L'histoire de ma vie
Drôle de chose que la conscience. La conscience du temps qui passe, du monde qui nous entoure. La conscience de notre propre existence. Notre existence commence par notre naissance bien sûr, mais notre conscience ne sort véritablement de la brume que des mois, que dis-je, des années après cet instant premier. Difficile de dater l’émergence de notre être. Personnellement, lorsque je m’efforce de remonter aux tréfonds de mon expérience, ce sont juste quelques images qui me reviennent, parfois des rires, rarement des lieux (qui, peut-être, n’ont même pas existé).
Quel âge pouvais-je bien avoir lorsque, du fond de mon berceau ou de mon lit, ma mémoire a commencé à fonctionner ? Vaste question. À laquelle personne ne peut répondre, et surtout pas moi, dont la mémoire commence à flancher, du haut de mes cent sept ans. Et il n’y a pas que ma mémoire qui flanche, c’est toute ma santé mentale qui vacille. L’autre jour, l’une de mes filles m’a surpris en train de « relire » mes mémoires dans le noir. J’étais persuadé de lire, mais ce n’était évidemment pas possible dans le noir. Décidément, je déconne à plein tube, par moment. Je suis vieux, et sûrement aussi un peu gâteux.
Et ceci est l’histoire de ma vie.
Je vis dans un hospice. La Maison du Malade, que ça s’appelle. Certains trouvent ça glauque, mais moi je m’en moque, je préfère en rire. Parce que si je devais pester contre toutes les saloperies que Philippe nous fait vivre… Philippe, c’est le boss. C’est le propriétaire de La Maison du Malade. Un fils de pute, un vrai, qui ne voit son hospice que comme un moyen de faire du pognon. L’aspect médical, social et sociétal du truc, ça lui échappe complètement. Phil est un pourri, un de ces types qui se font de l’argent sur le dos des gens, et pas n’importe lesquels : sur les vieux, les gens comme moi, ceux qui sont en train de mourir et qui n’ont presque plus un rond. Mais bon, c’est notre monde qui veut ça, aussi. Phil n’est finalement (presque) pas pire qu’un autre. Il est juste le produit de son époque. Faut-il l’en blâmer ? Franchement, je n’en ai aucune idée.
Je vis dans une petite chambre, avec huit autres pensionnaires, ce qui fait que nous sommes neuf petits vieux croulants dans une chambre de vingt petits mètres carrés. Ça peut sembler beaucoup, mais il faut savoir qu’il y en a encore une dizaine dans le couloir, des types comme nous, qui attendent plus ou moins patiemment que nous passions l’arme à gauche pour prendre notre place. Bonjour l’ambiance. Et va-y que je te fais un croche-pattes, que je te donne un coup de coude, que je te pousse de ton lit… C’est la jungle, ici. La loi du plus fort. Mais bon, il faut relativiser. J’ai quand même quelques bons amis : Pierre, Ludo, et quelques autres. Et puis, il y a ce pauvre Roberto. Je l’aime beaucoup, mais il a complètement perdu la boule, le pauvre vieux. Il n’arrête pas de saouler les infirmières et l’assistante sociale pour obtenir le renouvellement de sa carte de séjour, alors qu’il a été naturalisé il y a de ça dix ans déjà. Tous les jours, on lui (re)montre sa carte, ce qui le calme un moment, mais jamais longtemps.
L’autre nuit, Phil a coupé le chauffage. En fait, en hiver, il n’allume le chauffage qu’une nuit sur deux. Soi-disant qu’avec « l’inertie thermique du bâtiment, c’est largement suffisant ». Il a fait venir un putain d’ingénieur thermicien assermenté pour en arriver à cette foutue conclusion. Alors on se planque sous nos couvertures, on grelotte et on attend. Gilbert est mort, cette nuit-là. Pas forcément du froid, d’ailleurs, mais quand même. On était tous très triste, sauf Jean qui a pris sa place, et qui était ravi de quitter le couloir, ravi de sa belle et subite promotion. Tu parles d’une promotion ! Avoir le droit de mourir dans une chambre froide remplie de vieux…
Dans cet enfer, dans cette misère, c’est grâce à mes filles que je tiens le coup. Sandra, Julie, Élizabeth et Isabelle, à elles quatre elles forment un système tétra solaire qui a toujours illuminé ma vie. Elles se saignent pour me payer cet hospice. Elles font tout ce qu’elles peuvent pour m’offrir une fin digne. Je ne sais pas ce que je leur ai fait pour qu’elles m’aiment tant. Avec Céline, leur mère (paix à son âme), nous les avons éduquées tant bien que mal dans notre minuscule chez nous. Elles n’ont jamais eu de chambre individuelle, nous n’avons que très rarement pu leur faire de cadeaux, et pourtant… Nous les avons toujours aimées, et elles me le rendent bien. À la mort de leur mère, elles ont été très fortes, ce sont elles qui m’ont porté à bout de bras pour que je continue à vivre. Ah, leur mère…
Céline. Tu me manques tellement. Quand je pense que si nous avions eu plus d’argent, nous aurions pu la sauver. Car Céline avait un cancer. Mais un cancer « bénin », d’après notre médecin commis d’office (huit mois de liste d’attente). Un cancer tout à fait traitable, avec quasiment aucun risque de rechute, ni rien. Mais nous ne pouvions pas nous payer l’opération. Quant à la Sécurité sociale, elle a disparu quand j’étais adolescent, me semble t-il. Alors… Très digne, Céline a accepté son sort, et est venue mourir ici, dans ce même hospice qui me verra vivre mon dernier souffle.
C’était il y a dix ans.
Une éternité.
Bon, j’aime autant vous prévenir : je suis vieux et gâteux, mon récit est décousu, voire bordélique, et je me prends parfois pour Baudelaire, alors que je ne suis finalement qu’un vieux monsieur qui découvre le traitement de texte plus d’un siècle après tout le monde, sur un vieil ordinateur qui passe son temps à rebooter (vous avez vu comment je maîtrise les termes techniques ? Et même les smileys, tant qu’on y est ^_^ !), dans un couloir froid, venteux et mal isolé. Chienne de vie. Heureusement, aujourd’hui, mes quatre jolies filles viennent me chercher pour une petite ballade dans le parc d’à côté. Ce sera l’occasion de voir mes huit petites filles. Oui, quatre filles, et huit petites filles. Pour tout vous dire, je n’ai jamais rien dit, mais j’ai toujours trouvé ça hautement improbable d’un point de vue purement statistique. Mais bon, moi et les maths… En fait, de manière générale, moi et la Science, ça n’a jamais été le grand amour. Je n’y panais déjà rien à l’école primaire, avec ces histoires de multiplications, de chromosomes et de dioxyde de carbone.
J’ai totalement dévissé au moment où il a fallu apprendre la division.
Aller au tableau pour tenter de calculer quel nombre, multiplié par l’autre en haut à droite, pouvait bien donner le nombre en haut à gauche, c’était le trou noir. Humiliant. Je n’avais pas la moindre idée de comment on pouvait faire – ni même de comment on pouvait demander de faire – une chose pareille. Pour moi, ça relevait, au mieux, de la divination. Au collège et au lycée, ce n’était même plus la peine d’y penser, et à l’université… bin, en fait, je n’y suis jamais allé, à l’université. C’était trop cher, mon père se tuait au travail, à essayer de vendre des voitures à air comprimé.
Mais je m’égare, je parlerai de mon père plus tard.
Je disais donc que moi et la Science, on n’a jamais vraiment pu se blairer. Quel intérêt, franchement ? La médecine guérissait tout, pourvu qu’on ait de l’oseille, mais pour le commun des mortels, c’était le néant. Et puis, quand le réacteur au sodium de Penly a explosé, tout ce qu’on a gagné, ce fut la panique à bord, la mise à l’arrêt définitif des EPR et des ESR, le rationnement de l’éclairage, du chauffage et du micro-onde, le tout assaisonné d’un paquet d’irradiés et de cancers à répétition, histoire de mourir instantanément ou à petit feu, au choix. Les scientifiques ont fermé les deux cents centrales, ils ont décrété des no man’s land, puis en remplacement ils nous ont mis des hélices partout, des espèces de grandes fleurs géantes et toutes laides qui ont surgi du néant en bourdonnant à n’en plus pouvoir, et en perdant des pétales de cent vingt mètres dans les champs dès qu’il y avait un peu trop de vent.
Tu parles d’un triomphe de la Science.
Et puis, tous ces foutus savants ont décrété qu’ils avaient enfin trouvé la « théorie du tout », une espèce de formule censée tout expliquer, la « pensée de Dieu », comme a dit l’autre. Mais ladite théorie était tellement compliquée que personne n’y a jamais rien pané. Sans compter que, en pratique – et ce sont les scientifiques eux-mêmes qui le disent –, il n’y avait rien à en tirer. Ça nous a fait une belle jambe de savoir que l’univers était multiple, alors même qu’on n’était pas foutus de vivre tranquillement dans le nôtre. Ça nous a fait une belle jambe, quand on a appris qu’il y avait un réservoir d’énergie illimitée au creux même de l’espace-temps, mais qu’on ne pouvait pas y toucher.
En grande concertation avec les politiques, ils ont aussi inventé tout un système pour le tri des déchets. Moi, je n’étais pas contre, mais, franchement, quand ils ont mis sur pied une division spéciale de la Gendarmerie en vélos solaires pour coller des PV de 500 boules aux petits vieux comme moi qui ne faisaient pas la différence entre le polyéthylène et le polypropylène et qui se trompaient de bac à déchets…
Du coup, vous m’excuserez, mais quand ils ont commencé à nous expliquer qu’il n’y avait rien après la mort, que c’était scientifiquement et définitivement prouvé, eh bien, moi, je leur ai proposé d’aller se faire mettre. Je sais que ma Céline m’attend là haut, quelque part, bien au chaud. Ces foutus ingénieurs et chercheurs feraient mieux de mettre au point leurs projets de panneaux solaires du désert et d’améliorer les récoltes de riz et de blé, de réparer leurs conneries nucléaires, de dépolluer les lacs, de désengorger les villes et les routes, de ramener à la vie les chats (je n’ai toujours pas compris comment on en est venu à les faire disparaître, ces pauvres vieux) plutôt que de nous donner des leçons de vie toutes les cinq minutes.
Enfin bref.
Fin de la parenthèse technique.
L’autre grand drame de ma vie, ce fut mon frère, Édouard. Oui, je sais, vous vous dites que je dramatise trop, que je ne parle que de mes douleurs, de mes échecs et de mes souffrances. Ce n’est pas faux, mais en même temps, il faut me comprendre : écrire me permet de faire le bilan, d’essayer d’être en paix avec moi-même.
Alors, vous pouvez en penser ce que vous voulez, moi, j’écris. Ça me libère.
Mon frère Édouard, donc. Né quatre ans après moi, ce fut un petit frère merveilleux, jamais chiant, bien au contraire, il a toujours été gentil et conciliant. Dans mon entourage, tous mes amis se battaient avec leurs frères et sœurs, mais entre Édouard et moi, ça roulait.
Le truc, c’est que lui, il était intelligent. Brillant, même. Moi, j’étais une burne, mais lui il a pu faire des études, il est devenu officier, il a encadré des hommes sur le terrain, tout ça. Et c’est bien là le problème. Alors que je lavais des vitres de voitures au magasin où travaillait mon père (vous imaginez un peu le piston, quand tout ce que votre père peut vous aider à trouver, c’est un job de laveur de bagnoles !), eh bien, Édouard, lui, il était au front. Parce que, oui, ce que j’ai oublié de dire, c’est qu’à cette époque là, la France est entrée en guerre au Moyen-Orient. Pas toute seule, non, loin de là, car nos dirigeants ont toujours été des couilles molles, mais on a suivi les Américains et les Anglais lors de la Grande Coalition pour le monde libre. Et mon frère y est allé, car il était dans l’armée.
Moi aussi, j’ai voulu y aller.
Pour soutenir mon frère, pour aider le « monde libre », et aussi pour arrêter de laver des vitres, je me suis engagé. Mais, évidemment, je me suis blessé à l’entraînement. J’avais opté pour l’Armée de Terre, car je me disais que ça ne pouvait pas être bien compliqué, et donc que c’était à la portée d’un idiot comme moi. L’Armée de l’Air, la Marine, les tanks, tout ça, je ne m’en sentais pas capable, mais simple fantassin, avec mon fusil et mon paquetage, ça, je pensais que c’était jouable. Seulement voilà, lors d’un exercice, j’ai tout compris de travers, et je me suis coincé le petit doigt dans le mécanisme d’une pièce d’artillerie. N’eût été le courage d’un de mes collègues, j’aurais probablement fini déchiqueté. Mais non, j’y ai juste perdu trois doigts de la main gauche et j’ai été réformé, tandis que mon collègue recevait une médaille, et que mon frère se faisait tuer au combat, dans le crash de son hélico.
Killed in action, comme on disait à ce moment là, parce que ça faisait plus classe.
Mais moi, je m’en foutais pas mal que ce soit classe. Mon petit frère était mort, et moi je m’étais ridiculisé, dans l’un des accidents les plus stupides de la décennie. J’aurais pu sauter sur une mine en Afghanistan, me faire tuer par un sniper en Irak, exploser dans un hélicoptère en Syrie, finir amputé à Tora Bora.
Mais non. Moi, je me suis coincé le petit doigt à Vernon.
Dans l’histoire, on a gagné un joli cercueil et un grand drapeau, mais c’était quand même à nous de payer l’enterrement. Je n’en reviens toujours pas, comment peut-on envoyer un gosse se faire tuer et abandonner sa famille comme ça ? Finalement, j’étais bien content d’être réformé, tellement j’étais dégoûté par l’armée. Enfin bref, Édouard est mort, et moi je suis devenu infirme stupidement, comme le couillon que j’étais. Peu de temps après, mon père s’est suicidé.
J’ai failli en faire autant.
Destins brisés.
Bon, je vous vois venir, du style : « Nan mais c’est quoi ce vieux grincheux ? ». J’assume, oui, je suis un vieux grincheux. Mais pas que. Et je vais vous le prouver. Je me plains beaucoup, je sais, mais au fond de moi, je suis un homme heureux. La vie a été une chienne avec moi, et j’ai toujours passé mon temps à rouspéter, mais au fond, ça va. J’ai déjà parlé de mes adorables filles et petites filles. Je n’ai pas beaucoup plus à en dire, car nous n’avons jamais rien vécu de profondément marquant, c’est juste que nous avons tissé des liens très forts, des liens invisibles qui n’ont rien d’extraordinaire, mais qui font que, ensemble, nous sommes profondément heureux. Je suppose que ça tient à pas grand-chose, il en faut peu pour que les choses dérapent, pour que la rancœur s’installe. Dans notre petit appartement, qui ne nous a jamais appartenu (comment trouver l’argent, dans ce monde où les banques ne prêtent plus, ou alors avec des coefficients 5 ?), les choses auraient pu rapidement s’envenimer, mais non. Et je me suis toujours bien entendu avec leurs maris, étrangement. Le seul avec qui ça a failli mal se passer, c’est Jean-Luc. Il portait des lunettes de soleil italiennes et il avait une espèce de gras dans les cheveux. Ça m’énervait profondément, je le lui ai dit, et tout ce qu’il a rétorqué, c’était que si c’était là les seuls griefs que j’avais à son encontre, c’est que finalement tout allait bien. J’ai bien été obligé de le lui concéder. Puis nous sommes devenus de très bons amis. Bref, tout allait bien de ce côté-là.
Et puis, même si j’ai perdu ma mère très tôt, j’ai eu une enfance heureuse. Nous ne partions en vacances qu’une fois par an. C’était en Normandie, nous louions une tente dans un petit camping perdu. Il ne faisait jamais vraiment beau, il y avait toujours beaucoup de vent, et nous n’allions jamais au resto.
Mais ça allait.
Je faisais du cerf volant, je me gelais les couilles dans les vagues où je faisais du body sur ma planche toute molle, je rêvassais dans les dunes, le regard perdu, hypnotisé par les nuages dégueulés par la centrale d’à côté. Et puis, j’ai rencontré Lola. J’avais dix-sept ans. On a passé un été merveilleux. Nous ne nous sommes plus jamais revus. Ça a l’air triste, je sais, et ça l’est réellement. Je me suis toujours demandé ce qu’elle était devenue. Je crains qu’elle ne soit morte, tuée par le nuage de sodium radioactif de Penly (elle habitait pas loin). Mais, malgré tout, je garde un souvenir véritablement merveilleux de cet été. C’était en août 2041.
Le réacteur a pété dix ans plus tard, en 51. Édouard est mort cette année là. Oui, ce fut une année de merde, on peut le dire. Bon, je sais, j’étais censé vous prouver que je n’étais pas grincheux. Pas sûr d’avoir réussi…
Allez, un dernier chagrin, et puis j’arrête, promis. Je veux vous parler de Brownie. C’était mon chien. Comme vous pouvez vous en douter, il était marron. À la base, c’était le chien de notre vieille voisine, je l’adorais (le chien, pas la voisine), c’était moi qui le sortait matin et soir quand j’étais enfant. On allait courir dans le petit parc au pied de notre HLM, il faisait ses besoins, puis nous jouions à la balle. Quand Irma (la vieille) est morte, comme elle n’avait pas de famille ni rien, j’ai réussi à récupérer la garde de Brownie. J’ai dû sévèrement batailler, mais comme maman venait de mourir, mon père a fini par accepter, pensant que ça me rendrait moins triste. Il a eu raison. Je l’aimerai et le chérirai toujours pour avoir accepté. Parce que Brownie a illuminé ma vie. On dormait ensemble, on jouait ensemble, on prenait notre douche ensemble (je crois que Brownie fut le chien le plus propre de tous les temps). Je mangeais même des croquettes, parfois. En bref, Brownie était mon meilleur ami. Il était doux, obéissant, délicieusement idiot, câlin, tout ça.
Et donc, un matin d’hiver que je le promenais en laisse, un livreur de pizza en scooter électrique nous a percutés sur le trottoir. Brownie a poussé un « kouïe » en étant projeté à plusieurs mètres, m’arrachant la laisse des mains. Je me suis précipité vers lui, il a convulsé quelques instants, et puis il est mort, comme ça, étalé dans la neige sale. Ce fut horrible. Avec mon père et mon frère, on est allé l’enterrer dans le terrain vague derrière l’immeuble. Au milieu des machines à laver et des micro-ondes abandonnés, on a creusé dans la terre durcie par le gel. C’était épuisant. Brownie était un gros chien, on a donc passé l’après-midi à nous casser les mains en nous relayant avec la bêche pour lui faire une place convenable dans le sol gelé. Mon père avait acheté un gros sac en toile, dans lequel on a mis Brownie délicatement, avant de l’allonger dans sa dernière demeure. Pauvre bête. Le recouvrir de terre froide fut la pire expérience de mon enfance. Oui, pire que la mort de ma mère. Je ne sais pas pourquoi, j’adorais ma mère, mais c’est comme ça. J’ai pleuré pendant trois jours. Aujourd’hui encore, quand j’y repense, j’en ai les larmes aux yeux. Ce fut une telle souffrance, que jamais plus nous n’avons eu de chien. Se séparer d’un tel ami fut tout simplement trop dur pour qu’on puisse envisager de recommencer.
Voilà. Nous sommes jeudi après-midi. Et mes mains tremblantes ont, je crois, fini. Quand j’y repense, mes mémoires font à peine dix pages. Mais ça n’a rien d’étonnant, car j’ai mené une petite vie pas particulièrement remplie. Je n’ai pas vécu grand-chose, je ne vais donc pas prétendre le contraire en m’étalant sur des dizaines ou des centaines de pages. Mais j’ai bien vécu. Je suis grincheux mais, au fond, je suis heureux.
Allez. Mes filles et petites filles vont arriver. On va aller se balader.
Ceci était l’histoire de ma petite vie.
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