Le Banc de Paroles

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"Long-Bus s'activait devant son canapé, crâne meurtri douloureusement rivé vers l'écran à pivot LCD. Il marqua un point d'arrêt quand sa caméra se l'offrit, juste derrière lui. Et il se laissa en manque de soif quand le ventilateur arrêta sa tournée caniculaire..."

Non, tout c'a, c'était de Thierry Lombus, qui tapait à la machine et à l'ordinateur et à l'écrit. Ceci dit, il fermait les yeux quelquefois pour reprendre créativité : il captait Florès dans son connecteur. Le diner de comité était faux, bien sûr, mais Gallimard l'avait enfin accepté après tant de rejets littéraires, peut-être l'avaient-ils trouvé assez con pour le former. Leur petit protégé, quel nom qui en jette, c'a a de la gueule comme une DeloRean, pas la gueule d'un chien mais d'une DeloRean McFly. "Et le L de Long-Bus, le L épargné de l'italique, c'a a de la gueule, mon vieux ?"

Non. Alors Thierry déchire sa page, il la fait voltiger comme un Concorde et la descend à la scierie littéraire de ce bas-monde. Puis il semble se coucher, il se lâche sur sa touffe de matelas.

Déshonoré.

- Mince, je ne trouve pas d'inspiration c'soir, à croire que ce monde est insalubre pour les écrivains comme moi.

La réceptionniste de l'hôtel, qui l'avait rejoint très tôt dans la journée avec une secrétaire pour la mise au point, était vite redescendue, deux lettres à peine ouvertes et une pile de prospectus mutilés dans les mains. Elles trouvaient Lombus comme jamais qui d'autres aurait pu l'évaluer : quand un chien faisait ses besoins sur la voie publique, il y avait un déchet et l'honneur du chien. Thierry était le déchet, l'éditeur était l'honneur global de la Seine. Et ce faux diner qu'il s'était organisé, avec un vieux Château-Rond Bordeaux et une escalope de dinde commandée au Boucher Malesherbes, en discutant à son propre manuscrit qu'il déchira faute de goût. La seule gourde de sa vie avait été d'être écrivain. Pourquoi s'embêter la tâche.

Technicien de surface, concierge, professeur, éditeur, cuisinier, taxi, boucher, poissonnier, caissier...

Pourquoi ne pas faire ce qui était le plus important dans le pays, à Paris ? Boucher, il couperait les boyaux d'un gros gibier avec autant d'honneur qu'un flic, taxi il rencontrerait des gens, parfois ses amis d'enfance. Et le pire c'est qu'il ne s'était jamais marié, il n'était pas même homosexuel ou hétéro : il n'était rien. Et c'a lui plaisait, cet avenir.

(A moi, c'est un ange, à moi c'est un paradis)

La réceptionniste n'avait même pas accepté les appels qu'il avait passé, elle l'avait espionné !

Et lui, étendu sur ses deux couches de draps, à penser à ce garagiste de Florès Automotors. Mais quel Vaudeville ! Et à lui seul, un déchet, un homme pathologique, un raté !

- Je suis raaaaaté ! RAAAAAATE....Raaaté (N'annotez pas mon texte, il ne vous servirait en rien à lire cette horreur qui défile tout droit en tout sens.)

Finalement, le téléphone jette son désir de tirer : il appuie sur la détente, il déchire l'air de sa balle de calibre, et il atteint l'épaule de Thierry. Thierry s'est ramassé, l'épaule droite a cogné le rebord de sa table d'appoint, il hurle de douleur, Lombus se redresse, l'épaule sanglante, et il prend le combiné.

- Thierry Lombus, quel joli nom de Cévennois.

C'a, c'est présentement André Florès, ivre comme un pot.

- Monsieur Florès, c'est vous alors, demande Thierry comme un naïf.

- Ouais, c'est moi, j'suis là, j'vous guette, mon viiiieeux !

Il parle tout bizarrement, il est étrange dans sa voix, il parle comme s'il était à demi-conscient, drogué par ses sentiments.

- Vous savez, Les Cévennes, c'est plus mon truc. C'est une déchirure du monde, je ne veux pas y aller, c'a me fend le coeur de vouloir écouter ma mèèèère !!!

- Quoi, vous voulez aller aux Cévennes, avec ce temps qui y règne ? Non, n'y allez pas, je veux récupérer ma 205, j'ai des comptes à rendre...

Quelle raison de parler à un alcoolique ? Moi, j'vous le dis, c'est amusant. L'admiration de Thierry s'estompe, il raccroche, et se dit qu'il doit appeler un taxi pour lui demander d'aller au garage du boulevard Malesherbes. Mais d'abord, un détour pour manger un bout, non ? Parce qu'un ange qui sauve, c'a bouffe un peu, non ? Il soupire, il rigole, il s'assoit, il soupire...Une question le flashe : "Quel est le bon fonctionnement d'un écrivain dans le gendre humain"? C'est une question très délicate, franchement, c'est...

Délicat.

Le processus rectiligne des cellules aux molécules binaires de Thierry, qui remontent jusqu'à son processus d'auto-destruction des neurones qui le parcourt. Il frissonne, il a peur, mal un peu aussi. Il sait la réponse à sa question : un café et un sandwich devant Florès lui-même.

Thierry sort de sa chambre non sans fermer, il déferle dans le couloir avec une certaine notoriété et dans un silence sépulcral, il atteint la panoplie de boutons de l'ascenceur dans lequel il a accepté descendre. Paris se dessine des ailes dans son limpide ciel de nuit. Il nuit. Stupéfiante réaction quand le pied a frôlé la chute à peine six mètres descendus, alors qu'il voulait simplement arrêter le processus en posant le pied au sol.

Avide dans le noir, la pénombre laisse l'hôtel dans une sombre attitude. La réceptionniste est stupide et naïve dans son sommeil complet, un magazzine devant ses yeux ébahis et ses lèvres pimpantes qui souffle l'air dans le râle du vent. Lombus se faufile, il évite les pylônes, et hèle le taxi qui se gare tout proche de lui dans un élan de tendresse :

- TAXI !

- Pour quoi ?

- Pourquoi ? Mais pourquoi dites-vous pourquoi ?

- Pour quel service !

- Ah ! tout de même mieux : je vais voir un ivrogne.

- Où ?

- A deux pas du Boulevard Malesherbes, Rue César-Caire.

- Raison particulière...

- Roule et t'auras un pourboire en plus !

Le taxi crisse les pneus, le chauffeur est hébété et la radio nous chante les Deep Purple comme s'ils étaient à côté de nous, avec un France Gall & Michel Berger qui fredonne sur les lignes d'un piano. C'est l'empire d'un ange qui se dessine aux côtés de Thierry qui s'allonge sur la banquette, lui aussi exténué de sa mission. Il n'aurait pas dû mais il a accepté.

Il a accepté sa vie comme des milliards d'humains sur Terre, il a voulu vivre et il vit le jour. Mais il ne veut plus que sauver la vie exténuée et exécrable de son garagiste, se concentrer sur la vigueur de l'essentiel.

Le problème de Thierry est qu'il est en retrait sur plusieurs siècles, centré sur la même personne à chaque livre...

Le seul truc est de cesser ses activités, il faut qu'il fasse un "Dead" comme mort dans les livres Black Out et compagnie de l'âge. Un break. Il évoque la possibilité du break, contre ses ennemis aux éditions...Il est con. Une kyrielle entre l'évidence et l'inexistence.

C'est Thierry Lombus et André Florès, le bordel acronyme de la rue.

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