses paroles, la peur au ventre, cette future annonce possède des allures de réprimande.
– Vous commencez à rentrer dans une illusion où vos pouvoirs vous transformeront en fabuleux héros. Je me dois de briser ce mythe maintenant avant que vous ne discerniez plus le vrai du faux. Ne vous méprenez point, je n’ai en aucun cas dit que vos capacités étaient inutiles. Si j’essaye de vous écarter de ce chemin, c’est en effet, car les facultés peuvent devenir incontrôlables et destructrices. Captain Fire a incendié sans le vouloir un hôpital, suite à la mort d’un proche. Une femme aux pouvoirs atomiques, ne maîtrisant plus rien, a fini par exploser une ville entière. Un homme-tigre, dont les instincts primaires sont revenus subitement à la surface, a ôté la vie de sa fille. Un homme, à la force colossale, a brisé le corps de sa femme, sans s’en rendre compte, en plein ébat…
Tous ces exemples, narrés avec une telle froideur, glacent le sang des membres de l’ADPI. Jeanne décide de prendre la parole.
– Mais comment pourrions-nous représenter une menace avec nos facultés ridicules ?
– Tout évolue dans notre monde, les pouvoirs aussi. Il y a quelques années, j'ai rencontré un adhérent de l’ADPI. Tout comme vous, il était frustré de son héritage : une voix sèche-cheveux. Envieux et haineux des plus grands, il développa pendant des années sa capacité et celle-ci devint surpuissante au point de créer de redoutables ultra-sons. Il perdit le contrôle de ses vibrations et détruisit une cité sous les tremblements d’un séisme, provoqué par son propre cri. Je vous laisse concevoir ce que vous pourriez réaliser si vous preniez la même route que lui.
D’une voix attristée, ils énoncent, chacun leur tour, une conséquence désastreuse s’ils se retrouvaient dans la situation de l’homme sèche-cheveux. Ils ont tant de fois utilisé leur imagination ensemble, mais point pour des scénarios aussi désolants.
– Faire apparaître une pluie torrentielle de tondeuses et de félins sur une population.
– Projeter un laser tueur grâce à mes yeux.
– Convertir le surimi en argent et devenir riche et mafieuse par avidité.
– Annoncer mécaniquement le futur des gens que je rencontre.
– Perturber un jour le flux temporel de notre univers.
– Me transformer en T-Rex sauvage.
– Perturber un jour le flux temporel de notre univers.
– Assassiner et dévorer instinctivement les hommes aux facultés insectoïdes.
– Lâcher un gaz toxique de mon oreille.
– Devenir insensible à tout, même sentimentalement.
– Créer un tsunami de crème hydratante, emportant tout sur son passage.
Pas un rire, pas un applaudissement, uniquement un silence suite au constat de cette situation réelle et tragique. Michel reprend son discours, impossible de les abandonner sur cette note négative.
– Après, ne vous morfondez pas. Les cas d’évolution drastique restent rares. Et notre monde possède des équipes d’interventions spécialisées, des médicaments et des technologies permettant le maintien des capacités non maîtrisées. Toutefois, je tiens à rappeler que plus de soixante pour cent de la population internationale a déjà perdu une fois le contrôle de son pouvoir, avec parfois des conséquences minimes ou désastreuses.
– Michel, vous voulez dire que même les superhéros connus peuvent avoir ce problème ? L’interpelle John.
– Oui, vous savez mes groupes du mardi, jeudi et samedi sont des hommes et femmes avec des capacités hors du commun : des muscles surpuissants, des manipulateurs d’éléments, des transformations physiques. Mais, chaque jour demeure une torture pour eux. Tétanisés par ce démon qui les possède. Ils sentent qu’à tout moment, il peut sortir prendre emprise de leur corps et blesser leurs proches. Rien de pire qu’imaginer devenir le futur responsable de la mort d’une ville entière, de ses amis ou de son épouse…
Michel laisse planer un silence parmi l’audience. Malheureusement, la dépression et la tristesse sont incrustées sur le visage de ses convives.
« Miaou ».
– Croaaaaa.
« Sproutch! »,
– Snif, snif.
– Prrrreuh.
– Snif, snif.
– Olalah, les gars, commence Bob. Ne pleurons pas, on se croirait à une séance du « roi lion »,
– Mufasa, il meurt, lance automatiquement Vivien.
– C’est vrai qu’être un héros ça craint de nos jours, déclare tristement Jeanne. Regardez, rien qu’hier « Commandant Hope » s’est fait dégommer par sa némésis « Killer Gentleman ». Je préfère autant passer mon tour, je pense. Même si c’est déprimant.
– Si je peux vous rassurer, aucune larme ne peut sortir de moi, les interpelle Enrico. Car moi, ce sontdes gouttes de crème hydratante…
Constatant la flaque de fluide gras à ses pieds, l’assemblée commence à émettre un petit rictus communicatif. Michel, soulagé, finit son discours.
– Pour terminer la séance, je souhaite juste vous dire une chose. Soyez heureux de ce que vous êtes. Vous êtes l’élite, ressemblant énormément aux humains que nous étions autrefois. S’il vous plait, essayez de voir ça comme une chance et non un fardeau. J’ai bien conscience que nous demeurons encore à l’étape « trois » et je vous prie de m’excuser si nous avons évolué trop vite lors de cette session. Et surtout, pardonnez-moi Enrico, cette première a dû être un peu chaotique pour vous.
– Ne vous en faites pas ! Il en faut plus pour perturber l’Hydrator, haha, s’esclaffe Enrico. Vous pouvez compter sur moi pour le lundi suivant, promis et j’espère vous revoir tous.
Annotations
Versions