Un peu avant midi, le téléphone sonna sur mon bureau au travail. À l'autre bout du fil, j'entendis Beatrice parler très vite sous le coup d'une vive excitation. Je l'interrompis :

 " Bea ? Est-ce que tout va bien ?

 - Tu as regardé les infos ? Ou lu les journaux ?

 - Non, je n'ai pas eu le temps. Raconte-moi ce qu'il se passe.

 - La guerre est finie, Richie. Les derniers hélicos se sont envolés de l'ambassade de Saïgon ce matin. Ça va faire les gros titres. Nous allons sortir une édition spéciale, je ne sais pas à quelle heure je rentrerai ce soir.

 - OK. On se voit plus tard. "

Je fus incapable de répondre autre chose que cette banalité, submergé à mon tour par une foule d'émotions contradictoires. Je me sentais soudain à l'étroit dans l'arrière-boutique, il me fallait de l'air.

Après les opérations Babylift et Eagle Pull relayées par les médias, nous savions que ce vaste bourbier tirait sur sa fin, mais je n'étais pas préparé au choc qu'il soulevait. Immanquablement, je pensai à Connie, à Sixto, à tous mes compatriotes tombés au combat ou à cause de la stupidité de la vie. Vinrent ensuite les images de ces soldats ennemis morts ou prisonniers.

Cette page de l'Histoire se refermait sur un fiasco humain et politique terrible, mais combien de temps revivrais-je cet épisode douloureux de mon existence ? Face à la Grande Bleue, des larmes silencieuses se perdirent dans les fils de ma barbe. J'étais heureux et soulagé.